Visite sur le tournage d’Ennemi public, saison 2

Une saison en enfer pour l'inspecteur Chloé Muller (Stéphanie Blanchoud). © DR
Nicolas Bogaerts Journaliste

Le tournage de la deuxième saison d’Ennemi Public a pris fin. Stéphanie Blanchoud a remis la veste et le casque de l’inspectrice lunaire Chloé Muller, pour une suite qui prend le pari de nouer les tripes. Rencontres en sortie de scène.

Un bâtiment aux couloirs garnis de murs ternes. Un sol recouvert d’un linoleum hideux qui reflète, à travers la fenêtre, la pâleur du ciel d’hiver. Le mal-être colle partout, malgré la forêt vallonnée qui nous entoure et montre les premiers signes d’un printemps qui tarde venir. Le visiteur serait vite tenaillé par une déprime soudaine et confondante, si l’activité qui y règne ne tenait pas de la ruche en pleine période de floraison. Techniciens, cadreurs, scriptes, preneurs de son s’activent à la préparation du prochain plan, un moment clé dans la deuxième saison d’ Ennemi Public, joli succès critique et d’audience de la RTBF lancé en 2016. En quelques secondes, tout s’arrête. Les deux réalisateurs, Gary Seghers et Matthieu Frances sont rivés à leur moniteur, sur lequel apparaît la scène prête à être jouée depuis la pièce adjacente. L’image est composée comme une toile, les couleurs, cliniques et vibrantes. Le visage de Chloé, l’inspectrice incarnée par Stéphanie Blanchoud, plonge dans une lumière bleutée. Moteur. Ça tourne. Action.

Le comédien Olivier Bonjour (de face) travaille son personnage avec le réalisateur Matthieu Frances, entre deux prises.
Le comédien Olivier Bonjour (de face) travaille son personnage avec le réalisateur Matthieu Frances, entre deux prises.

Espace-temps

Le criminel en conditionnelle Guy Béranger (livide et inquiétant Angelo Bison) ou le frère Lucas (Clément Manuel), la femme flic Chloé Muller (Stéphanie Blanchoud) ou le rude Patrick Stassart (Philippe Jeusette)… la série créée par le quatuor Antoine Bours, Gilles de Voghel, Christopher Yates et Matthieu Frances questionne, au-delà de tout suspense lié à l’enquête policière, la relation des individus à leur environnement. Qu’il soit imposé ou choisi, est-ce le lieu, son atmosphère qui rejaillit sur la peau, les comportements, l’âme des individus ou au contraire, sont-ils les instigateurs du climat qui les entoure? Est-ce la cage qui crée le monstre ou le monstre qui définit sa cage? Avoir mis en scène dans une unité de lieu (le village et l’abbaye de Vielsart, leurs environs) ces espaces-temps entre vie et morts était une des grandes réussites de la première saison. Après un dernier dénouement sinueux et surprenant, en bordure de l’ésotérique, le trouble demeure visiblement dans la deuxième, où rebondit l’enquête autour de la disparition d’enfants. « On rentre davantage dans l’intimité des personnages. C’est plus profond, moins policier « , confirme Stéphanie Blanchoud, sereine, concentrée, entre deux prises. « C’est aussi une saison plus dure, plus émotionnelle. On rentre dans l’intimité de Chloé, dans sa quête, restée en suspens à la fin de la saison un. J’ai plus de choses à jouer. C’est l’avantage d’une série: faire le plein d’émotions. En même temps, il faut gérer pour ne pas faire trop, intérioriser plus. Retrouver le chemin de ce personnage, lui trouver un chemin, des méandres plus dramatiques encore, après l’avoir « quittée » plusieurs mois, c’est un pur bonheur. »

Visite sur le tournage d'Ennemi public, saison 2

Lieu reclus

Tête de pont, avec La Trève, des séries belges francophones ambitieuses (lire ci-dessous), la structure narrative, l’univers visuel d’ Ennemi Public comportent des référents très forts. À un réel qui a cristallisé pas mal de tensions et de traumas en Belgique (l’affaire Michel Martin, entre autres) mais aussi, inévitablement, à d’autres oeuvres cinématographiques ou télévisuelles antérieures. La série a pourtant réussi à tirer son épingle du jeu, en animant une triade complémentaire: acteurs, mise en scène, photographie. Cette dernière est assurée par Philippe Therasse, qui a fait d’ Ennemi Public une série stylisée, qui donne ce qu’il faut de grain ou de transparence blême aux visages, capable de fixer en un plan le climat d’un lieu reclus, la froideur des relations qui s’y trament, de rendre une tension palpable. « J’ai accepté de rentrer sur cette série parce qu’elle avait ce visuel comme objectif, confie Stéphanie Blanchoud. Elle n’existe tout simplement pas sans le travail de Philippe, qui met les comédiens en valeur. J’ai conscience d’être dans une lumière qui est belle, un plan soigné ». La mise en scène est l’oeuvre du binôme Gary Seghers/Matthieu Frances. Le premier garde le cap visuel malgré les yeux marqués par 85 jours de tournage au cordeau. Le second s’applique entre les prises à retravailler la scène avec ses acteurs. La manière dont il se penche calmement, indéfectiblement vers Stéphanie Blanchoud pour échanger des indications de jeu traduit l’importance de la direction d’acteur pour Matthieu Frances, un luxe dans le timing serré d’une série: « Il est très clair, dit de lui Stéphanie Blanchoud . Mais si j’ai envie d’aller ailleurs, on finit toujours par se retrouver. J’ai besoin d’indication mais aussi de rester instinctive car il faut aller vite. » « Il ne me revient pas de dire à un acteur comment jouer mais on cherche ensemble, poursuit le réalisateur . J’avais des idées plus préconçues durant la première saison parce que j’avais moins d’expérience. Là, j’essaie de moins préparer les scènes. J’ai mon idée mais je leur laisse le soin de donner la première proposition. Une scène émotionnelle, par exemple, est un gros défi. Après une ou deux prises, souvent over the top, on commence à travailler ensemble les nuances, la profondeur. À ce moment-là, avec la fatigue d’avoir pleuré, d’avoir crié parfois, il y a un truc magique qui se passe. Je rapproche ça de ce relâchement intense, physique, qui peut nous envahir après un deuil terrible, une immense douleur… »

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Respecter les personnages

Faire évoluer une histoire dans un vase clos serti au coeur de l’Ardenne, c’est devoir composer aussi avec la pudeur de la langue française, qui rechigne à faire valoir ses accents et particularismes locaux. Complètement absents de La Trève, ils apparaissent timidement dans Ennemi Public: » Je trouve que les accents sont des motifs de fierté. Mais est-ce que nous, francophones, avons trop de pudeur pour les mettre en avant? C’est une bonne question car si tu regardes les séries américaines ou flamandes, les personnages sont marqués géographiquement, socialement par leurs accents. De prime abord, on n’essaie pas de les masquer, parce que ça participe de la vraie richesse d’un acteur. Mais l’acteur lui-même, au cours de sa formation, aura déjà tendance à le gommer, souvent à juste titre, pour décrocher des rôles de répertoire par exemple. Sommes-nous prêts ici à créer des personnages qui ne masquent pas leur accent wallon? Les forcer, ce serait aussi dommage que de les masquer. Il faut que ça fasse partie de la vérité du comédien, de sa manière d’être, sans fabrication… là, je trouve ça personnellement hyper touchant et très rassembleur. » Stéphanie Blanchoud est impatience de retrouver Angelo Bison « avec qui j’adore jouer. Et j’ai aussi découvert avec surprise les nouveaux seconds rôles. » Ces nouveaux visages annoncés (no spoilers) auront de quoi éveiller la curiosité et garnir un casting qui avait déjà donné vie à de solides caractères: « Respecter le personnage et là où il nous mène, c’est respecter le public, insiste Matthieu Frances . C’est parfois difficile car on ne dispose pas de suffisamment de temps pour les épaissir autant qu’on voudrait. Sur certaines scènes clés on s’est promis avec Gary de nous accorder plus de temps, de découpages, de plans cinéma, de plans séquences et donc plus de prises (leur nombre était très bas en saison un). Pour explorer le plus loin possible l’économie qui est la nôtre. » La deuxième saison s’annonce alors plus lourde et lancinante: « Il a fallu salir un peu, être dans les contrastes, chercher les clair obscurs, travailler les défauts, la matière brute. C’est un grand risque pour la RTBF, c’est moins grand public, mais ça nous ressemble plus. » Verdict fin 2018, sur La Une.

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