Laurent Raphaël

L’édito: We are family

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

La télé des années 90 n’a pas laissé que des bons souvenirs. Alerte à Malibu, Hélène et les garçons… Voilà le genre de fautes de goût impardonnables -bon d’accord, à égalité avec le K-Way rose et violet ou la banane dissimulant l’incontournable portefeuille à scratch- dont la décennie boys band était coutumière.

C’est dire si dans ce paysage médiatique gnangnan, l’émission qui osait tout et en clair sur la chaîne du « porno du samedi soir » détonnait comme un punk au milieu d’une garden party évangéliste. On ne va pas refaire ici l’histoire de Nulle Part Ailleurs. Trop de fous rires à caser sur une seule page. Rien qu’avec Didier L’Embrouille ou Gérard langue de pute, deux des personnages givrés inventés par Antoine De Caunes, on en aurait jusqu’au Nouvel An à se taper les cuisses. Une fée anar s’était penchée sur le berceau de cette aventure cathodique comme on en fait plus. Chaque jour, il se passait quelque chose. Quoi? On l’ignorait à l’avance mais on savait que ce serait du jamais-vu sur la lucarne de papa. Leur secret: de l’autodérision par paquets de dix, de la culture générale en bidons de dix litres et une palette d’excentricité. Et surtout une équipe pour incarner ce fameux esprit. Car si le fou du roi (à ne pas confondre avec Stéphane Bern) pouvait se permettre les pires vacheries sur les invités ou sur ses acolytes, jusqu’à transformer le studio en cantine scolaire un jour de rébellion, c’est parce que le trône était occupé par un sage aux idées extra larges. Sous ses airs de lutin hilare, Philippe Gildas coeur de Lion, disparu le week-end dernier, tenait avec classe et doigté le manche de ce zinc spécialiste en loopings. Les rescapés de la génération Furbys lui doivent une fière chandelle, de celles qu’on brûle par les deux bouts. Tchao Pantin! comme aurait dit l’autre. La famille Canal, ou ce qu’il en reste, est en deuil, et nous avec.

Sous ses airs de lutin hilare, Philippe Gildas tenait avec classe et doigtu0026#xE9; le manche de ce zinc spu0026#xE9;cialiste en loopings qu’u0026#xE9;tait u003cemu003eNulle part ailleursu003c/emu003e.

Ce qui nous ramène tout droit à 2018 et à notre sujet du jour: la famille. Ou plutôt les nouvelles familles. Pas celles que l’hérédité a taillées sur mesure ou en dépit du bon sens pour notre personnalité, mais celles qu’on se choisit par affinités, par désespoir aussi, souvent d’ailleurs pour suppléer les carences du modèle biologique original.

La fiction a toujours malaxé ce vieux chewing-gum qui colle aux dents. Et la littérature comme le cinéma continuent de se porter au chevet d’un modèle familial qui a implosé et qui cherche depuis à rassembler ses morceaux éparpillés sur le sol. On aurait pu laisser son cadavre sur le bord de la route et continuer son chemin avec sa valise individualiste. Mais le deuil de la famille est impossible. Son fantôme nous hante toujours. Voilà pourquoi certains tentent à tout prix de rafistoler le radeau, comme les frères Sisters dans le western de Jacques Audiard. Et si l’embarcation a coulé à pic, de nouvelles formes hybrides d’associations de bienfaiteurs ont pris le relais: la bande, le groupe, le cercle. Une version mutante de la cellule mère dont les membres ne partagent pas le même nom, le même sang mais les mêmes espoirs, déceptions, expériences.

Le rap est un bon exemple, lui qui la joue collectif depuis son cri de naissance dans le ghetto new-yorkais. Les crews sont comme des familles de substitution pour des minots en manque de balises affectives. Aussi quand le parrain Sofiane rameute à la table du 93 Empire les darons du rap français Kool Shen et JoeyStarr, et d’autres cousins et oncles du sérail hip-hop parisien, c’est comme un repas de famille revu et corrigé.

Ce besoin de fraterniser, on le retrouve également à l’affiche du film Le Grand Bain de Gilles Lellouche. Ce qui cimente ces losers un peu gauches, un peu ou beaucoup paumés, c’est un sentiment d’appartenance à une petite tribu d’hommes fragiles et sensibles. Une sorte de thérapie collective qui culmine dans un final qui est l’équivalent d’un repas de Noël idéalisé, c’est-à-dire sans prises de becs et sans discussions stériles avec la vieille tante barbante.

Même l’univers longtemps égotiste du jeu vidéo se redéploie autour de visions plus collaboratives. Dans Fortnite, on fait bloc avec sa fratrie improvisée pour éliminer l’ennemi, et dans Red Dead Redemption 2, le jeu phénomène de cette fin d’année, le joueur pilote une horde de hors-la-loi où se mêlent hommes et femmes, bons, brutes et truands. Pour le coup on est très loin de la cellule familiale standard: papa, maman, les deux enfants et le labrador…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content