Jirô Taniguchi, maître du manga, a pris ses « quartiers lointains »

Jirô Taniguchi © Wikipedia

Le Japon a perdu samedi un de ses maîtres du manga: Jirô Taniguchi, auteur d’oeuvres majeures du 9e art comme Quartier lointain ou L’Homme qui marche, est décédé à Tokyo à l’âge de 69 ans.

Casterman, son éditeur français depuis les années 1990, a fait part de sa tristesse en annonçant la mort de l’auteur japonais, gravement malade.

Révélé à la fin des années 1980 dans son pays avec Au temps de Botchan puis une dizaine d’années plus tard à l’étranger avec Quartier lointain, son chef d’oeuvre, Jirô Taniguchi a dévoilé peu à peu un éclectisme salué par ses pairs, avec Le Gourmet solitaire, Le Journal de mon père ou Un zoo en hiver. Les mangas de Taniguchi offraient une balade dans le quotidien japonais, via des histoires humaines et apaisantes, rappelant le cinéma de son compatriote Yasujiro Ozu, avec des thèmes universels, comme la famille, l’enfance ou la nature.

Taniguchi, qui revendiquait des influences graphiques plutôt européennes, citant Jean Giraud (Moebius) avec qui il publia Icare en 1997, a séduit de nombreux lecteurs dans le monde.

« Il était vu par les lecteurs, dessinateurs et éditeurs français comme un dieu, alors que lui-même se présentait comme un type banal », a réagi sur son compte Twitter un de ses pairs, Tori Miki (co-auteur de Plinius).

« Il préparait un nouvel album destiné à un lectorat familial, une histoire en trois tomes, La Forêt millénaire, tout en couleur, une nouvelle approche du manga », a indiqué à l’AFP à Tokyo son agent et traductrice, Corinne Quentin.

Un grand auteur primé

« C’est vraiment l’auteur qui a été le pont entre les deux rives de la BD que sont le Japon et la France », explique à l’AFP Sébastien Langevin, rédacteur en chef de Canal BD Manga Mag. « C’est son oeuvre intime et faussement nostalgique qui nous a séduits, mais c’était avant tout un grand auteur », renchérit ce spécialiste, parlant d’un homme d’une extrême sensibilité.

« Il n’aimait pas l’avion, mais était tellement curieux et voyageait énormément dans sa tête, ce que montre d’ailleurs beaucoup de ses oeuvres moins connues que Quartier lointain« , dit Corinne Quentin.

Né en août 1947 à Tottori, au Japon, dans une famille très modeste, Jirô Taniguchi a débuté comme mangaka en 1970 avec Un été desséché.

Il s’essaie ensuite au manga policier, puis se démarque dans le registre historique avec Au temps de Botchan (1987), avant d’aborder dans les années 1990 des récits centrés sur des personnages dont il dessine tant la silhouette que l’âme.

Très marqué par le tsunami meurtrier et l’accident nucléaire de Fukushima survenus en 2011, il avait confié à l’AFP à Tokyo, avoir failli renoncer à son métier, ne voyant plus au milieu d’un tel désastre quelle pouvait en être l’utilité.

En 2015, le festival d’Angoulême lui avait rendu hommage avec une large rétrospective. A ce moment-là, l’ensemble de ses titre publiés en français par Casterman s’étaient vendus à plus d’un million d’exemplaires, selon l’éditeur.

Douze ans auparavant, il s’était vu décerner le prix du meilleur scénario à Angoulême, pour le premier tome de « Quartier lointain ».

« La beauté du trait »

« Ce sont les lecteurs, des Français notamment, qui m’ont incité à continuer », assurait alors l’homme à la fine moustache, qui travaillait à l’ancienne, sans ordinateur, « car je ne sais pas, je n’ai pas cette compétence ».

Jirô Taniguchi avait reçu en 2011 les insignes de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

« Trop magnifiques, ses dessins de Venise dans un carnet de voyage. Combien y-a-il de personnes au monde capables de recréer aussi bien la beauté vénitienne, la mer vénitienne, l’air vénitien », a écrit sur son blog, au milieu de maints autres compliments, la dessinatrice Mari Yamazaki (auteur de Thermae Romae, Steve Jobs, etc.)

« Il avait un registre d’un tel éclectisme qu’on se demandait toujours quelle allait être son oeuvre suivante », a souligné pour l’AFP J.P Nishi (A nos amours).

« Le manga est une partie de la BD avec des canons très forts. A l’intérieur de ces canons, il a su créer des oeuvres qui parlent au monde entier », résume Sébastien Langevin.

>> Lire également notre interview: Les toutes premières fois de Jirô Taniguchi.

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