Serge Coosemans

Tapage nocturne: vers la fin du pouvoir de vie et de mort du riverain sur les bars de nuit?

Serge Coosemans Chroniqueur

Dans un rapport passé inaperçu suite à l’état d’urgence en France et au climat transfrontalier mortifère depuis les attentats, le Quai d’Orsay préconise une révision peut-être bien assez copernicienne de la politique festive parisienne. Cela ne pouvait qu’interpeller Serge Coosemans et les associations de riverains. Sortie de Route, le retour? Non, Crash Test S01E31 mais c’est tout comme.

Reparlons un peu de la nuit, de la night. Mine de rien, traquer les tendances et imaginer l’avenir proche du noctambulisme est devenu assez compliqué. La menace terroriste, le déficit d’image de la Belgique et de Bruxelles en particulier ainsi qu’un climat général qu’il n’est plus du tout délirant de qualifier de préinsurrectionnel brouillent toute tentative de prédiction horeca. Il semble même déplacé et indécent d’évoquer les politiques festives de la Ville de Bruxelles, les concepts de fêtes et de bars à venir et les programmations de festivals alors que les lockdowns, attentats, rumeurs, menaces, psychoses, manifestations, émeutes et autres embrouilles policières et politiques rendent l’avenir direct du monde des loisirs à ce point non seulement incertain, mais aussi très secondaire par rapport à nos priorités quotidiennes; survivre à l’époque, par exemple. Je ne pense pas non plus me montrer exagérément pessimiste si j’avoue craindre que l’on assistera sans doute cette année à quelques spectaculaires faillites dans le secteur ainsi qu’à, très probablement, l’instauration de quelques couvre-feux plus ou moins fondés et plus ou moins temporaires; pas seulement pour éviter les bombes humaines et les tirs de kalashnikovs mais aussi pour faire rentrer chez eux les protestataires de la Nuit Debout et tous autres manifestants non affiliés de près ou de loin à l’extrême droite (#ouicestunepique).

On en est là mais faisons le temps de cette chronique comme si nous n’y étions pas vraiment. Replongeons-nous dans cette époque insouciante d’il y a seulement quelques semaines, où les principales entraves à l’épanouissement de la vie nocturne semblaient rester les riverains des établissements de nuit ainsi que les bâtons posés par les pouvoirs publics dans les roues de ceux ayant la prétention de faire bouger la ville après 22h00. Dans ce contexte pas forcément encore obsolète, cet article récent de Slate reste tout à fait interpellant. On y apprend en effet qu’en France, le ministère des Affaires étrangères a publié fin octobre (avant l’état d’urgence, donc) un rapport proposant une nouvelle approche des politiques de la fête, tout spécialement à Paris. Le tourisme nocturne y est présenté non plus comme une nuisance mais comme un atout économique, à valoriser de la même façon que l’oenotourisme et les trips gastronomiques. L’idée est de placer une bonne fois pour toutes Paris, qui traîne toujours sa réputation de « ville-musée » poussiéreuse et ennuyeuse, sur la carte européenne des capitales de la fête; sans toutefois viser ce public technoïde réputé défoncé que même Berlin et Barcelone essayent désormais de virer.

La capitale française entend plutôt attirer des « city-breakers », « ces touristes qui épuisent une métropole en un week-end » et pour qui « la qualité de la nuit est déterminante » bien que pas forcément uniquement axée sur le clubbing. Comme le dit dans l’article Frédéric Hocquart, conseiller de la mairie de Paris délégué à la nuit: « On refuse de tomber dans le modèle d’Amsterdam ou Barcelone en disant « venez vous alcooliser rue de Lappe et vous bourrer la gueule rue Oberkampf! »«  L’offre lorgnerait apparemment plutôt vers ce que proposent généralement les Nuits Blanches, avec des parcs animés et des musées ouverts tardivement, des concerts à minuit, des quartiers gourmands aux heures d’ouverture élargies, etc. Bref, rien de vraiment neuf, ni de très original. Du citybranding dans toute sa polémique splendeur.

Ce rapport du Quai d’Orsay présente toutefois une petite révolution copernicienne. Décrié par certaines associations de riverains comme émanant du « lobby de la nuit », il casse en effet un petit tabou en considérant implicitement ces mêmes riverains comme un véritable frein au développement économique nocturne. Y est notamment évoqué un principe déjà appliqué à Barcelone et à Berlin mais jusqu’ici nié à Paris (ainsi qu’à Bruxelles): l’antériorité. Frédéric Hocquart le résume dans l’article de Slate de façon aussi parlante que marrante: « J’ai reçu en début de mandature un courrier de riverains de la place Pigalle qui me disaient: « est-ce qu’il pourrait y avoir moins de bruit place Pigalle la nuit? » En vérité, non, ça fait 150 ans qu’il y a du bruit place Pigalle la nuit donc il y a un principe d’antériorité qui s’impose! Il y a des quartiers qui historiquement sont dédiés à la nuit depuis la nuit des temps et il faut respecter ça. »

Selon Slate, la mairie de Paris ne serait donc pas (plus?) opposée à ce principe d’antériorité. On pense à Berlin, où si un promoteur immobilier veut construire un bâtiment à proximité d’un établissement de nuit, c’est à lui de s’assurer de l’insonorisation parfaite des nouveaux logements. C’est aussi vers lui que les autorités dirigeraient un locataire se plaignant du bruit, et non plus vers les propriétaires de la discothèque ou du bar voisins. À Bruxelles par contre, si un nouveau venu sur la Place Flagey y trouve les bistrots trop bruyants, la police est toujours susceptible de débarquer à 22h02 pour fermer le tout, même si Flagey était déjà bien pourvue en bistrots tapageurs du temps de l’INR, quand Jacques Mercier avait encore des cheveux. Autre point soulevé par Slate et qui pourrait être réétudié par la mairie de Paris: pourquoi, si un pochetron dégomme le pif d’un autre à la sortie d’un bar de nuit, le patron peut être tenu responsable de la rixe alors que si la même chose arrive dans une brasserie à midi, le propriétaire des lieux ne risque absolument rien?

On le voit, ça cogite et dans le bon sens encore bien. Il reste à espérer que ces réflexions passent aussi facilement la frontière que les djihadistes, que ces pistes puissent un jour se discuter par les pouvoirs publics bruxellois. Espérons surtout que ce genre de débat ne soit pas le résidu d’un monde désormais mort, celui dans lequel nous sommes entrés ce printemps avec pertes et fracas n’ayant peut-être plus du tout l’esprit à la fête.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content