Serge Coosemans

Sortie de mini-Ring: Take a walk on the wild side sur le piétonnier bruxellois

Serge Coosemans Chroniqueur

Aux terrasses, dans les barbecues et les dîners, on ne parle plus que de ça: ce piétonnier bruxellois que les politiques aimeraient tant nous faire aimer mais que tout le monde semble déjà détester. Serge Coosemans, enfant de la bruxellisation, a lui aussi son avis sur la polémique. Sortie de Route, S04E40.

Clodos, ivrognes, tox, bagarres, saleté… Yvan Mayeur voulait faire du nouveau piétonnier bruxellois son Times Square, c’est réussi. Il a celui de 1974. Tiens, 1974, parlons-en. C’est à peu près à cette époque que la bruxellisation m’est tombée sur le berceau. J’ai en effet vécu les premières années de mon existence au coin du boulevard Baudouin et de la chaussée d’Anvers. C’était un quartier alors bien vivant et commerçant, où mon grand-père possédait quelques magasins. En 1974, le politique a décidé de nous raser tout ça, dans le cadre du Projet Manhattan. Complètement mégalo, l’idée était de construire des tours de bureaux, comme à New York, et complètement snul, le nom du projet portait donc le même que celui du programme de bombes atomiques américain, ce qui relève non seulement d’une certaine arrogance mais aussi d’une imbécilité certaine. On a été 15.000 à se faire expulser. Je n’en ai pas vraiment de souvenir mais « peu après la destruction effective du quartier, nous rappelle Wikipédia, la crise économique laissa pendant des années un trou béant dans la ville ». Bref, je suis un enfant de la bruxellisation. La méfiance envers le promoteur immobilier et sa fidèle épouse la bureaucratie s’est inscrite dans mon ADN alors que je n’étais même pas encore scolarisé.

Plus tard, durant les années 80, un autre délire politico-urbanistique un poil mégalo (aujourd’hui, c’est moche, cheap, nul et vide) conduisit un membre de ma famille à la ruine. Il ne m’appartient pas de publiquement dévoiler le dossier mais ado, j’ai donc passé une bonne centaine de dîners à écouter se raconter pas mal d’histoires assez olé-olé impliquant des promoteurs véreux et la Ville de Bruxelles époque Hervé Brouhon qui auraient franchement pu servir de base à du bon Martin Scorsese, à du bon Jacques Audiard. Encore plus tard, quand j’ai commencé à beaucoup sortir la nuit et à vivre d’un boulot où faire causer les gens, j’en ai entendu des plus vertes encore, des moins mûres aussi. Pas besoin d’un dessin, pour une image nette, deux noms suffisent: François-Xavier de Donnea et Carl de Moncharline, dont le clash a été en son temps très médiatisé. Tout ce background fait que je ne peux pas avoir de Bruxelles une vision apaisée. J’ai au contraire de la Ville et de la façon dont elle fonctionne (essaye de fonctionner) une vision à la Chinatown de Polanski, à la James Ellroy même. Le schéma du « quelque-chose de pourri au Royaume de Danemark ». L’idée d’un système fou, avide, de nature à corrompre toutes les âmes et quelques comptes en banque.

Un village schtroumpf

Je vis donc dans un polar et c’est pourquoi le ministre régional Pascal Smet me fait tant rire avec ses déclarations aussi naïves qu’ahuries au sujet du nouveau piétonnier et des plans de mobilité. À l’entendre, on vivrait dans un village schtroumpf, un centre de wellness géant à ciel ouvert, une ville hyper-conviviale où le plus grand bonheur possible est de se poser le cul sur le béton de la place De Brouckère délivrée des bagnoles, de sortir des pêches au thon de sa boîte à tartines et de les bouffer à quelques mètres de la terrasse d’un Hector Chicken; ce qui en dit par ailleurs long sur le respect du petit commerce. Pascal Smet, c’est Mickey, il est drillé pour raconter des belles histoires aux familles mais quand on a comme moi une vision polar de ces choses-là, Mickey, on s’en fout. L’histoire qui compte, c’est ce que fabrique réellement Disney en coulisses.

Combien seront expulsés cette fois, de façon moins cash qu’en 1974 mais peut-être amenés à dégager en douce? Combien seront acculés à la ruine? Qui sont les gérants de parkings, quels sont leurs réseaux? De quoi une table de ping-pong en pleine jonction Nord/Midi est-elle le nom? Comme c’est parti, avec ce net côté « plaine de jeux géante pour crevards urbains », quel commerce un poil prestigieux irait s’installer sur un spot qui autant de chances de devenir la réponse bruxelloise au Meir d’Anvers, le but avoué de l’enroule, qu’un véritable coupe-gorges? Le nombre d’agressions va-t-il d’ailleurs augmenter maintenant que l’on sait que si on tire un sac sur le piétonnier, on y sera poursuivi par un flic en Segway, autant dire qu’il suffit de courir en zigzags à angles droits pour le semer très facilement? Chacun son opinion, et moi, j’ai la mienne: dans ma vie, deux piétonniers m’ont fait réellement flipper. En numéro uno, celui de Belfast, visité en 1989. Un mini-tank visait de son canon une camionnette de livraison et juste au-dessus de nos têtes, il y avait un hélico anglais en vol stationnaire avec un sniper de chaque côté. C’était angoissant mais à peine moins que mon petit passage par la Bourse, il y a quelques jours. On m’avait parlé d’un délire bobo, c’était plutôt du Lou Reed. Doo doo doo doo doo doo doo doo doo.

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