RVG, mauvais genre: « Je ne colle pas à l’idée de ce à quoi un singer-songwriter doit ressembler »

"Au début, personne ne voulait du disque. On l'a envoyé à un tas de labels indépendants, mais beaucoup en Australie sont liés à des niches et on ne rentrait dans aucune d'entre elles." (Romy Vager) © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Nouvelle sensation en provenance d’Australie, RVG révèle une impressionnante chanteuse transgenre à la voix puissante et androgyne.

Un dimanche. Une fin d’après-midi ensoleillée. Le paysage bétonné et les murs austères de l’Aéronef juché au dernier étage du principal centre commercial lillois. Première partie des Londoniens de Shame, RVG n’est pas plus british que chti. RVG, pour Romy Vager Group, vient d’Australie. De Melbourne pour être précis. La musique voyage entre le punk new-yorkais des années 70 (Television), le rock eighties de Liverpool (Echo and The Bunnymen) et l’indie pop néo-zélandaise du label Flying Nun. La voix, elle, est puissante. Pas clairement identifiée. Un timbre masculin de femme à la Chrissie Hynde, Patti Smith… Cette voix, c’est celle de Romy Vager donc. Jeune fille grande et large d’épaules moulée dans une robe aussi noire que sa longue chevelure. On le découvre le lendemain en préparant notre rencontre: Romy Vager est transgenre. Elle a une identité de genre différente de celle qu’on lui a assignée à la naissance. Le sentiment d’être du mauvais sexe. D’avoir le mauvais corps.

Si les transgenres secouent Cannes (caméra d’or, Girl raconte une fille prisonnière d’un corps de garçon), font la couv’ des magazines, deviennent égéries de grandes marques, défilent pour les plus grands stylistes quand ils ne sont pas lanceurs d’alerte (Chelsea Manning) ou stars d’émissions de téléréalité (ils représenteraient près de 3% de la population, pointait l’an dernier l’émission Question à la Une), le sujet reste nettement plus tabou que celui de l’homosexualité. « J’ai une approche du genre très différente de celle adoptée par beaucoup de trans et de gens ordinaires. Beaucoup d’artistes essaient de communiquer leur message de différentes manières, à travers différents médiums. Là où, moi, je vomis les choses. C’est mon style. Je suis plus proche d’Against Me! que d’Anohni. »

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Vager le reconnaît cependant. Antony Hegarty et ses copines de CocoRosie ont amené une vraie réflexion et une visibilité certaine aux questions de genre… « C’est génial. Génial et important. Ils sont l’une des raisons pour lesquelles je suis là devant toi aujourd’hui. Ils ont permis des choses même si ça reste de manière générale très compliqué pour nous. Depuis quelques années, les gens ont eu Anohni, Laura Jane Grace d’Against Me!… De nouveaux artistes doivent maintenant reprendre le flambeau, continuer le travail. Renforcer l’impact. Proposer aussi un plus vaste champ de créativité pour éviter de se retrouver enfermés dans des cases et des boîtes… Pour que chacun puisse faire ce qui lui plaît. En Europe, nous n’avons rencontré aucun problème avec le public, mais ça n’a pas été aussi facile en Amérique. Aux États-Unis plus qu’ailleurs, les apparences sont déterminantes. Et je ne colle pas vraiment à l’idée de ce à quoi un singer-songwriter doit ressembler. Plus précisément une singer-songwriter… Ça a donc été compliqué, dur et stressant. Chez nous, à Melbourne, on a une bulle. Une bulle arc-en-ciel. Comme à Austin au Texas. Mais le reste de l’Australie est vraiment effrayant. Effrayant et en retard. »

Vager n’est arrivée qu’à 17 ans dans la deuxième et plus cool agglomération urbaine du pays. Avant, elle a grandi dans la ville nettement plus réac d’Adélaïde. Elle préfère éviter le sujet. La douleur des souvenirs et des cicatrices sans doute. Mais Romy finit par en parler quand elle évoque son idole David Bowie. « J’ai assisté à un de ses concerts là-bas quand j’avais seize ans. Ça a vraiment été formateur. Quelque chose d’important. Bowie était différent de ce qu’on avait l’habitude de voir à Adélaïde. Différent de la musique que les gens écoutaient déjà. Mais ça allait bien au-delà de tout ça. Les mentalités y sont très fermées, très conservatrices. C’était un endroit effrayant où vivre avec un feeling queer… Rien à voir avec Melbourne, très à gauche. J’ai grandi dans ce genre de monde et la découverte d’artistes comme David Bowie a tout changé. » Sa mort l’a dévastée. « On bossait sur les chansons A Quality of Mercy et Heart Paste le jour où on a appris son décès. C’est assez étrange. La musique a été enregistrée avant qu’on sache. Et les voix sont marquées par la nouvelle. »

RVG, mauvais genre:

Lou Reed, Siouxsie et les Sisters of Mercy…

On imagine l’enfance difficile. L’adolescence cruelle et solitaire. Romy (ex-Sooky La La) ne s’est mise à la musique que tardivement. « Qui m’a donné envie de faire ce que je fais? J’aime beaucoup Andrew Eldritch des Sisters of Mercy. Une grande source d’inspiration. Je les ai découverts quand j’avais quinze ans. J’écoutais Green Day et d’autres trucs du genre à l’époque. Je n’avais pas encore trouvé ma place. C’était intelligent. Ça m’a vraiment happée et mis sur le chemin que nous arpentons pour l’instant. »

Si Melbourne semble avoir été une bénédiction pour Vager, l’arrivée ne s’y est pas faite en douceur. « J’étais vraiment fauchée quand j’ai débarqué. Je n’avais pas un rond. Je gagnais un peu de fric en faisant la manche à la sortie du shopping center. C’était vraiment effroyable« , commente-t-elle d’un petit éclat de rire. On imagine l’Australie des marginaux et des beautiful freaks. Celle des squats et des colocs à l’arrache. « Notre première rencontre doit remonter à cinq ans, retrace le guitariste de RVG Reuben Bloxham. Une pote s’était installée dans une maison partagée qui l’excitait tout particulièrement. On a sympathisé en partageant nos goûts pour la musique. Ce genre de choses. »

Outre David Bowie, on parle ici de Lou Reed, d’Echo and The Bunnymen, de Siouxsie Sioux. « Tous font dans cette énergie sombre, sont à la fois sérieux et passionnés, reprend Romy. Je n’aime pas trop toute cette musique youpie, on va passer un bon moment. Je veux que les artistes aient des choses à dire, à exprimer. Siouxsie Sioux, les Sisters et Robert Smith sont importants parce que c’est leur cas. Nick Cave? Trop dense pour moi. Trop verbeux. »

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À l’écoute de leur premier album (teinté de Go-Betweens) qui sort chez nous avec un an de retard, les comparaisons vocales sont aussi masculines que féminines. « C’est bizarre, non? J’imagine que c’est une bonne chose. » Romy y va à nouveau d’un sourire timide. RVG, elle ne le cache pas, est né par nécessité. « Au départ, c’était des chansons personnelles. J’ai enregistré une cassette pour le label d’un pote. Et comme je n’avais pas de groupe, j’ai demandé à Reuben, Gus et Mark s’ils voulaient m’aider. » Le coup d’un soir est devenu idylle rock’n’roll et RVG l’une des belles promesses d’une scène bouillonnante. Eddy Current Suppression Ring, The UV Race, Total Control, Courtney Barnett… La ville est depuis quelques années une référence. C’est dans les quartiers de Collingwood et de Fitzroy, où se trouvent toutes les salles de concerts, que quasiment tout le monde débute. « On peut dire qu’un endroit comme The Tote est l’une des plaques tournantes pour la musique alternative en ville. C’est là qu’on a enregistré notre premier disque et qu’on a donné notre concert pour célébrer sa sortie. C’est un petit bar un peu crade mais tu y entends toujours de la super musique. L’Australie en général, Melbourne et Perth en particulier, regorgent de groupes incroyables. C’est juste compliqué et cher pour nous de venir vous rendre visite en Europe… »

RVG, mauvais genre:

La quatrième dimension

The Bank, un autre haut lieu de la vie musicale à Melbourne, a récemment fermé ses portes. Reuben et Romy le regrettent d’autant plus qu’ils y ont habité. « C’était une grande et vieille maison de briques rouges sur deux étages dans le centre ville, brosse le premier. Une ancienne banque comme son nom l’indique. On y vivait avec quatre potes. Liam avait aménagé le lieu. Il organisait des concerts là où se trouvaient jadis les guichets et les employés. Beaucoup de musiciens ont gravité autour de cet endroit. Pas mal de groupes y ont répété. Ça a duré six ans quand même, je pense. Sans cette maison, on n’aurait sans doute jamais fait de musique ensemble. Je me promenais dans le hall. Et Romy m’a dit: « Tu veux jouer de la guitare sur ce truc que j’essaie d’enregistrer? » Ça se passait comme ça dans cette bicoque. Tout était naturel, décontracté. Il y avait aussi un tout grand jardin derrière où se prolongeaient les soirées. » Joies de la gentrification, les lieux accueillent désormais des appartements.

Romy ne tarit pas d’éloges pour la simplicité de T. S. Eliot et raconte être en train de lire M Train de Patti Smith. « J’adore ses mots et sa manière si passionnée de les délivrer. » Comme pas mal de chansons de The Fall, A Quality of Mercy, le premier RVG, a piqué son nom à un épisode de La Quatrième Dimension. L’histoire d’un soldat qui, après un coup sur la tête, se réveille dans la peau de l’ennemi. « Je suis une énorme fan de The Twilight Zone . Cette série me file la chair de poule. Elle dépeint un monde surréaliste et bizarre mais avec beaucoup de symbolisme et de morale. Si notre musique était un show télé, ce serait probablement La Quatrième Dimension. » La chanson parle de se mettre à la place de l’autre et renvoie à l’exécution en Indonésie pour trafic de drogue de ces deux Australiens membres des Bali Line. « On pensait que notre gouvernement pourrait faire quelque chose et les sauver mais ça n’a pas été le cas. La population chez nous a été choquée par ces événements. Mais il y avait aussi des conservateurs prônant l’exécution. Beaucoup de gens pensent que la peine capitale est une bonne chose. C’est une réponse à ça. »

Plus que de s’appesantir sur le rejet, le harcèlement, la violence dont les transgenres font l’objet (climat menant souvent à la dépression, l’automutilation, l’abus de substance dangereuse, voire au suicide), le disque parle surtout de perspective et d’empathie. Un acte de résistance au sexisme, au patriarcat et à l’intolérance…

RVG, A Quality of Mercy, distribué par Fat Possum/V2. ***(*)

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Quelques glorieuses aînées…

Wendy Carlos

RVG, mauvais genre:

Débarquée sur cette intolérante terre en 1939 à Rhode Island, Wendy Carlos fut l’une des pionnières de la musique électronique et permit à la manière d’un Pierre Henry sa reconnaissance par le grand public. Ambassadrice du synthétiseur Moog, la compositrice a cessé de se faire appeler Walter à la fin des années 60 avant de subir une opération de changement de sexe. Si sa notoriété a explosé en 1971 avec la BO d’Orange mécanique, elle a aussi signé la bande originale de Tron et de The Shining.

Jayne County

RVG, mauvais genre:

Plus connu sous le nom de Wayne County (and the Electric Chairs), Wayne Rogers fut la première rock star ouvertement transgenre. Ami d’Andy Warhol, pionnier du punk avec Patti Smith et les New York Dolls (il a fondé le groupe Queen Elizabeth en 1972 avec Jerry Nolan), Wayne County était un habitué du CBGB et du Max’s Kansas City. Devenu Jayne à Berlin en 1979, County, par ailleurs artiste plasticien, faisait récemment l’objet d’une rétrospective (Paranoia Paradise) à Manhattan. Sortie en 1996, son autobiographie s’intitule Man Enough to Be a Woman…

Anohni

RVG, mauvais genre:

Né à Chichester (Angleterre) en octobre 1971, Antony Hegarty fondait en 1990 à New York un collectif artistique de drag queens (les Blacklips) spécialisé dans le théâtre expérimental. Le nom de son groupe Antony and the Johnsons fait référence à Marsha P. Johnson, transgenre afro-américaine militante du mouvement de libération gay morte en martyre lors de la Marche des fiertés de 1992. En 2016, Anohni (son nouveau nom) décide de publier son premier album solo en tant que femme et devient la première artiste transgenre nommée aux Oscars.

Laura Jane Grace

RVG, mauvais genre:

« Si j’avais pu choisir, je serais né femme. Ma mère m’a avoué un jour qu’elle m’aurait appelé Laura », chantait Tom Gabel, en 2007, dans la chanson The Ocean. Sept ans plus tard, Against Me! sort l’album Transgender Dysphoria Blues. Marié et père de famille, Tom est devenu Laura, une femme longiligne à la poitrine timide. Motivé par la rencontre d’une fan transgenre, son coming out a étonné tout le monde. Ses musiciens et son entourage les premiers. Rétrospectivement, les appels dans ses textes sautaient pourtant aux yeux.

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