Le clair-obscur de Tamino

Tamino, une image de chanteur tourmenté et mélancolique. © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Remarqué avec le morceau Habibi, petit miracle de rock habité, l’Anversois Tamino sort Amir. Un premier album qui sublime la mélancolie, en la baignant dans une lumière levantine.

La première rencontre date d’il y a un peu plus d’un an. A l’époque, Tamino n’avait sorti que cinq morceaux, rassemblés dans un premier EP. Mais cela avait suffi à faire enfler la rumeur. Mieux: à 21 ans à peine, le jeune Anversois au prénom d’opéra (le héros de La Flûte enchantée de Mozart) se retrouvait directement programmé à l’affiche de deux des plus gros festivals de l’été: le Pukkelpop et Rock Werchter. Depuis, Tamino n’a pas vraiment baissé la garde, ni le tempo. Sa vie a forcément changé, mais lui pas vraiment. A peine devine-t-on aujourd’hui une plus grande assurance. Celle qu’amène le succès – surtout quand on n’a pas délibérément couru derrière, mais qu’on s’est juste contenté d’être au plus près de soi et de ses envies.

Je suis un garçon poli qui a toujours préféré Luke Skywalker à Dark Vador.

Son « tube » s’intitule Habibi. Une longue et lente ballade, qui sonne presque comme une prière, énoncée dans le silence d’une cathédrale déserte. Dans tous les cas, le morceau n’est pas vraiment calibré pour triompher en radio. Et pourtant… « C’est bien ce titre-là que j’ai envoyé pour le concours organisé par Studio Brussel. » Celui qui lui a permis de terminer parmi les lauréats du tremplin De Nieuwe Lichting, organisé par la toute-puissante radio jeune de la VRT. Encore aujourd’hui, il reste un peu sa signature. « Il m’a conforté dans l’idée que je dois rester attaché à ma musique, et la livrer telle quelle, sans compromis: cela reste la meilleure des choses à faire. » Habibi ouvre d’ailleurs son premier album, sorti il y a quelques jours. Le disque en question s’intitule Amir (son second prénom). Distribué à l’international, il est publié sur un label anglais (Communion), produit par le duo PJ Maertens et Jo Francken, et bénéficie sur au moins un titre du concours de Colin Greenwood, bassiste de Radiohead. Ah oui: ses trois concerts programmés à la fin du mois à l’Ancienne Belgique affichent complet. Difficile d’imaginer meilleur décollage…

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La voie du Nil

Amir compte douze titres, dont les cinq de l’EP. « Parce qu’ils sont importants, et qu’avec le temps, c’est l’album que l’on retiendra. » Ils ont toutefois été réenregistrés. Dans leur première version, ils se tenaient au minimum. Entre-temps, ils ont été enrichis de nouvelles textures sonores. « J’avais l’impression qu’on pouvait les pousser encore un peu plus loin. Je souhaitais aussi éviter que l’album ne sonne trop monotone, par exemple, en injectant ici et là l’une ou l’autre touche électronique un peu plus froide. J’aime les contrastes. Et si je voulais un disque « chaud », je n’avais pas envie non plus qu’il se transforme en une couverture un peu trop moelleuse. Il fallait qu’il y ait du relief, des arêtes. »

C’est l’avantage d’avoir sorti d’abord un EP. Certes, il dissipe l’effet de surprise que constitue un premier album. Mais il permet aussi d’affiner le tir. Voire de corriger certains premiers malentendus. Comme par exemple cette image de chanteur tourmenté, attiré par la noirceur. Les comparaisons – vocale et physique – avec Jeff Buckley, étoile filante du rock nineties noyée dans les eaux du Mississipi, n’y étant pas pour rien… « Mes producteurs m’ont bien cerné. Un jour, ils m’ont expliqué qu’il y avait deux types de chanteurs: les héros et les antihéros. Et j’ai beau adorer des gens comme Serge Gainsbourg ou Tom Waits, je ne suis pas moi-même un antihéros. Je suis un garçon propre et poli (sourire). J’aime la beauté, et une certaine majestuosité, ce ne sont pas des choses qui m’effraient. Au cinéma, j’ai toujours préféré Luke Skywalker à Dark Vador, par exemple (sourire). Ce qui ne veut pas dire que le héros n’a pas de problèmes. Au contraire. C’est justement parce qu’il a aussi des fissures que l’histoire reste malgré tout intéressante. »

Le clair-obscur de Tamino

La mélancolie est bien l’un des éléments clés de la musique de Tamino. Mais elle est une force motrice, assure-t-il, pas un poids qui plombe et tire vers le bas. « Dans tous les cas, je ne veux pas qu’elle sonne comme une plainte. Je n’aime pas ça. Il y a bien une certaine langueur, mais je veux l’embrasser, l’accepter, et la baigner dans une lumière. Pour les clips et le visuel de la pochette (NDLR: réalisés par son petit frère Rami), nous sommes par exemple partis en Egypte pour retrouver cette lumière si particulière. » C’est là aussi que se trouve une partie de ses racines familiales. Né en 1996, d’une mère belge et d’un père égyptien, Tamino-Amir Moharam Fouad est aussi le petit-fils du grand chanteur Moharam Fouad, surnommé dans les années 1950 « La voix du Nil ».

Ce patrimoine familial qui était jusqu’ici à peine suggéré est à présent davantage assumé et mis en avant. « Au début, on me comparait souvent avec des musiciens occidentaux établis: Leonard Cohen, Buckley, Radiohead, etc. Ce que je comprends, parce que ce sont en effet des gens que j’écoute et qui m’inspirent. Mais j’ai aussi tout un héritage musical du côté de mon père. C’est un peu ce que l’EP m’a fait comprendre. » Sur Amir, l’influence musicale arabe est donc davantage présente. Notamment dans des paysages sonores que la musicienne Inne Eysermans a échafaudés à partir d’anciennes cassettes du grand-père de Tamino. Mais plus encore par des cordes spectaculaires. « Le but n’était pas de glisser des éléments arabes pour faire un peu roots. Il fallait que cela sonne juste, que le morceau les suggère. Par exemple, pour amener une certaine splendeur, une grandeur au morceau. A nouveau, je ne voulais pas faire le disque guitare-voix d’un songwriter, seul, dans sa chambre, avec son verre de whisky » (rires).

Sur un morceau comme Indigo Night, Tamino se fait ainsi accompagner par un ensemble de cordes. Il s’agit de Nagham Zikrayat, groupe bruxellois d’une dizaine de musiciens passionnés de musique arabe. « Ils m’avaient contacté parce qu’ils avaient préparé un concert autour des morceaux de mon grand-père, et voulaient me proposer d’en interpréter quelques-uns. Mais je ne parle même pas la langue, je me voyais mal les chanter juste phonétiquement. Par la suite, je les ai rappelés pour l’album. La formation comprend trois, quatre Belges. Mais tous les autres sont des musiciens arabes, la plupart syriens. Ils ont fui leur pays, ont souvent tout perdu: leur famille, leur maison, leur carrière. Et pourtant, ils sont parmi les gens les plus professionnels, optimistes, et chaleureux que j’ai pu rencontrer ». La lumière, malgré tout…

Tamino, Amir, distr. Communion.

En concert les 29 et 30 novembre et le 1er décembre à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles.

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