Karin Clercq: « La mise en avant d’une profonde injustice me touche beaucoup »

Avec La Boîte de Pandore, Karin Clercq signe un quatrième album en adéquation avec les désirs forts du moment. © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Près d’une décennie après son dernier album solo, Karin Clercq revient avec La Boîte de Pandore, album charnel qui distille aussi des chansons politisées par l’époque.

« Poseuse? Oui, je le suis depuis l’âge de 5 ans environ, dès que je suis face à un objectif photographique. Alors qu’en dehors, absolument pas! » Karin Clercq rigole tout en secouant sa chevelure cendrée alors qu’une incandescente lumière d’automne couvre le cimetière schaerbeekois où l’on prend des images. Juste derrière la maison acquise par Karin et son compagnon, agréablement aménagée en lieu de bureaux et salles de répétition: BaliMurphy et Faon Faon y ont leurs quartiers, des comédiens viennent s’y chauffer les dialogues. Dans un esprit d’évidence communautaire, pas très éloigné de la matrice de La Boîte de Pandore, entamé et conclu par des chansons engagées. Même si Karin Clercq n’est pas la nouvelle Colette Magny, icône d’extrême gauche dans les années 1960-1970: « Le titre Antigone traînait dans ma tête après avoir lu la version d’Henry Bauchau, qui tranche sur celle de Jean Anouilh naturellement inspirée de l’histoire de Sophocle. Antigone dénonce les lois injustes et concentre toutes les douleurs du monde, elle finira condamnée à mort. »

Des reflets pop que ne renierait pas Franu0026#xE7;oise Hardy, dont Karin cousine la voix, fluide, au0026#xE9;rienne, ru0026#xEA;veuse.

Personne ne mettra au pilori Karin, 46 ans, même si, en ces temps frileux, avouer de la sympathie pour les migrants, voire les héberger, s’avère périlleux. Le thème de la générosité partagée est au coeur d’Antigone, chanson qui cite les Mères de la place de Mai, en Argentine, et Malala Yousafzai, militante pakistanaise des droits des femmes, victime d’une tentative d’assassinat des talibans en 2012. « La mise en avant d’une profonde injustice me touche beaucoup, avec cette question permanente: comment puis-je participer à tout cela en étant honnête, de moi à moi? Qu’est-ce qui est juste? En tout cas, pas ces deux journalistes belges récemment menées devant les tribunaux pour avoir hébergé des migrants. » Pareille interrogation se pose à l’ouverture de l’album avec J’avance, où le destin des égarés des mers fait figure de mauvais karma aux sourdes responsabilités occidentales. Le tout dans des reflets pop que ne renierait pas Françoise Hardy, dont Karin cousine la voix, fluide, aérienne, rêveuse.

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Au départ de carrière, il y a donc une jeune fille socialement installée – père architecte, grand-père avocat – nourrie aux classiques Beatles, Stones, Leonard Cohen et Cat Stevens. On imagine qu’elle en conserve la mémoire mélodique, y compris lorsqu’après vingt ans passés à Louvain-la-Neuve, elle décide d’apprendre le métier d’actrice au conservatoire de Liège. Diplômée en 1998, elle ajoute à son cursus une licence en histoire de l’art, l’ensemble nourrissant des envies multiples. Des interprétations scéniques du britannique Harold Pinter ou de l’auteur dramatique belge Stanislas Cotton, mais aussi un désir personnel d’écriture qui l’amène à la musique: « Je me suis rendu compte que cela m’offrait d’autres rôles, que ceux déterminés par mon apparence physique. »

Femme X

Une rencontre avec le turbulent breton Guillaume Jouan, guitariste de Miossec, produit deux albums, dont le premier paru en 2002, Femme X, fait impression, y compris en France. « Je n’ai pas d’emblée compris ce qui se passait, j’avais l’impression d’avoir un peu doublé l’ordre naturel de la file vers le succès, vivant tout au jour le jour. » Elle en vend 12.000 exemplaires, chiffre revu à 7.000 pour Après l’amour en 2005 qui précède la crise du disque et la grande lessive discographique. « J’ai reçu un coup de fil de mon label Pias (compagnie bruxelloise) qui me faisait passer à la trappe. » Karin en déglutit encore une bonne décennie plus tard, tout en décrivant un parcours artistique diversifié au fil du temps. Sans jamais de garantie perpétuellement offerte à l’incertain métier de musicienne: pas plus tard qu’en 2015-2016, elle s’est embarquée avec un producteur belge qu’elle ne veut pas nommer, dans une sarabande de 25 titres « qui étaient ses compositions, sans doute trop mainstream et trop lisses pour moi ». Menant à une rupture et la nécessité de tout redémarrer musicalement.

Pareille erreur d’aiguillage est évitée sur La Boîte de Pandore, quatrième album en adéquation avec les désirs forts du moment. Rincée par d’autres expériences comme la constitution du groupe-concept Kate & Joe BB, d’un projet destiné aux enfants avec sa copine chanteuse Marie Warnant et du dessinateur Marco Polo, ou d’une apparition en fliquette dans la série de la RTBF e-Legal. Tout cela s’efface devant le disque actuel, aux évidences radiophoniques (Je garde, Le meilleur qui nous reste) et nourri de références littéraires, comme celles d’Alfred Musset noyautant deux titres. Sans oublier la reprise ponctuée de l’ambitieux Madame rêve de Bashung. Le disque installe aussi Emmanuel Delcourt et Sacha Toorop: le premier, citoyen français installé à Liège où il joue avec plusieurs groupes locaux (Roscoe, My Little Cheap Dictaphone) en a produit les douze titres, avec une acuité sonore rendant justice au charme de la proposition. Le second, Liégeois devenu Bruxellois, joue de la batterie sur les chansons et partage le chant avec Karin sur Je garde, d’une jolie incertitude mélancolique.

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Jeunes filles en fleurs

Un opus dans une économie « ni jeune ni rap », c’est-à-dire devant provoquer la curiosité d’un public francophone en quête de qualité. Incarnée dans Presque une femme, que ne renierait pas Camille, tissée de la féminité vocale de Karin et d’une batterie réduite à sa pulsation de coeur rythmique. « Ce titre s’inspire d’un journal intime de la fin du xixe siècle consacré aux jeunes filles en fleurs. J’avais travaillé l’idée dans un spectacle théâtral en 2010 et là, j’ai pensé à la situation prévalant dans beaucoup de pays, où la femme fait encore face à toutes sortes de violences. On a pu tourner dans la maison de l’architecte Art nouveau, Paul Hamesse, et d’une de ses autres réalisations bruxelloises, l’ex-Ultieme Hallucinatie, avec une jeune actrice formidable, Elsa Houben. » Sans doute le moment qui incarne le mieux la vibration Karin Clercq, blonde impliquée qui n’en fait pas toute une histoire, juste de belles chansons.

La Boîte de Pandore est distribué par Freaksville Records. En concert le 9 octobre au Botanique, à Bruxelles; le 15 décembre au Jardin Passion, à Namur; le 18 janvier 2019 à la ferme du Biéreau à Louvain-la-Neuve.

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