Everyone Is Guilty: « Perdre le contrôle m’a toujours effrayé »

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Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Liégeois aux racines italiennes, Mirco Gasparrini poursuit avec Everyone Is Guilty fantasmes US et psaumes bibliques via un folk-rock volontiers déviant, enregistré au Colorado.

« Quand j’entre en Italie, dès que j’ai franchi la frontière, c’est difficile de ne pas penser à la famille, aux parents et aux grands-parents, à l’odeur unique qui m’entoure. Je suis de la première génération née en Belgique et comme beaucoup dans ce cas-là, il m’arrive de ne me sentir ni belge, ni italien. » Au moment de prendre congé après deux heures remontées au fil du temps, Mirco a pour lui un physique qui ne laisse aucun doute: ayant davantage sa place dans un film de Dino Risi -ou Le Parrain de Francis Ford- que dans une lubie nordique de Lars Von Trier. Là, sur le trottoir de l’au revoir provisoire, il se rappelle donc de la meilleure part du cochon transalpin artisanal: lui, végétarien depuis cinq ans, désigne la zone du goret, titulaire de la plus grande tendresse imaginable. La chair du cou. Une invisible langue passe même entre les lèvres du chanteur-banjoiste-guitariste. « Quand mes parents reviennent d’Italie où un oncle fait de la charcuterie, j’avoue que je craque brièvement, alors que je ne mange plus de viande. »

Végé tatoué, né en 1981 à Saint-Nicolas, Mirco n’est pas seulement poivre et sel via son impeccable torrent capillaire cendré, mais tout autant dans son mélange de musiques gourmandes. « Cet album, c’est ma façon à moi, de faire rencontrer l’univers de la country originale, celle d’Hank Williams, et mon amour pour Godspeed You! Black Emperor, ce côté drones et bidouillages. » De fait, A Wolf & A Lamb, 33 Tours à double splendide pochette offrant aussi un CD -glissé à l’intérieur- propose neuf titres à diverses températures, accumulant les digressions sonores qui réfutent la simple ligne droite americana. Malgré un passé familial agnostique -« chez moi, il n’y avait pas de Jésus mais un poster du Ché »-, Mirco explique travailler sur la matière religieuse, en dehors du culte. « L’iconographie divine m’attire: je suis fan de science-fiction et la religion en est une! J’aime les églises parce qu’en y entrant, on se coupe du reste du monde, on respire, cela n’a rien de mystique. C’est pour cela que je suis attiré par les psaumes, comme autant de narrations au contenu d’ailleurs assez dur: pour moi, il s’agit davantage de poésie que de religion. Par exemple, Fire Horses est inspiré de L’Apocalypse de Jean, disant que ceux qui n’ont pas cru en Dieu vont mourir. Le disque croise aussi ces fables de La Fontaine qui dirigent la pensée des jeunes lecteurs: on y inculque plutôt le rôle social de fourmi alors que je me sens bien plus cigale. Tout cela draine un traitement de la culpabilité, même si cela ne plaira pas forcément aux monothéistes. Je suis un peu comme Léo Ferré qui était contre la religion mais s’entendait très bien avec un certain copain curé: le double jeu est dans ma façon d’écrire. »

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Vivants

Mirco est donc plus monomaniaque que monothéiste. Petit-fils de grands-parents de Sicile et Ombrie invités à venir suer à la mine belge -ils décideront de faire autre chose-, il grandit avec le répertoire du père, Beatles, Who, Slade, et les goûts d’une mère tombée jeune dans Cure, Joy Division et les Smiths. Rajoutez-y quelques incunables de là-bas -dont le fondamental Lucio Battisti (1943-1998)- et vous avez la parfaite histoire d’amour musicale qui efface le reste. Après un break en institut d’horticulture, Gasparrini Jr échappe donc au moule: « J’étais aimé de mes parents, et c’est toujours le cas d’une relation partagée, mais j’avais peur du boulot-famille-enfants-chien (sic) , donc vers 20 ans, fou de musique et désireux d’en faire, je suis parti de chez moi et ai fait mille boulots. Dont un que j’adorais dans une vidéothèque du Boulevard de la Sauvenière. Depuis lors, je bosse d’ailleurs un double temps plein: employé dans un lieu culturel de la région liégeoise et musicien. »

Le gamin de onze ans qui adore Renaud et se tatoue -pour du faux- des têtes de morts sur les bras parce que bluffé par Guns N’ Roses est donc aujourd’hui ce trentenaire multi-tatoué pour du vrai « qui ne comprend pas la violence et déteste les films de Tarantino. Perdre le contrôle m’a toujours effrayé. » D’ailleurs, quand Mirco sourit, son apparence biker glisse vers l’humanisme rock’n’roll. L’ex-jeune mec ayant bossé chez Oxfam tisse plus que jamais des relations basées sur la générosité, la confiance et l’envie de plaisir partagé. Donc, l’hiver dernier, Mirco se retrouve à enregistrer à Lakewood, Colorado, l’actuel projet Everyone Is Guilty avec Jérôme Mardaga, à la basse et aux guitares, et Pierre Mulder, aux percussions. Simplement, parce que x années auparavant, il a flashé sur le son de Denver et en particulier celui du Slim Cessna’s Auto Club, groupe du Colorado qu’il se met à adorer et même à aller voir en concert, faisant 8000 km d’avion juste pour un gig de fin d’année. En deux semaines de fin 2017, dans le micro-studio improvisé de Slim Cessna, l’album est bouclé et, en grande partie, autofinancé avec un coup de main de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « C’était vraiment l’occasion d’un échange avec Slim qui nous a même emmenés dans la maison de ses parents, au milieu de nulle part« , précise Mirco, qui travaille également à d’autres projets. Comme sa série d’albums Vivants dont le premier tome s’est fait avec Rudy Trouvé (dEUS, Dead Man Ray, Kiss My Jazz), en trois jours d’impro dans un studio liégeois. Histoires à suivre.

Everyone Is Guilty:

Everyone Is Guilty – « A Wolf & A Lamb »

Distribué par Rail Rider Records. ***(*)

Dès le premier titre introduit au banjo, l’americana conventionnel se fait poivrer par des détournements sonores qui interviennent, masqués, dans les mélodies rassurantes. Les codes US des chansons sont pourtant bien là -jusqu’au coup de pedal steel guitar sur le très beau Fire Horses- mais la fluidité des instruments acoustiques n’est qu’un écrin susceptible de traumatismes. Particulièrement dans les douze minutes de Gods Or Nothing clôturant l’album en mode épique: entre ballade laiteuse et BO de film voyageur montant jusqu’au crescendo bruitiste de fin. Apocalypse Now?

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