Serge Coosemans

Et si le cracheur de feu et le comique pas drôle étaient l’avenir du festival musical?

Serge Coosemans Chroniqueur

Serge Coosemans nous avait à peine envoyé son billet de la semaine dernière opposant les festivals au clubbing qu’il tombait sur deux articles en contrariant quelque peu le propos. Pas grave, l’important est de déceler le bullshit et de sarcastiquement s’en délecter, nous explique-t-il. Sortie de Route S04E36.

La semaine dernière, j’avais à peine envoyé ma chronique sur les festivals et le clubbing à la rédaction que je tombais sur deux articles en contrariant quelque peu le propos. Le premier, que je ne retrouve plus mais qui reprenait le même genre d’infos que ce LIEN – sur un ton toutefois nettement plus alarmiste – laissait entendre qu’en France, le festival n’avait peut-être pas beaucoup d’avenir. Histoire de réduire les déficits, le gouvernement Hollande a en effet prévu de raboter de 11 milliards d’euros sur 3 ans les dotations aux collectivités locales, ce qui entraîne des coupes drastiques dans les budgets culturels. Ce régime sec produira déjà quelques effets tout au long de cette saison 2015: entre 80 et 90 rendez-vous culturels estivaux habituels n’auront tout simplement pas lieu. D’autres dureront moins longtemps et certains seront même fusionnés. Les festivals musicaux sont en principe moins concernés par ces mesures, car leur modèle économique repose a priori davantage sur la vente de billets que sur les subventions mais on sait par ailleurs que certaines municipalités d’extrême-droite, de droite, et même de gauche, se gênent de moins en moins pour faire connaître leur désamour des musiques électroniques et du rock; ces grosses nuisances, ces attractions pour Français qui se lèvent tard. Donc, tout va mal dans le secteur. D’autant plus mal que dans un pays où ça va en principe un peu mieux, le Royaume-Uni, l’avenir même du concept de festival se discute ferme, là aussi.

« Il y a trop de festivals pour trop peu de grands groupes susceptibles de faire de bonnes têtes d’affiches. Nous n’avons plus d’artistes du calibre de Madonna et des Rolling Stones. Nous n’avons même plus d’artistes du calibre des Arctic Monkeys, de Coldplay et de Muse. En plus, les gens n’écoutent plus d’albums alors que la plupart de ces grands artistes bâtissent leurs réputations sur la longueur. Ils peuvent sortir trois albums avant de vraiment maîtriser leur art, de devenir vraiment bons, mais les jeunes ne veulent pas de ça. Ils aiment un morceau, un son, et puis c’est tout, ils passent au truc suivant. C’est pourquoi je pense que les festivals de musique sont probablement en bout de course. Ce qui va se passer, c’est que de plus en plus d’évènements vont se développer où il n’y aura pas juste que de la musique mais aussi de la poésie, des bouquins et de la magie. Il va y avoir beaucoup plus de petits festivals proposant chacun quelque-chose de très différent, quelque-chose de plus que juste un grand champ plein de gens où on hésite à chercher les toilettes de peur de rater le groupe qui joue sur scène. »

Traduit et synthétisé par mes soins, c’est Harvey Goldsmith qui parlait ainsi au Guardian, la semaine dernière. À 69 balais, Goldsmith est un poids lourd de l’industrie musicale britannique, qui organise des concerts depuis 1975 et travaille avec les plus gros vendeurs du rock et de la variété. Goldsmith a quelques idées pour ces jeunes qui aiment les sensations et les sons plus que les albums et les artistes corporate. L’année prochaine, en juin, il leur fera ouvrir toutes grandes les mirettes devant un adaptation théâtrale ultra-technologique de The Hunger Games. Plus tard, il est question de présenter d’une façon a priori similaire la vie d’Anne Frank.

Less is More

Bref, au plus loin se tiendra ce genre de type du secteur des loisirs culturels, au mieux quelqu’un comme moi se portera. Dans ma chronique de la semaine dernière, le mot magique, celui à bien imprimer, était « forain ». Marre des délires wizz, du gigantisme, des attractions pouet-pouet, du clinquant, du faussement cool! Less is more, toujours: French Connection plutôt que Bad Boys 2, une saucisse, un oeuf et des toasts plutôt qu’un interminable brunch, 3 punks et 3 accords plutôt que Christine, ses Queens et un ensemble classique, un all-nighter de 300 personnes plutôt que 250 DJ’s sur 12 scènes… Si l’avenir, ce sont des festivals avec des clowns, du stand-up, une foire du livre et des cracheurs de feu, on peut d’ores et déjà imaginer bien des horreurs. Exemples: un village médiéval à Dour (version Peste Noire, c’est déjà le camping, cela dit). Aux Francofolies, une blagounette de Jérôme de Warzée entre chaque morceau de Marie Warnant et pas le moindre pelé, ni le moindre tondu, pour applaudir Flavien Berger s’il joue au même moment que se tient la séance de signatures de Marc Lévy. Couleur Café devient Couleur Kimchi, le festival de la fusion ultime. Sans lactose, sans sucres raffinés, sans gluten. Mais avec Omar Sy et le Grand Orchestre des Anciens de Top Chef. Et au Brussels Summer Festival, en tête d’affiche, l’immeeeense Pierre Mertens et ses éblouissements, juste après la reformation des Thompson Twins. Brussels Summer Festival qui peut d’ailleurs fusionner avec la Foire du Midi et Le Salon de l’Alimentation.

Dans un pays aimant autant les festivals musicaux que la Belgique, tout cela semble nettement improbable. Certains ne vont donc pas manquer de m’accuser de noircir et de caricaturer le tableau comme je l’aurais fait la semaine dernière pour le clubbing, même si ce que je racontais la semaine dernière sur le clubbing n’était pas qu’une opinion personnelle. En fait, il s’agissait surtout de la mise en scène de propos souvent entendus dans l’industrie et notamment défendus par Peter Decuypere, la légende noctambule jadis derrière le 55 de Kuurne, le Fuse des grandes années et I Love Techno. Dans l’Electronic Music Art Report de 2015, un bouquin à tirage limité publié par Hello Bank et l’agence Trendwolves, c’est surtout lui qui parlait de clubs dépassés par les festivals, de clubbing obligé de se réinventer. Pour Decuypere, l’avenir sur lequel miser, ce sont même plutôt essentiellement des events de jours comme Technoon et WECANDANCE.

Évidemment, ce genre de propos est à prendre avec beaucoup de pincettes. Peter Decuypere et Harvey Goldmsith ne sont pas que des observateurs, ce sont surtout des acteurs à part entière des secteurs dont ils parlent. Ils ont des choses à vendre, des projets, des confrères et des amis à faire mousser. Daft Punk ou Coldplay ne sont pas pour l’un et l’autre des auteurs de sons à simplement consommer mais des modèles de ce qui marche encore bien dans un secteur profondément en crise. Leur vision n’est forcément pas la même que celle de jeunes qui débutent avec l’envie de tout casser ou de quadras moqueurs observant avec une délectation très sarcastique l’aquarium aux requins. Leurs idées, leurs visions, sont des paris plus ou moins ouvertement commerciaux sur l’avenir. A défaut de prophéties certaines, de belles inspirations, ce sont surtout d’excellents sujets de papiers ricaneurs. Dont acte, forcément.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content