Serge Coosemans

Crash Test S03E38: Tomorrowland, qui est à la culture électronique ce que Joseph Staline était au communisme

Serge Coosemans Chroniqueur

Dans le dossier « Tommorowland », mieux vaut vite oublier le livre récemment publié par Thierry Coljon et sa fille et plutôt se concentrer sur les justifications de Laurent Waucquiez, pour qui subsidier un festival tient moins de la culture que du tourisme. Pomme, oeuf, communisme et révolutions coperniciennes, c’est le Crash Test S03E38.

Je ne mettrai sans doute jamais un orteil de ma vie à Tomorrowland. Ce n’est pas mon idée du plaisir, qui souffre rapidement de vertiges existentiels et de pulsions haineuses dès que l’on dépasse le cadre du petit club de 300 personnes où une méchante sono fait trembler les narines et propage l’amour. Mon absolu, c’est le Loft de David Mancuso, pas 200 000 bros qui font la chenille sur du Tiesto un drapeau national dépassant de la raie. Je n’y mettrai donc jamais les pieds mais en soi, « le phénomène Tomorrowland » m’intéresse. Je me fous du cirque mais pas des coulisses du cirque, de leurs impacts, de leurs effets pervers. Il me botte de savoir ce qui se trame derrière les châteaux en carton-pâte, la clé USB de David Guetta et les boulettes sauce tomate qui se payent en perles : le politique, le plan de domination planétaire, l’impact sociologique, le pourquoi de la faillite aux Etats-Unis… Plaisantant à peine, je pense aussi que Tomorrowland est à la culture électronique ce que Joseph Staline fut au communisme : si on laisse faire en regardant ailleurs et en minimisant ou en niant les dérives, c’est une autre utopie éventuellement au départ plutôt correcte qui se terminera en drame moral et humain, ainsi qu’en épouvantail absolu. Toutes proportions gardées, bien entendu.

Et donc, parce que j’aime bien lire et apprendre sur Tomorrowland, je me suis acheté le « Tomorrowland, Témoin d’une Génération » publié par Morgane et Thierry Coljon aux éditions Lamiroy. Personne ne va me croire mais c’est comme ça. Je l’ai acheté en espérant en tirer autre chose que des fous rires, même si, oui, Thierry Coljon, le vétéran du journal Le Soir qui reste au journalisme musical ce que Jean-François Deniau était à la Résistance française, est l’une de mes têtes de Turc favorites depuis toujours. Seulement voilà : il n’a en réalité pas vraiment écrit ce livre (a priori, du moins…), vu qu’il s’agit en fait du mémoire de sa fille, remis à l’ULB en 2015, et juste un peu assaisonné par la suite. Le peer-review, le cachet académique, tout ça… Je m’attendais vraiment à un peu plus de sérieux que d’habitude… Mais la proverbiale pomme ne tombe jamais loin de l’oeuf. Chez les Coljon, le sens de l’approximation maousse se transmet de père en fille. Ainsi, dans le livre, Martin Scorsese, assistant-réalisateur sur « Woodstock, Le Film », en devient le co-producteur. Le gabber, techno hardcore qui tourne généralement aux alentours de 160 BPM, bourrine déjà à 120, tout comme le disco. Liaisons Dangereuses, la légendaire émission anversoise de Sven Van Hees et Paul Ward, lancée en 1985, devient bruxelloise et vieillit de 5 ans (de la new-beat en 1980, oué fieu…). L’angle du bouquin est lui aussi problématique puisque Tomorrowland y est rattaché à Woodstock sur des pages entières mais ni à Castlemorton, la rave de 40 000 personnes qui a fait flipper le gouvernement britannique, ni à la Love Parade de Berlin et son million de participants ; ancêtres pourtant plus légitimes que le festival rock de 1969. Mais passe encore, allez…

Tomorrowland, qui est à la culture électronique ce que Joseph Staline était au communisme

Ce qui passe moins, c’est que la faillite de SFX Entertainment, la boîte qui avait aidé à importer le concept Tomorrowland aux Etats-Unis, est expédiée en quelques lignes seulement alors que la Coljon Family s’épanche à fond sur ce qu’il a moyen de bouffer sur le site de Boom ! Or, cette faillite a été largement commentée dans la presse américaine et il y a des choses tout bonnement ENORMES à en dire, rigolotes aussi, car c’était là une belle bande de gros kékés à la Wolf of Wall Street. Le bouquin ne touche pas non plus un traître mot sur Laurent Waucquiez, politicien français de droite pourtant au centre d’une gigantesque polémique en rapport avec l’édition de Tomorrowland prévue à l’Alpe d’Huez en mars 2019. Waucquiez a en effet débloqué 400 000 euros de subventions issus des caisses de la région Auvergne-Rhône-Alpes pour un festival qui n’en a jamais réclamé. Le monde culturel, pas que local, s’en est offusqué. Au pays de l’exception française, des petits producteurs se sont plaint de la belgo-américanisation de leur culture festive et tout l’Internet frenchie s’est indigné pour une bonne demi-heure, avant de passer à autre chose, les mauvaises blagues bretonnes du Président Manu, par exemple. J’ignore toujours si c’est juste une pirouette ou une exactitude comptable mais Laurent Waucquiez a, dans la foulée, cru bon de préciser que l’argent en question ne venait pas des caisses réservées à la culture mais plutôt de celles consacrées au tourisme et au développement économique régional.

Ce qui est magnifique, du moins si on a l’esprit aussi rigolard qu’emmerdeur. Parce que cela revient en fait à publiquement et médiatiquement reconnaître quelque-chose que tout le monde admet mais que tout le monde continue de très consciemment balayer sous le tapis, à savoir qu’un festival tient vraiment davantage de la promotion du tourisme et du branding territorial que de la culture. Ce qui, si on pousse un peu, pourrait déclencher une bonne grosse révolution copernicienne. Imaginez en effet que ce soit le pognon du développement touristique qui finit désormais chez les bookeurs internationaux. Diplo et les Chemical Brothers se font payer par l’argent généralement mis de côté pour repeindre les cabines de plages et imprimer les folders de cryptes et dès lors, le budget alloué à la culture sert plutôt à financer des bibliothèques, des festivals de films, des parcours de découvertes graphiques et plastiques, des rénovations de musées et même de gros concerts mais gratuits et sur des places publiques plutôt que dans des enclos privatisés où se faire sucer 500 boules en 48 heures. Cette vision est un peu communiste, je sais. J’assume. Comme je disais plus haut, tout n’était pas à jeter là-dedans, avant Staline. Et puis, si je devenais un jour Soviet Suprême 2.0, devinez un peu qui sera envoyé le premier dans les mines de sel avec son petit seau et sa petite pelle ?

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