Couleur Café : Ladies first

Angèle © Vanessa Rasschaert
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Vendredi soir, Couleur Café démarrait sous le soleil, en jouant à guichets fermés. Compte-rendu d’une première soirée où les filles ont pris le pouvoir.

On oublie vite. En 2017, Couleur Café quittait son site historique de Tour & Taxis pour débarquer au Heysel, au pied de l’Atomium. Un an à peine plus tard, c’est presque comme si le festival avait toujours été là, reconquérant un public qui avait commencé à se lasser des pavés du canal. Vendredi, c’était en effet déjà la grande foule, guidée, il faut dire, par un soleil éclatant. Résultat : un premier sold out, 23 000 personnes en tout – ce qui a pu se ressentir aussi, dans les files aux bars notamment…

Sans doute une bonne partie était venue pour assister à la première sortie estivale de Damso, boss du rap belge, voire francophone. Pourtant, et l’intéressé lui-même ne nous en voudra pas, ce qui a peut-être le plus marqué les esprits lors cette première soirée, c’est bien la prise de pouvoir des femmes sur l’affiche. Quand on voit comment la parité dans les programmations musicales de l’été reste une vaste blague, force est de constater qu’à Couleur Café, volonté délibérée ou pas, les artistes féminines sont particulièrement présentes. Quand on arrive, c’est ainsi Angèle qui occupe la scène principale, pop bubblegum parfaite pour ce moment de la journée, tandis que, juste à côté, l’Anglaise Mahalia fait infuser une UK soul, à la fois rêche et élégante, qui sans rien révolutionner, colle parfaitement à l’air du temps. Plus loin, Melanie de Biasio a pris possession du théâtre de verdure. Même si son jazz brumeux se serait sans doute davantage épanoui à une heure plus tardive, la chanteuse s’en fout et trace ses arabesques avec toujours autant de conviction. Plus tard, au même endroit, les soeurs Diaz – treillis militaire sable, façon Tempête du désert – ont fait preuve d’une fougue qui ne semble décidément jamais se tarir. En concert, Ibeyi a beau se contenter de peu (des drum machines, claviers, un cajon), elles mettent une énergie dans leur soul électronique qui finit toujours par intriguer, avant de convaincre.

Elles précédaient Selah Sue qui faisait son grand retour à Couleur Café, festival avec lequel elle a tissé une histoire particulière. La première fois, en 2009, elle était encore une jeune fan de reggae-ragga sympa, dont les chansons impressionnaient moins que son charisme naturel. Près d’une décennie plus tard, Sanne Putseys, 29 ans, a toujours la même chevelure abondante, mais est en train de donner un nouveau tournant à sa carrière. C’est un peu comme si la carapace s’était peu à peu fendue. Elle l’avait déjà démontrée ces dernières années (en osant s’épancher par exemple sur son combat contre la dépression). La maternité, dit-elle, a encore accéléré ce processus. Un chemin qui l’amène à laisser tomber les fioritures. Elle s’est ainsi lancée dans une tournée où elle désosse certaines de ses chansons, ajoutées à d’autres reprises (Que Sera Sera), pour des versions plus intimistes. Pour ce faire, ils sont trois sur scène: elle, au chant-guitare et loop machine, un violoncelliste et un pianiste. De quoi virer plus franchement vers le blues ou le jazz, voire dans un crooning fifties hyper classieux et maîtrisé. Cela pourrait sonner rétro ou vintage, mais ce ne l’est pas. A l’image du finale, avec sa version fracassée de Crazy World, aimable tube pop, qui prend ici des dimensions de protest song apocalyptique. Bluffant.

Restait donc Damso. Le rappeur a pas mal progressé depuis ses premières grosses scènes, il y a à peine un an. Certes, le schéma reste toujours basique (Santos derrière le DJ booth, Dems au micro). Mais l’homme est plus à l’aise, chante mieux, gère mieux son sujet. Dans la foulée, Couleur Café aurait d’ailleurs pu être aussi l’occasion pour l’intéressé de dévoiler son univers à un public qui ne le connaissait que via la fameuse polémique footballistique. Mais pourquoi vouloir agrandir le cercle – surtout quand il est déjà très large ? Damso le confirme d’ailleurs en démarrant avec Ipséité, manière de dire que la meilleure façon de durer est de rester soi-même. Quand il enchaîne avec Périscope et Débrouillard, deux titres bien « saal » et salés, tirés de Batterie faible, on a compris le message. L’essentiel du concert se braquera d’ailleurs sur ses deux premières sorties. Avec, dans les plus belles flèches décochées, un BruxellesVie de circonstances, et surtout une version de Mosaïque solitaire particulièrement habitée. Du nouveau Lithopédion, par contre, on n’aura droit qu’à Smog – improbable tube de l’été – et un Feu de bois bien envoyé. Pour le reste, Damso préférera balancer des reprises du Mobali de Siboy ou le Mwaka Moon de Kalash (scène d’hystérie dans la foule) que d’investir davantage son dernier disque. Sans doute le fera-t-il lors de son concert au Palais 12, dont il a annoncé en direct la date (le 14 décembre prochain)…

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