Serge Coosemans

Coucou, tu veux voir mon bar à hiboux ?

Serge Coosemans Chroniqueur

Bars à chats, bars à chiens, bars à renards, bars à cochons, bars à lapins, bars à hiboux. Invention japonaise, le bar à thème animalier est une tendance en train de tout doucement s’installer en Europe. Gnangnan et désolant, selon Serge Coosemans. Sortie de Route S04E33.

« Un bar à chats n’est pas un café, c’est une pièce avec des chats dedans », peut-on lire dans le dernier numéro de The Skinny, une revue culturelle gratuite écossaise. « Tout endroit servant de la nourriture a besoin d’un bon argument de vente mais il doit aussi se faire connaître pour sa cuisine. Pas pour son chat », continue l’auteur de l’article, très moqueur vis-à-vis de cette nouvelle tendance venue du Japon qui consiste à ouvrir des bars avec des chats, des chiens, des lapins, des cochons, des renards ou même des hiboux, comme Annie The Owl, à Londres, un pop-up bar très select qui a défrayé la chronique le mois dernier. Il faut dire qu’en matière d’idée à la con, on peut difficilement pondre pire. Avec son ticket d’entrée à 20£ vous permettant de traîner deux heures à proximité de six hiboux, le concept d’Annie The Owl semble en effet tout droit sorti d’une satire de Charlie Brooker, genre Nathan Barley, la série culte qui moquait déjà les hipsters et leurs improbables emballements, il y a tout juste 10 ans.

Son ouverture a d’ailleurs tenu du sketch, transformant la vie de Seb Lyall, son concepteur, « en enfer ». Lyall avait en effet annoncé un endroit jouant sur le concept « Cocktails & Creatures », ce qui a suscité l’ire de différentes associations de défense des animaux et généré un bad buzz considérable sur les réseaux sociaux. Quelques spécialistes ont estimé que le brouhaha des gens bourrés (même si l’idée n’était que de servir deux cocktails maximum par personne) risquait de considérablement stresser les animaux, de nature plutôt timide, ce qui a finalement poussé Annie The Owl à se repositionner comme un « event éducatif » plutôt qu’un bar et à remplacer l’alcool de la carte par des smoothies. Or, comme le note The Skinny, voilà qui réduit considérablement l’intérêt de la chose, puisqu’il existe déjà des bâtiments destinés à éduquer les gens sur la vie animale. On appelle ça des zoos. Ou dans le cas des hiboux, des sanctuaires. Le fait est que ceux-ci ne génèrent pas autant d’excitation qu’Annie The Owl. Le pop-up bar avait 1300 tickets disponibles le temps de sa petite semaine d’ouverture. Selon les sources, il y aurait eu entre 80 000 et 125 000 demandes. Ce qui a par ailleurs fait crasher le site de vente en ligne.

On peut supposer qu’il n’y avait pas que des imbéciles dans ces milliers de personnes. N’en demeure pas moins que dans le tas, il y avait certainement beaucoup d’idiots en ayant nettement moins à foutre des hiboux que de l’idée de pouvoir raconter avoir siroté un cocktail dans un endroit plein de hiboux. Ou de se tirer un selfie sous un hibou. Il y a donc bien quelque-chose de délirant mais aussi de profondément malsain dans toute cette affaire, car même si Seb Lyall affirme avoir été victime d’une campagne de presse présentant Annie The Owl de façon très approximative, voire mensongère, la tendance du bar à thème animalier est bien réelle et plutôt dérangeante, puisque utilisant des êtres vivants à la fois comme employés, éléments de décor et argument marketing. Il n’y a pas à tortiller : il s’agit d’une forme d’exploitation, de mise à disposition de la clientèle d’animaux qui même bien traités n’en sont pas moins là pour jouer un rôle, apporter un facteur « cuteness », être disponibles pour participer à de la « ronron thérapie ». Bref, à être utilisés en mode totalement gnangnan et en niant éventuellement même leur véritable nature. Je me demande d’ailleurs ce qui se passe, dans de tels endroits, quand un hibou vous lâche une pelote de réjection dans le smoothie ou que la griffe d’un chat se prend dans votre pull en cachemire ?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content