Beside Bowie, la marque Ronson

En 1972, David Bowie joue la provoc avec Mick Ronson, avec qui il n'y aura de charnel que la musique. © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Un documentaire fouillé, Beside Bowie: The Mick Ronson Story, raconte le destin prématurément fauché de Mick Ronson, guitariste essentiel des années glam de Bowie, virtuose anglais, arrangeur et producteur.

David Bowie est pratiquement agenouillé devant Mick Ronson qu’il tient par les fesses: le premier mime une fellation sur la guitare tendue par le second, bouche ouverte aux cordes. La pose intime des deux mâles en satin et dorures est photographiée en noir et blanc par Mick Rock pendant la tournée de 1972, celle qui consacre définitivement Bowie via l’album du triomphe commercial, The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders From Mars. Il n’y a guère que cinq ans que la Grande-Bretagne a décriminalisé l’homosexualité et cette mise en scène résonne d’une théâtralité provoc: d’autant qu’entre l’hétéro Mick Ronson et le bisexuel Bowie, en dépit des apparences, il n’y aura jamais de charnel que la musique. Et une relation qui débute tout au début des années 70 lorsque Bowie se fait recommander un guitariste du nord de l’Angleterre, débusqué alors qu’il survit comme jardinier de la peu glamour cité de Hull. Auditionné à Londres, Ronson impressionne d’emblée Bowie par son style: « Je lui ai joué quelques-unes de mes chansons sur une douze cordes, et puis il a branché sa Gibson dans l’ampli et, même s’il jouait à très faible volume, son énergie brute a rempli la pièce et il s’est immédiatement imposé comme un musicien très abouti. » Quelques minutes dans Beside Bowie: The Mick Ronson Story, documentaire de 100 minutes signé Jon Brewer, et on comprend d’emblée la société d’admiration mutuelle qui va instantanément lier les deux hommes.

Deux jours plus tard, Ronson est invité à accompagner le chanteur -et deux autres musiciens, dont le producteur-bassiste Tony Visconti- au show radio de John Peel. Le guitariste ne connaît aucun des morceaux mais suit live et sans filet les accords plaqués par Bowie sur sa Gibson qui crépite, rage, improvise. Jeu d’emblée identifiable où l’usage de la pédale wah-wah en demi-ouverture donne une tonalité serpentine. Qui, par exemple dans The Jean Genie, s’inspire d’anciens riffs à la Muddy Waters et les recolorise à sa façon. Ou trouve de nouvelles sinuosités dans les éclairs guitares de Time: « Féroce mais mélodieux », dixit Earl Slick, autre guitariste de Bowie. Fini le jardinage, la marque Ronson est déposée. Et Ronno emménage provisoirement à Haddon Hall, faux manoir prétentieux que Bowie partage avec sa femme Angie au sud de Londres. Changement de pedigree pour le nordiste qui a grandi dans une « minuscule maison mitoyenne sans électricité au premier étage, et une baignoire en fer blanc qui devait être remplie à la bouilloire« .

Misère salariale

Des témoignages de cette première époque ressort la curiosité naturelle de ce produit atypique de la classe ouvrière qui joue piano et violon, lit et écrit la musique: avec Visconti le producteur, Ronson apprend aussi les arrangements, talent développé pour la première fois via les cordes mercuriales de Life on Mars, le plus beau morceau jamais enregistré par Bowie. Coup d’essai, coup de maître. Qu’il réitère à l’automne 1972 en coproduisant avec Lou Reed son album Transformer. Une nouvelle fois souligné par des arrangements d’orfèvre et le hit qui lance la carrière de l’irascible New-Yorkais, Walk on the Wild Side. « L’épanouissement de Mick Ronson », dixit Angie Bowie dans le doc, dont l’un des plus beaux moments prend place, justement, lorsque le guitariste se raconte début des années 90. Déjà marqué par le cancer du foie -comme Bowie…- qui l’emportera en avril 1993, à l’âge tendre de 46 ans.

Beside Bowie, la marque Ronson

Bowie triomphe donc avec ses Spiders From Mars, trio mené par Ronno avec le bassiste Trevor Boulding et le batteur Woody Woodmansey. Cinq albums studios enregistrés entre le printemps 1970 et l’été 1973, et dans un rythme tout aussi cinglé, 191 concerts sont menés en Grande-Bretagne, au Japon et aux États-Unis -zéro sur le continent européen- entre janvier 1972 et l’été 1973. À l’Hammersmith Odeon londonien, Bowie annonce « quitter définitivement la scène », ce qu’il ne fera évidemment pas… Entre-temps, le doc a introduit Tony Defries, pas encore sulfureux mais déjà mégalo, bien décidé à faire de Bowie une mégastar. Manager claquant l’avance donnée par RCA dans des tournées 5 étoiles/Champagne, comme autant de panneaux d’affichage d’un éclat commercial qui n’est pas encore là. Tout au moins aux États-Unis. Exténué par son clone fictionnel Ziggy Stardust, Bowie décide de travailler au corps le marché nord-américain, et d’y immigrer début 1974. Sans les Spiders From Mars: Trevor et Woody, déjà floués par la misère salariale -40 livres sterling la semaine tout compris-, sont laissés en rade en Angleterre. Ronno, lui, ne se voit pas plus offrir de venir en Amérique mais a droit à un traitement de faveur promis par Defries, qui le proclame « prochaine grande star« , peut-être pour faire passer le manque de crédits. Ceux que Mick mérite sur plusieurs disques de Bowie comme arrangeur si pas producteur réel. Dans le sillon de Defries, Ronson débute une carrière solo poussée par la machine pub, qui toutefois ne décolle pas.

L’intérêt du doc tient beaucoup à la façon dont il dévoile le miroir aux alouettes seventies, entre autres celui d’un Mick Ronson vivant avec sa partenaire dans un plantureux neuf pièces d’Hyde Park Gate, styliste à domicile compris (!), alors qu’il ne touche qu’un piteux 50 livres la semaine. La dernière demi-heure de Beside Bowie abrège les deux décennies finales: le brillant passage éclair dans Mott the Hoople en 1974, la longue relation pro avec le chanteur de ces derniers, Ian Hunter. Et puis les montagnes russes d’une carrière bossue où accompagner en concert Dylan « qu’il n’a jamais aimé » précède la production de l’album des Rich Kids ou du Your Arsenal de Morrissey à l’été 1992, « le dernier gros chèque reçu, qui lui a permis de vivre comme il voulait », précise sa fiancée de l’époque. Bouclant la boucle avec Bowie lors du concert tenu en l’honneur de Freddie Mercury à Wembley le 20 avril 1992, où sa guitare, jouissive malgré la maladie terminale qu’on vient de lui diagnostiquer, inonde de talent All the Young Dudes et Heroes, ce dernier titre lui allant d’ailleurs parfaitement.

DVD et CD Beside Bowie: The Mick Ronson Story chez Universal.

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