La Ligue du LOL et les Diables en Prada

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Au moment de rebooter la Matrice du journalisme en embauchant davantage de femmes, de personnes racisées et de LGBTQ+, il faudra tout de même bien faire attention à ne pas définitivement transformer le métier en simple caisse de résonance pour revendications sociales personnelles. Si, si. Vu le contexte, il fallait oser l’écrire. C’est fait et c’est le Crash Test S04E25.

« ll est plus que temps de casser les « boys club » (clubs réservés aux hommes) et d’embaucher, en masse, des femmes, des personnes racisées, des personnes LGBTQ+ aux postes clés des rédactions », ai-je pu lire il y a quelques jours dans une tribune publiée par Le Monde faisant écho au scandale de la Ligue du LOL. « Vingt femmes journalistes à suivre plutôt que les harceleurs« , nous conseillait de son côté Paris-Match Belgique. Non mais hé. Ho. On est où, là? C’est quoi cet opportunisme de rebondir sur une affaire grave pour placer une offre de service faussement kawaii et pour parler des copines en mode Follow Friday? C’est quoi cette caricature, cette vision simplifiée d’un problème complexe, ces solutions pour le moins discutables? Vous pensez réellement que dans un environnement aussi compétitif, aussi égotique, aussi malsain que celui des médias, le fait de donner des postes de direction à des lesbiennes en surpoids ou à des transgenres d’origine africaine changerait quoi que ce soit aux coups de poignards dans le dos, aux vols d’idées, aux intimidations et à la protection des médiocrités? Depuis quand le fait d’être femme ou gay ou d’origine extra-européenne ou gros ou les quatre en même assure-t-il une probité morale au-delà de tout soupçon? Le pouvoir corrompt absolument, non? Le Diable s’habille aussi en Prada, non?

Alors, oui, il est entendu qu’il y a un problème de masculinité toxique dans le journalisme, je ne le nie pas du tout. Cela n’empêche pas certaines des plus grosses terreurs notoires de rédactions d’être des femmes. Cela n’empêche pas certaines démissions, certaines dépressions et même certains suicides du milieu médiatique d’être surtout dus à un contexte général où entrent aussi des considérations macro-économiques et technologiques. Cela n’empêche pas que lorsque l’on est jeune journaliste, beaucoup des pressions et des intimidations qui s’abattent sur vous ne sont pas forcément dues à votre genre, à votre âge, à votre orientation sexuelle et à votre poids. Ça peut l’être. Mais de façon je pense plus systémique encore, on vous tombera dessus parce que vous représentez un danger potentiel pour des hommes, des femmes et des LGBTQ+ du milieu qui sont rongés par un gros sentiment d’imposture. Parce que vous êtes un élément disruptif dans un secteur d’activités par essence égotique, paranoïaque et hanté de divas, de starlettes, de zombies, de petits pachas et de squelettes dans les placards. Parce que vous êtes peut-être tout simplement bon et que cela se marie mal à la médiocrité généralisée. On ne peut pas tout expliquer que par le prisme du genre, de la domination masculine, de l’anti-féminisme. Les rapports malsains dans le milieu du journalisme ne peuvent pas se résumer à un trop simplet « boys against girls ». Il y a aussi de la murder party sans fin dans le topo, de la Battle Royale. Du remake des dernières heures du Titanic. Du combat à mort pour la dernière saucisse.

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Alors, bien entendu, des femmes, des personnes racisées et des personnes LGBTQ+ qui en ont journalistiquement parlant plus dans les tripes que ces raclures de la Ligue du LOL, ça existe et ça a toujours existé. Truman Capote, quelqu’un? James Baldwin? Svetlana Alexievitch? Joan Didion? Parce que si c’est pour inspirer un renouveau des mentalités dans le milieu, ce n’est pas en vous invitant à oublier le travail de Vincent Glad et d’Alexandre Hervaud (plutôt bon ces dernières années, soit dit en passant) pour à la place suivre celui de Léa Salamé et de Nadia Daam que l’on va y arriver. C’est en visant l’excellence, en s’inspirant de regards acérés et humanistes. C’est en cherchant le talent pur et non pas à remplir des quotas de chromosomes XX. C’est en gardant à l’esprit l’idéal du métier, qui est de raconter le monde tel qu’il est, et donc aussi cesser de le hijacker afin qu’il serve surtout de caisse de résonance à des combats idéologiques et sociaux personnels. Ce qui se pratique couramment chez The Huffington Post, Slate, Vice et beaucoup trop d’autres…

J’avais entendu, il y a longtemps, quelqu’un, je ne me souviens plus qui, dire que pour être un bon journaliste ou une bonne journaliste, il fallait être capable de copiner au moins deux heures avec n’importe qui: quidam, célébrité, taximan, ivrogne, politicien de droite comme de gauche, bourreau, auteur, pornographe et même meurtrier de masse. Alors que l’on engage des femmes, des personnes racisées et des personnes LGBTQ+ aux postes clés des rédactions, très bien, allons-y, tentons donc cette expérience sociale faussement inédite, faussement révolutionnaire. Essayons ce reboot de la Matrice. Mais que l’on engage alors surtout des femmes, des personnes racisées et des personnes LGBTQ+ capables de copiner au moins deux heures avec la Ligue du LOL. Ce qui peut paraître une idée bassement provocatrice. Pourtant, je pense que c’est l’avenir de l’essence même du métier qui se joue sur cette nuance.

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