Laurent Raphaël

L’édito: Empreinte digitale

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’Homme va-t-il consciemment accepter de devenir l’esclave de la machine, ouvrant ainsi la porte aux prophéties flippantes peuplant les films et romans de science-fiction?

Plus qu’au scénario de Frankenstein, où le monstre créé par un savant apprenti-sorcier se venge d’avoir été abandonné par son « père », c’est à celui déployé dans le mythe de Pygmalion et Galatée que l’on songe quand on voit la facilité avec laquelle nous nous convertissons au tout-numérique. Pour rappel, cette légende grecque, détournée par le pinceau surréaliste de Paul Delvaux, raconte l’histoire d’un sculpteur qui tombe amoureux de sa création, Galatée, à laquelle Aphrodite insuffle la vie. Les robots n’auront en effet pas besoin de se soulever pour prendre le pouvoir, nous allons le leur offrir sur un plateau, fascinés que nous sommes par cette hydre sortie de nos entrailles, comme un enfant devant le spectacle de l’incendie qu’il a lui-même provoqué. La question n’est plus de savoir comment résister au raz-de-marée -c’est déjà trop tard!-, mais de réfléchir à la manière de cohabiter avec ce nouveau voisin de palier sans perdre complètement notre âme.

Les robots n’auront pas besoin de se soulever pour prendre le pouvoir, nous allons le leur offrir sur un plateau

Qu’est-ce qui nous fait dire que la partie est déjà gagnée (ou perdue, tout dépend d’où l’on se place)? Tout simplement parce que nous avons adopté sans broncher et même avec enthousiasme ce que l’on pourrait appeler l’ethos numérique, du smartphone à l’achat en ligne en passant par les plateformes de streaming ou les monnaies virtuelles. Le ver est donc dans le fruit. Et que l’on découvre aujourd’hui les premières failles dans le réacteur avec les aveux du bout des lèvres des Gafa (pour Google, Apple, Facebook et Amazon) qu’ils ne maîtrisent déjà plus vraiment les algorithmes qu’ils ont créés et qui façonnent pourtant nos esprits ne va rien changer à l’affaire. Après tout, il ne s’agit que de la possibilité que des hackers russes se soient servi de Facebook pour influencer le résultat de la dernière élection présidentielle américaine…

Poussé par le vent du néolibéralisme et de la course à la rentabilité, le navire cybernétique file bon train. À terme, le monde se divisera donc en deux camps: ceux, hyper qualifiés et hyper connectés, qui auront leur ticket pour monter à bord et les autres qui resteront à quai, libérés des tâches répétitives mais condamnés à la misère et à l’oisiveté. « L’IA (pour intelligence artificielle, NDLR) va créer une économie passionnante, vertigineuse, fantastique, pleine d’opportunités pour les gens intelligents, multidisciplinaires et transversaux, s’enthousiasme dans La Libre Laurent Alexandre, grand défenseur de l’IA et auteur de La Guerre des intelligences (éditions JC Lattès) . Mais on aura de très grosses difficultés pour les gens moins doués et moins cultivés. Le grand risque, c’est d’avoir des « dieux » qui maîtrisent l’IA et les technologies face à des « inutiles » que l’on occupera d’une manière ou d’une autre. » Des « inutiles »… Voilà le sort réservé à une frange de l’humanité dans le futur.

Et dire que ce n’est que le hors-d’oeuvre de la révolution numérique. Nos dernières réticences ou scrupules vont tomber quand on va ajouter une couche de sentiments autour de la quincaillerie high-tech. Sur ce volet-là, complexe techniquement à mettre en oeuvre, on n’en est encore qu’aux balbutiements, avec des petits robots conçus pour distraire les vieillards et les touristes. Quoique. À Barcelone, une maison close propose déjà les services de poupées sexuelles androïdes plus vraies que nature. À ceux qui pensent que ces pratiques échangistes relèvent de la fiction (la série télé Real Humans, la saga Blade Runner…), on rétorquera que notre espèce n’a pas attendu Siri pour se vautrer dans l’anthropomorphisme. On serait d’ailleurs prêt à parier que pas mal de propriétaires d’animaux domestiques ne cocheraient pas nécessairement la bonne case s’ils devaient choisir entre sauver une vie humaine ou celle de leur toutou. À leur décharge, Disney nous a drillés en nous faisant pleurer devant une biche orpheline… D’où une certaine confusion. Les animistes vont même plus loin, qui prêtent aux objets inanimés, des cailloux par exemple, le statut de personnes. L’imperméabilité entre les espèces est donc toute relative. Il suffira que les machines soient capables de simuler les gestes de base de la grammaire émotionnelle pour coloniser notre intimité et nos pensées. Après tout, dans Wall-E, on se prenait bien d’affection pour une boîte de conserve montée sur chaînes…

Précision utile: ce texte n’a pas été rédigé par un logiciel d’écriture automatique.

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