Google, le Kompromat bien plus embarrassant que votre vie sur Facebook

© Getty Images/iStockphoto
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Cette semaine, une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne: il est très probable que Cambridge Analytica ment pour mieux se vendre et que Facebook n’a de vous qu’un portrait limité et déformé. La mauvaise: tout le monde oublie Google, qui a pourtant du « kompromat » bien plus embarrassant sur chacun de nous. Crash Test S0E29, toi aussi deviens aussi parano que Donald Trump.

Histoire de faire comme tout le monde, j’ai dernièrement téléchargé mon archive Facebook, c’est-à-dire tout ce que ce réseau social sait de moi depuis 2011, date à laquelle j’y suis revenu après en être parti quelques semaines, ma première inscription datant de 2007. Cela ne m’a pas spécialement ému et encore moins effrayé. J’ai en fait trouvé cela plutôt amusant. C’est que je ne me souvenais pas avoir autant joué à Lost Jewels en 2013, ni d’avoir été constamment enrhumé en 2012. J’avais oublié mon utilisation maniaque des expressions « Tango Down » (de Zero Dark Thirty) et « Da Chiz » (de la bédé Georges Clooney). Cela faisait au moins cinq ans que je n’avais plus pensé à ma voisine de 2012, à propos de laquelle j’ai pourtant jadis publié des dizaines de statuts enragés. Faut dire qu’elle en tenait une bonne couche, la guedin. Le samedi 1er décembre 2012 à 23h45, je faisais ainsi part à mon réseau qu’elle était en train de chanter « Zorro est arrivé » à toute blinde dans sa cuisine. Le reste du temps, elle faisait des incantations à sa fille récemment décédée.

De toutes ces données, le plus étrange, finalement, c’est le ciblage publicitaire. Ainsi, Facebook croit savoir que je manifeste beaucoup d’intérêt pour l’Afrique du Nord, le hip-hop, Mickey Mouse et Panda, un groupe musical dont je n’ai jamais entendu parler. Facebook me considère comme un bon client potentiel du magazine Focus mais pas « notre » Focus, un Focus allemand, une langue que je ne maîtrise pas du tout. Facebook se souvient que j’ai cliqué sur des publicités pour Le Soir, Eurostar, Proximus et la bande-annonce du film The 15:17 to Paris. À part que c’était généralement aux toilettes, moi pas. Facebook me dit que Spotify, un service que je n’utilise pas, a mes coordonnées, ainsi que les opticiens Pearle, dont je suis client, mais dont je n’ai jamais parlé sur le moindre réseau social. Facebook a aussi le numéro de téléphone de contacts qui ne sont pas sur Facebook. Est-ce scandaleux? Oui, probablement. Est-ce scandaleux que de telles données puissent être vendues, de surcroit à des entreprises aussi douteuses que Cambridge Analytica? Bien entendu et on peut d’ailleurs penser que dans les semaines et mois à venir, en Europe comme aux États-Unis et suite aux récents scandales, les règles du petit commerce publicitaire de Facebook vont enfin être légalement restreintes.

Reste que je ne comprends pas vraiment ce qu’il peut bien avoir à tirer de cette tonne de data. Pub ciblée, l’arme marketing absolue? Je n’ai pas vu The 15:17 to Paris et ne suit pas vraiment pressé d’y remédier. Mickey Mouse? Panda? Souvenez-vous: l’an dernier, pour cette même chronique, j’avais testé une version démo de l’outil qui serait utilisé par Cambridge Analytica, la firme cheloue à qui Facebook a vendu les données de millions d’Américains, pour au mieux définir votre personnalité. Il était ressorti du test que j’étais androgyne, de tempérament artistique, introverti et de gauche. Il en était également ressorti que je n’étais pas du tout intéressé par le journalisme puisque… J’aime les Doors, le groupe de Jim Morrisson. Et que si j’étais célibataire, ce n’était pas à la suite d’une rupture, mais bien parce que j’ai jadis suivi les séries Six Feet Under et Breaking Bad.

Un petit article publié cette semaine par le magazine Wired nous apprend que cette méthodologie qui consiste à définir le profil psychologique d’un consommateur via l’étude de ses intérêts et de son comportement en ligne a pour nom l’analyse « psychographique ». Wired en explique le fonctionnement et donne quelques exemples assez peu probants. « Si ça paraît nébuleux, ou même quelque peu astrologique, c’est parce que ça l’est », tranche l’article. L’efficacité de ce genre de ciblage n’a en effet jamais été démontrée et dans l’industrie publicitaire, le scepticisme serait « quasi unanime ». Bref, il est probable que Cambridge Analytica mente quand elle prétend avoir influencé l’élection présidentielle américaine de 2016 et le référendum sur le Brexit. Elle passe pour les méchants de service, mais ça lui fait sa pub auprès de formations politiques qui entendent justement jouer aux trolls disruptifs lors d’élections à venir. « Dans le monde de la pub, ce n’est pas parce qu’un produit ne marche pas qu’on ne peut pas le vendre », rappelle Wired. Et « le public, non sans l’aide des médias ayant reniflé une bonne histoire, est prêt à croire dans les pouvoirs surnaturels d’une stratégie de ciblage qui n’a pas été prouvée. »

L’un des éléments fort utilisés dans les médias et les discussions, c’est que ce serait terrible que ce genre de récolte de données tombe aux mains d’une dictature et d’une nouvelle Stasi. Je pense que c’est oublier que les dictatures et les polices allant avec sont souvent elles-mêmes irrationnelles et immanquablement arbitraires. Autrement dit, bien que le genre de joujou qu’est l’analyse psychographique irait tout à fait dans la panoplie délirante d’une telle force d’oppression, celles-ci n’ont en réalité pas besoin de connaître vos petits secrets et avoir de vous un profil psychologique pertinent pour vous envoyer croupir dans les mines de sel. Et puis, soyons pertinents: sur Internet, il existe quelque chose de bien plus complet que Facebook pour déterminer vos manies et vos penchants inavouables: l’historique Google (ou de n’importe quel autre moteur de recherche). Celui-là aussi se télécharge et c’est un dossier bien plus conséquent que l’archive Facebook. Et là, ce ne sont pas des statuts bourrés d’il y a 5 ans et des photos de l’ex en train de faire des grimaces rigolotes qui vont réapparaître. Ce sont toutes les tocades, les questionnements, les obsessions. Le porno, les soucoupes volantes, les billets de Destexhe, les actrices à poil. Des films et de la musique chopés illégalement. Des jeux idiots. Des reportages bidon sur des régimes amaigrissants tout aussi bidon. Les agrandisseurs de pénis. Le nombre de fois que vous tapez votre propre nom dans un moteur de recherche. Et celui des ex. Facebook est un réseau social, on y montre une image. Google est un moteur de recherche où on laisse une tout autre sorte d’empreinte, un dossier bien chargé. Et personne ne sait ce que Google en fait véritablement. Sur ce, la bonne journée et mes hommages à vos ongles rongés.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content