Fin de l’interdiction des symboles nazis dans les jeux vidéo en Allemagne: « Ça n’avait plus de sens »

Wolfenstein II © Bethesda

L’Allemagne autorise depuis ce mois-ci l’utilisation de symboles nazis dans les jeux vidéo. Véritable bouleversement, cette décision impacte autant le secteur vidéoludique que le traitement de la Seconde Guerre monde dans la société allemande. Explications avec Thomas Facchini, professeur d’histoire-géographie dans la région parisienne et auteur d’un mémoire sur la guerre et les jeux vidéo.

Nous avons appris dernièrement que l’Allemagne allait autoriser « au cas par cas » les symboles nazis dans les jeux vidéo. Pourquoi cette décision maintenant?

Je pense qu’il y a eu quelques pressions de la part des développeurs. Cette interdiction arrivait à son terme et n’avait plus de sens. C’est intéressant de se poser la question de la raison de cette décision à l’heure du contexte politique actuel en Allemagne. Il est vrai qu’on aurait pu s’attendre à un durcissement, un renforcement pour mieux contrôler. J’ai du mal à comprendre le fait que cette décision ait été prise maintenant. Cependant, je ne pense que pas que ce facteur aurait pu jouer. C’est peut-être dans l’optique de créer des jeux vidéo à portée plus pédagogique parce que la conséquence justement, c’est qu’il y aurait plus de développeurs allemands ou étrangers qui créeraient des jeux sur la Seconde Guerre mondiale.

Pourquoi les choses ont-elles évolué plus rapidement pour les films notamment?

Un film possède un début et une fin. C’est cadré. Il existe ce principe qu’incarner n’est pas la même chose que regarder. On ne peut pas rentrer dans les personnages. Nous sommes passifs devant un long-métrage. Dans un jeu vidéo, la tendance s’inverse: nous sommes actifs lorsque nous jouons. Nous sommes maîtres de l’action, du scénario. D’ailleurs, que ce soit en Allemagne ou ailleurs, on ne peut pas jouer le rôle d’un soldat allemand dans beaucoup de jeux. Très peu de développeurs se sont risqués à l’exercice.

Est-ce que le discrédit accordé aux jeux vidéo a retardé cette décision?

Oui, tout à fait. De façon plus générale, c’est lié au statut culturel du jeu vidéo. On estime qu’il n’est pas une forme culturelle à part entière, notamment à cause de la violence ou de tous les stéréotypes auxquels on l’associe. Il n’a pas sa place en qualité d’objet artistique. C’est comme si le jeu vidéo était une sorte d’enfant culturel à qui on l’interdirait de faire des choses mais aujourd’hui, c’est un média de masse. D’où peut-être la prise de décision…

L’interdiction des symboles nazis est relative à un texte de loi. Qu’en est-il concrètement?

Le texte indique que les symboles nazis étaient uniquement autorisés dans le cadre de fictions, de recherches historiques et qu’il existe une autorité allemande précise qui se nomme l’USK, chargée de réguler les jeux vidéo. C’est quelque chose d’unique en Europe. C’est le seul organisme de censure, on peut appeler cela ainsi, qui décidait l’autorisation ou l’interdiction d’un jeu.

L’USK dit qu’elle autorisera seulement les jeux « servant l’histoire ». Qu’en sera-t-il réellement?

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Vu les termes qui ont été posés par l’USK lors de l’annonce de cette décision, on comprend que ce sera une sélection en fonction de la nature du jeu. Néanmoins, on resterait dans une forme de censure parce que cela voudrait dire que certains auraient des qualités historiques et d’autres, non. On ne s’appuie sur rien. C’est un souci quant au traitement de la liberté artistique de l’auteur du produit. Par exemple, Wolfenstein est une oeuvre qui n’est pas du tout historique. C’est complètement fantasque, dans la bouffonnerie. En interdisant les symboles de ce dernier, on enlève toute sa saveur. Cela sous-entendrait aussi que les développeurs devraient prendre en compte le devoir de mémoire. Cela me dérange en tant qu’historien.

Qu’adviendra-t-il de cette organisation?

Je pense qu’à terme, son rôle sera diminué. La levée de cette interdiction montre bien que cette institution n’aurait plus vraiment sa raison d’être. Ses missions vont probablement évoluer vers un contrôle plus généraliste des jeux vidéo.

En 2017, le jeu Wolfenstein II faisait débat sur la censure des signes nazis dans les jeux vidéo. De quelle manière ce sujet est-il toujours tabou en Allemagne?

En Allemagne comme dans les autres pays, le jeu vidéo cristallise tous les fantasmes, toutes les crispations, toutes les passions. Ensuite, il y a toujours cette idée que l’on accorde trop d’importance aux effets du jeu vidéo. C’est tabou parce qu’en Allemagne, il a été réalisé un travail de mémoire extrêmement important sur la période de la Seconde Guerre mondiale. Pour toute une société, cela a été traumatisant. Tout ce qui touche au nazisme crée énormément de débats plus qu’ailleurs en Europe car cette idéologie a trouvé ses origines là-bas. Tous ces éléments font que le sujet du nazisme est beaucoup plus bouillonnant en Allemagne.

Est-ce un changement pour la société allemande?

Oui, même s’il est trop tôt pour le dire, mais disons que cela participe à un travail de mémoire de l’Allemagne sur son propre passé. Cette décision y contribue.

Est-ce une avancée pour le jeu vidéo en tant qu’oeuvre artistique à part entière?

C’est une avancée modérée qui prend place dans une évolution générale du jeu vidéo. Il était temps que l’on considère le jeu vidéo en tant que média culturel, oeuvre artistique. Comme les films ou les séries, il existe une quantité de jeux de bonne qualité traitant de cette problématique. On va pouvoir enfin avoir des jeux avec des symboles nazis sur le territoire allemand. Tout dépend de la manière dont la thématique sera traitée. Ce qui m’inquiète n’est pas tant l’interdiction du symbole nazi, qui était ridicule, c’est la façon dont on le traite dans un jeu vidéo.

Quelles seront les conséquences pour les développeurs de jeux vidéo?

C’est une excellente nouvelle car jusqu’à maintenant, les développeurs devaient concevoir une version censurée pour les jeux. C’était un travail très fastidieux. De plus, les oeuvres se devaient d’être le plus consensuelles au risque que l’USK interdise leur commercialisation. Ce qui est déjà arrivé. Les développeurs ne pouvaient pas exprimer leur liberté artistique comme ils le voulaient.

Mostefa Mostefaoui

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