Serge Coosemans

Après les Indignés de Stéphane Hessel, voilà les Indifférents de Joske ADSL

Serge Coosemans Chroniqueur

Serge Coosemans, alias Joske ADSL, a eu ce week-end une riche idée: alors que les réseaux sociaux sont en train de succomber aux pièges de l’audimat, il serait temps de lancer un grand mouvement de réappropriation de l’Internet où l’on cause. Ça ne marchera pas forcément, mais ça vous laisse un nonosse à ronger pour la semaine. Pop-culture/confiture et carambolages messianiques, c’est le Crash Test S02E09.

Sous mes yeux, les nominations des Red Bull Elektropedia Awards 2016 et je ne connais pour ainsi dire aucun des artistes pour lesquels on nous invite à voter. Faut dire ce qui est: je n’ai pas non plus fort envie de les découvrir. Ce n’est là pas une critique acerbe, une prise de position pleine de sous-entendus aigris, encore moins une pique trempée dans le plus acide des fiels… Juste une plate constatation, ultrapersonnelle qui plus est. Il se fait que j’ai tout simplement perdu toute envie de suivre l’actualité musicale dans le seul but de la commenter. Ce n’est plus mon boulot et c’est une libération. Je suis heureux de me foutre des modes culturelles, de ne plus participer aux emballements, de complètement me cogner d’être encore dans le coup ou non et, surtout, de totalement me foutre du regard que pourraient porter sur moi ceux qui le sont toujours, dans le coup. Ça ne veut pas dire que j’ai perdu tout intérêt pour la chose musicale, ni même pour la nouveauté. Cette semaine, j’ai écouté à la folie les Talking Heads et Can, qui sont certes des vieilleries, mais aussi Pye Corner Audio, The Head Technician, Ben Salisbury & Geoff Barrow, ainsi que le morceau techno issu de la BO de The Neon Demon, tous plutôt récents. Du pur plaisir. Dans le cas des Talking Heads, de l’amour carrément obsessionnel même, puisque j’ai bien dû réécouter Listening Wind 100 fois en 5 jours. Aucun jugement de valeur, aucune nostalgie, aucun message crypté, je décris là juste un trip personnel. Mon idée du plaisir; différent de ceux pour qui le plaisir, c’est justement de traquer la nouveauté, d’avoir un avis dessus et même de s’en servir pour se positionner socialement. Been there, done that et il se fait juste que ce n’est plus du tout mon truc.

Étalons un peu de confiote. Les films devant lesquels j’ai ressenti le plus de plaisir en 2016 sont Profession: reporter d’Antonioni, Répulsion de Polanski et OEil pour oeil d’André Cayatte. Ça m’aurait sinon fait grand plaisir d’écrire sur Children of Men, qui tenait un peu de la pantalonnade gauchiste quand il est sorti en 2006, mais est assez effrayant à revoir dans le contexte du Brexit et des crises migratoires. Meilleur bouquin lu cette année: La Peau, Curzio Malaparte, 1949. Mon idole 2016: Marc Almond, après la redécouverte de sa période Marc & The Mambas (1982-1983) et un amour renouvelé pour Heat, Torch, Bedsitter, Sleazy City et Together Alone de Soft Cell. L’acteur dont j’ai eu envie de (re)voir le plus de films: Donald Pleasence, décédé en 1995. Tout ça sans la ramener, seul dans mon coin, n’en parlant même pas vraiment aux potes. Dans Le Cercle, le roman pas tout à fait raté de Dave Eggers, ne pas partager ses emballements sur les réseaux sociaux tenait du crime. Ce n’est pas tout à fait ça: en fait, je pense que les gens s’en foutent complètement des emballements personnels s’ils ne sont pas soit polémiques, soit très consensuels. Ils veulent bien un avis sur le dernier Amélie Nothomb ou une vacherie sur le prochain Jérôme Colin, mais s’en carrent pas mal de mon amour pour Malaparte ou du fait que j’estime un Polanski d’il y a 50 ans bien plus percutant et dérangeant que 80% des épisodes de la série Black Mirror.

Joske ADSL

Ce qui passe réellement pour criminel sur l’Internet de cette fin 2016, c’est plutôt de royalement se tamponner des emballements collectifs, des sujets qui cartonnent. Il est interdit ou presque de n’en avoir rien à foutre du CETA, rien à branler de Cyril Hanouna, rien à cirer de Donald Trump et Hillary Clinton, de la pension à 67 ans, d’Emma Watson, d’Edward Snowden et de Black Mirror. Lundi dernier, aurait justement dû ici être publiée une chronique assez pétasse où je prenais longuement la peine d’expliquer en quoi Black Mirror n’était au fond qu’une série « sympatoche » et certainement pas « osée » et encore moins « révolutionnaire ». Mais un ordinateur mort avant de pouvoir apporter la touche finale au texte et une semaine plus tard, à quoi bon lâcher mon grain de poivre dans le grand débat en cours autour d’une série dont, finalement, je me bats assez bien les roustons depuis déjà la deuxième saison? C’est que Black Mirror perd beaucoup à l’analyse comptable: 5 ans, 13 épisodes. 3 tiennent du quasi-chef d’oeuvre, 5 sont corrects bien qu’un poil problématiques, 3 complètement ratés et 2 vraiment à chier. Autrement dit, la semaine dernière, j’ai surtout ressenti l’envie de parler de Black Mirror parce que c’est l’un des nonosses à ronger du moment alors qu’en fait, cette série ne m’a réellement procuré du plaisir que lorsqu’à la fin des meilleurs épisodes, j’ai ressenti une immense tristesse ainsi qu’une envie de vomir et de me pendre. Et c’est juste parce que j’espère qu’il y en aura encore d’autres comme ça que je continue à accepter les couillonnades de coming-out lesbien après la mort et de société pastel où ruiner un mariage est un acte profondément rebelle; pitchs débilosses qui sont aujourd’hui devenus la véritable marque de fabrique de Black Mirror plus que les ambiances glauques et les horribles chutes.

Tout cela nous amenant à la fois à enfoncer une porte ouverte et un clou: sur les réseaux sociaux, comme on est là, on est en fait en train de succomber au même piège à cons qui a détruit tout l’intérêt de la télévision, de la radio et des magazines. La dictature de l’audimat. Le formatage. L’effet pervers qui fait que des individus se mettent à fonctionner comme des pigistes affamés et se mettent à publier non pas ce qui leur tient à coeur mais bien ce qu’ils pensent être de nature à capturer du temps de cerveau, à générer des clics, des commentaires et des réputations. C’est comme si, chez moi, je ne me contentais plus de simplement vivre mais me mettait continuellement en scène dans le seul but de faire jaser les voisins et la concierge. Savourer une oeuvre pour ce qu’elle est et ce qu’on en retire pour soi, ce n’est pas du tout la même chose que de l’aborder avec l’intention d’en tirer quelque chose à dire, un discours en plus assuré d’être plutôt sévèrement jugé par d’autres. De même que laisser lentement se développer une opinion personnelle n’a rien à voir avec balancer des foutaises du tac au tac. Voilà où je veux finalement en venir: à la révolution. On a déjà les Indignés, déçus par les dérives de la société capitaliste, il serait temps qu’apparaissent les Indifférents, lassés de la soupe populaire servie sur Internet. Un grand mouvement de réappropriation des réseaux sociaux, de refus de participer aux 99% de couillonnades qui les empestent; la réunion de tous ceux qui en ont vraiment rien à branler de la benjaminmaréchalisation, de la marcelselisation et de l’alaingerlachisation des esprits. Ceci n’est pas (totalement) une blague. Je suis au contraire totalement prêt à assumer mon rôle de Joske ADSL, le Stéphane Hessel des fatigués du web.

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