Xavier Giannoli et la question du mystère

Tout en présence physique, Vincent Lindon se confronte à l'énigme de la foi dans L'Apparition, le nouveau film de Xavier Giannoli. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Imposture ou miracle? Avec L’Apparition, le Français Xavier Giannoli se frotte à la question du mystère en replaçant le religieux au coeur de l’intime. Rencontre.

Jeune trio déchiré par le désir et la maladie dans Les Corps impatients (2003), escroc relançant un chantier d’autoroute et l’espoir en pleine cambrousse dans À l’origine (2009), cantatrice fausse se piquant de se produire à l’Opéra dans Marguerite (2015)… Usant de l’illusion et du mensonge comme moteurs de fiction, la filmographie de Xavier Giannoli est pleine de personnages très humains aux prises avec des histoires débordant de l’ordinaire. L’Apparition (lire notre critique), son septième long métrage, ne déroge pas à la règle, qui envoie un baroudeur du reportage journalistique (Vincent Lindon) dans une petite ville du sud-est de la France faire la lumière sur une étrange affaire: une jeune fille de 18 ans affirme y avoir vu la Vierge Marie et, la rumeur se propageant, les pèlerins affluent en masse… De passage à confesse, le cinéaste raconte: « Un article de presse a retenu mon attention. On y parlait d’une enquête canonique. C’est-à-dire une commission chargée par un évêque de mener une investigation très concrète, très précise, sur un fait surnaturel afin de révéler une imposture ou peut-être quelque chose de plus trouble et d’intéressant. J’y ai vu un formidable prétexte de cinéma. »

Giannoli est un auteur, au sens le plus noble du terme, malaxant toujours la même pâte créative de thèmes et d’obsessions, quitte à se prendre un mur à l’occasion (le nanar Superstar avec Kad Merad en 2012). Devant sa caméra, cette mystérieuse histoire d’apparition tend logiquement vers un questionnement plus global sur la foi. « Tous les films que j’ai faits ont un rapport à la croyance. C’est-à-dire qu’à chaque fois, pour aller au bout d’un projet, j’ai besoin de me dire: mais on ne va jamais y croire! J’aime l’idée qu’une aventure extraordinaire se soit vraiment passée. Par exemple, le fait divers de cet homme qui construit une autoroute au milieu d’un champ, ça semble être une histoire folle et pourtant c’est une histoire vraie. Idem avec Florence Foster Jenkins, cette femme qui a fait carrière en chantant faux. Ce qui me fascine dans le cinéma, c’est qu’avec l’écriture, les acteurs, la caméra, on va incarner des choses. Ma mise en scène est irriguée par un énorme travail documentaire censé nourrir un sentiment de vérité chez le spectateur. Ensuite, vient se greffer une dimension romanesque à laquelle je suis très attaché, cette idée de raconter une histoire qui va traverser des personnages et que des personnages vont traverser. »

Influencé par le cinéma américain, le réalisateur français s’est replongé dans la filmo de Pakula ou le Zodiac de Fincher au moment d’écrire ce drame ambitieux, littéralement porté par la musique d’Arvo Pärt. « Je savais que le poids du réel, la captation des décors, des corps -ce n’est pas pour rien que j’ai choisi Vincent Lindon…- étaient un enjeu formel fondamental. La musique d’Arvo Pärt transcende cette dimension, elle apporte instantanément quelque chose de l’ordre de l’apesanteur et de la grâce. Plus que jamais ici, la musique participe de la mise en scène. C’est à la fois symphonique et dissonant: on a l’impression que le doute est au coeur de l’émotion. »

Filmer l’invisible

« Le grand péché du monde moderne, c’est peut-être le refus de l’invisible« , assène l’un des personnages du film. « Et la religion est avant tout une affaire humaine« , complète Xavier Giannoli, quadra non-croyant mais travaillé par la problématique de l’intime. « Dans toute entreprise humaine, hélas, il peut y avoir des dérives, fanatiques ou sectaires. L’idée, dès lors, c’est de se réapproprier cette question de la foi et d’en faire un enjeu secret, fragile, un questionnement fondamental auquel je ne vais pas apporter de réponse réductrice et stupide. Ce que j’ai découvert et que découvre mon personnage, c’est la beauté de cette quête. Quelle est sa destination? Je ne sais pas si c’est plus intéressant que de se demander où va l’autoroute d’À l’origine … C’est un peu l’idée des chemins qui ne mènent nulle part de Heidegger. La phrase-clé du film est la première que j’ai couchée sur le papier: « Souvent la foi voyage incognito. » Mon personnage est un sceptique. Son exigence de transparence, son besoin de témoignages, d’images, va trouver sa limite dans sa rencontre avec quelqu’un qui n’a pas besoin de preuves pour croire. La foi est un choix libre et éclairé. Personnellement, je n’y arrive pas. Mais quelque chose du message chrétien me semble beau et nécessaire. »

Et le cinéaste de s’emparer de la question sans dogmatisme mais aussi sans sarcasme, fléau contemporain qu’il juge niais et tristement confortable. « Ce qui m’intéresse, c’est d’essayer de trouver des traces de beauté, de dignité et d’humanité dans une histoire. J’aime l’idée d’une forme de pureté, d’innocence, de mes personnages face à la corruption du monde -jusque dans la folie, le mensonge, l’escroquerie ou la fausseté. Je suis scandalisé qu’on lynche médiatiquement des gens, qu’on lance une campagne de tweets contre Catherine Deneuve, qu’on attaque par la caricature et l’humiliation… Bref, je suis effrayé par la violence et la bêtise de notre époque. Et je tente d’y répondre par la nuance, la complexité, le respect. À travers mes personnages, je veux croire qu’autre chose est possible. »

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