Sorcières de Mona Chollet: la puissance invaincue de la flemme

© Éditions Zones
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Un pigiste précaire hétérosexuel blanc de 49 ans vivant sous le seuil de pauvreté depuis 2006 et en colocation avec une femme avec qui il ne couche pas et pour qui il lui arrive de faire la vaisselle et de changer le bac du chat a lu Sorcières de Mona Chollet. Son verdict: ouais mais non mais ouais mais non. Fourre-tout féministe et gonades pendouillantes, c’est le Crash Test S04E08.

C’est à la page 51 de Sorcières, la puissance invaincue des femmes que Mona Chollet m’a fait tiquer pour la première fois de son livre. D’autres haussements de sourcils ont eu lieu durant cette lecture: quand elle assène des généralités sur les hommes qui sortent avec des femmes plus jeunes qu’eux (parce qu’ils ne seraient pas intéressés par un échange d’égal à égale, hahaha) ou va prétendre que les messieurs se foutent de voir vieillir leurs corps (Hé, les filles: checkez un peu ce que dit Ricky Gervais de ce qu’est devenu son scrotum à la cinquantaine!). Et donc, page 51, c’est encore plus sucé de son pouce que ça. Chollet y évoque en effet l’idée qu’un homme qui souffrirait de manque affectif ou de solitude n’est « au moins » pas « environné de représentations culturelles qui aggravent – ou qui créent – la misère de sa situation. » « Au contraire, affirme l’autrice, la culture lui offre des appuis. Même le geek renfermé et mal dans sa peau a pris sa revanche, devenant le Prométhée du monde contemporain, auréolé d’argent et de succès. »

Okay, ça colle sans doute au cas d’un Peter Jackson, d’un Guillermo Del Toro et d’un Simon Pegg – encore que l’on ne sait pas grand-chose de leurs vies intérieures. Mais est-ce vraiment aussi applicable à ce genre de types qui vivent d’un job de merde, n’ont pas eu de relations sexuelles depuis 2 ou 3 ans et ont pour seules échappatoires à leur sensation d’enfermement existentiel les jeux vidéo, des forums incels comme Reddit et 4Chan, ainsi que leurs collections de figurines Marvel et Star Wars? L’idée même que le geek solitaire soit devenu un nouveau Roi du Monde n’est-elle pas d’une stupidité sans nom basée sur aucune réalité, un simple ressenti transformé en « tendance » comme on peut justement en lire dans tous ces magazines à la con que Mona Chollet a pourtant jusqu’ici assez férocement critiqués tout au long de sa carrière? Parce que bon, c’est quoi la vie du geek typique et clicheton de 2018, à part servir de vache à lait à une industrie culturelle dominante qui le flatte dans l’unique but de lui niquer la plus grosse part de son pouvoir d’achat? Est-ce qu’un énième film de Thor, de Tony Stark ou de Darth Vader va réellement changer quoi que ce soit à sa putain de vie? Est-ce qu’un énième produit dérivé de Thor, de Tony Stark ou de Darth Vader va revoir le système fiscal qui fait que les personnes célibataires sont davantage taxées que les couples mariés et donner aux gens seuls de meilleures tables au restaurant, ainsi que l’assurance de s’éclater au concert et en discothèques? Est-ce qu’un énième film de Thor, de Tony Stark ou de Darth Vader va faire en sorte que la solitude masculine devienne soudainement culturellement valorisée – comme elle peut l’être dans les documentaires sur les ermites et les explorateurs, par exemple – et non plus considérée comme un état maladif temporaire dont il faut impérativement sortir le plus vite possible et ce, peu importe que l’on promène des nichons ou des roustons?

Sorcières de Mona Chollet: la puissance invaincue de la flemme

Mona Chollet n’a évidemment pas tort quand elle affirme qu’une certaine culture populaire vise beaucoup les femmes un peu trop indépendantes; les considérant comme des brebis galeuses à reconditionner ou à descendre de sang-froid mais en n’incluant pas des hommes dans cette vision du contrôle social ou à peine, elle minimise le fait qu’une certaine culture populaire a toujours été le bras armé et idéologique de La Norme bien davantage que du Patriarcat. Parce que l’idée directrice n’est pas que de soumettre les femmes à l’enfantement à répétition et au nettoyage des casseroles, l’idée directrice est de flinguer toutes les têtes qui dépassent, du moins celles qui n’ont pas l’air nécessaires à la stabilité ou à l’amélioration de la bulle collective. Ainsi, on flinguera bien les gourgandines, les femmes sans enfant et les esprits indépendants, mais aussi les jeanfoutres, les feignasses fières de l’être, les zinzins, les masturbateurs, les contrariens, les leaders déviants, tous ceux qui ne veulent pas de Rolex à 50 ans, ainsi que tous ceux qui se revendiquent non conformes, inemployables à l’astiquage du bien commun et par ailleurs 200% rétifs à la marche de la société. Il ne faudrait tout de même pas oublier qu’une féministe qui réussit à se choper « un job d’homme » ne fait pas s’écrouler cette société. Elle travaille au contraire à sa maintenance, voire à l’amélioration de son efficacité. Bref, La Norme (ou La Matrice) n’a pas à s’en soucier.

On ne les flinguera évidemment pas vraiment, tous ces gens rétifs, tous ces refuzniks, tous ces grains de sable. Du moins pas chez nous. Toutes et tous sont néanmoins assuré(e)s de trouver dans la culture populaire, les magazines, la publicité, la chanson tant indé que mainstream ainsi que dans le cinéma à clichés vraiment beaucoup de matières à pernicieuses tortures psychologiques. Tout se liguera pour leur faire sentir leur différence, tout se liguera pour ce que s’installent en elles et en eux les doutes et les remords au regard de leurs choix de vie « différent » et de leurs aspirations rebelles. Bien entendu, une forme de culture libère aussi mais ce n’est pas la plus accessible et c’est d’ailleurs sans doute là le principal reproche à faire à ce Sorcières de Mona Chollet: c’est un livre bien fainéant, qui cite bien de bons auteurs pertinents mais aussi un peu trop The Huffington Post, Nadia Daam, Blanche Gardin, Sophie Fontanel, Frédéric Beigbeder et bien plus de romans que de statistiques -soit une culture très accessible et justement normative- alors que Robert Muchembled, Arthur Miller et Aldous Huxley sont pourtant complètement ignorés du bouquin, malgré leurs ouvrages marquants sur les sorcières. Pourquoi d’ailleurs ne pas non plus y évoquer l’histoire de Matthew Hopkins, le tristement célèbre Witchfinder General, chasseur de sorcières anglais tellement zélé et cruel que des hommes d’Église et des politiques ont fini par le juger cinglé et truand et, dans la foulée, s’opposer à l’idée même d’encore chasser qui que ce soit en Angleterre?

Peut-être tout cela est-il zappé parce que Sorcières est moins un ouvrage de sciences sociales et historiques qu’un simple bouquin de « self help ». Je le dis sans malice et ce n’est même pas une véritable critique, sinon qu’un projet prévendu comme une réflexion moderne sur la figure de la sorcière s’avérant au final un simple fourre-tout féministe où il est aussi question d’Harvey Weinstein, de confessions personnelles du genre « comment j’ai dépassé ma honte » et d’ode au new-age tient bien un peu de l’arnaque éditoriale. Attention: à partir du moment où il est entendu que ce livre est moins une histoire de la sorcellerie ancienne et contemporaine aux citations bizarres et souvent hors contexte qu’un bouquin d’empowerment pour femmes timides et mal dans leurs peaux où trouver des phrases-choc à souligner au Stabilo et à méditer, on peut toutefois lui trouver une certaine sympathie, ainsi qu’une utilité défendable. C’est qu’il est toujours bienvenu de combattre La Norme sur son propre terrain, de produire un best-seller qui banalise le refus d’enfanter et la défiance aux situations domestiques abusives. Bien sûr, cela n’excuse pas les amalgames douteux, les jugements à l’emporte-pièce, les oublis idéologiques et les caricatures débiles d’hommes. C’est aussi très dommage que Mona Chollet, que l’on a pourtant connue incisive, ambitieuse et documentée, se contente désormais d’un bouquin plein de trous dont le destin le plus probable est de devenir une Bible de Twitosses de l’ère #Metoo ainsi qu’un objet de culte pour féministes Instagram. Tiens, voilà un verdict qui pourrait bien m’envoyer rôtir sur un bûcher virtuel. Comme c’est cocasse.

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