Critique | Livres

[La BD de la semaine] La Loterie, de Miles Hyman

La Loterie, de Miles Hyman © Casterman
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ADAPTATION | La romancière Shirley Jackson aurait eu 100 ans le 14 décembre dernier. Son petit-fils Miles Hyman lui rend hommage en adaptant son horrifique Loterie.

Dans ce village de la Nouvelle-Angleterre, comme chaque année au mois de juin, c’est le jour de la loterie. Un rituel immuable dans cette bourgade américaine, remplie d’Américains moyens: les quelque 300 âmes du village se regroupent autour d’une grande urne, dans laquelle sont glissés 299 petits bouts de papier vierges, pour un seul bout de papier muni d’un rond noir gribouillé avant le dépouillement, et avant le recensement complet des participants, car tous doivent s’y inscrire et jouer; hommes, femmes, enfants, tous ont le devoir plus que le droit de participer à la loterie. Seule certitude dans cette ambiance de kermesse silencieuse et franchement plombée -on comprendra pourquoi: malheur au gagnant… On ne fera bien sûr pas l’injure de révéler aux futurs lecteurs de La Loterie le premier prix de celle-ci; on dira juste que son auteure, Shirley Jackson, est vénérée par Stephen King; qu’elle est considérée aux Etats-Unis comme une des pionnières des récits fantastiques ou d’horreur, et que sa Loterie fit scandale en 1948, lors de sa publication sous forme de nouvelle dans le New Yorker de l’époque. Moins pour l’effroi et la brutalité de sa conclusion que pour la banalité de son contexte et de ses protagonistes, renvoyant à chaque Américain moyen une vision de lui-même qu’il préférait éviter… Une fiction insupportable, au point que certains lecteurs la crurent bien réelle!

Hyman, entre Jackson et Hopper

Cette Loterie, déjà maintes fois adaptée, est donc désormais devenue une bande dessinée, formellement superbe mais surtout émotionnellement très chargée, puisque son auteur Miles Hyman, grand illustrateur et déjà auteur de l’adaptation du Dahlia Noir, n’est autre que le petit-fils de la romancière. Celle-ci aurait eu 100 ans le 14 décembre, et continue donc de fasciner et ses héritiers, et ses lecteurs. Mère de famille nombreuse, elle-même mariée à un écrivain et critique littéraire, Shirley Jackson ressemblait à la plupart de ses personnages, tous issus d’une middle class très propre sur elle, mais soudain confrontés au surnaturel ou au pire d’eux-mêmes. Cette Agatha à l’Américaine a ainsi commis quelques classiques du genre, comme La Loterie, Nous avons toujours vécu au château ou La Maison hantée, que l’éditeur Rivages vient par ailleurs de rééditer en poche. Miles Hyman semble donc s’être particulièrement impliqué dans cette adaptation pas simple, où chaque case fait penser à un tableau de Hopper, et où l’ensemble véhicule un silence assourdissant -Hyman a paradoxalement gardé très peu des mots de sa grand-mère pour révéler toute la tension et l’atmosphère de cet épouvantable tirage au sort, qui n’a pas pris une ride.

LA LOTERIE, DE MILES HYMAN, D’APRÈS SHIRLEY JACKSON, ÉDITIONS CASTERMAN, TRADUIT DE L’AMÉRICAIN, 136 PAGES. ****

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