Critique | Livres

[La BD de la semaine] Hubert, de Ben Gijsemans

Hubert, de Ben Gijsemans © Éditions Dargaud
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ONE-SHOT | Un jeune auteur flamand crée la première belle surprise de l’année avec un one-shot branché sur le quotidien, et la lenteur, de son « héros ».

La solitude, sauf spectaculaire à la Robinson Crusoé, n’a guère voix au chapitre dans le monde romanesque des livres ou de la bande dessinée. Elle concerne pourtant la plupart des gens que l’on voit chaque jour, dans la rue, le tram, ou les salles de musée. C’est là par exemple que l’on peut le plus souvent croiser Hubert, petit monsieur un peu voûté et surtout pas bavard: devant les tableaux des Musées royaux des beaux-arts de Bruxelles. Il y reste des heures, des jours, à regarder les tableaux de maîtres et, surtout, les portraits de femmes, en remuant à peine. Avant de revenir chez lui. Seul. Face à sa tartine, sa soupe, et parfois la télé. Le quotidien d’Hubert est pourtant d’une richesse infinie malgré une apparente morosité pour qui ne connaît pas la vie d’Hubert: lui aussi peint, et lui aussi essaie de capturer le mystère des femmes du bout de son pinceau. Les femmes qu’il admire au musée, et parfois sa voisine, quand il ose ouvrir sa fenêtre et la regarder. Hubert est un contemplatif. Comme les lecteurs qui le découvriront, et ouvriront les pages de cette BD hors norme, hypnotisante et mêlant comme jamais musée bruxellois, art et banalité.

Narration dilatée

[La BD de la semaine] Hubert, de Ben Gijsemans

Ce qui frappe dans Hubert et chez Ben Gijsemans -outre l’impressionnante beauté graphique de son premier album, précise, détaillée, sublimée par les oeuvres des autres et d’un grain qui rappelle un autre Flamand de talent, Olivier Schrauwen- c’est évidemment le rythme, la narration et le découpage. Un découpage pour l’essentiel en gaufrier, dans lequel l’auteur segmente le temps à la lame de rasoir, le dilatant comme on ne l’avait jamais dilaté en BD: une succession de cases apparemment semblables, figées sur ce qui semble un moment, moment soudain d’une terrible intensité, provoquant presque le malaise et l’inconfort, l’humanité aussi. Hubert devant sa télé. Hubert devant un tableau. Hubert de retour de Paris, où il se rend pour contempler l’Olympia de Manet. Hubert devant son chevalet et face à sa palette. Hubert dans toute sa solitude. Une solitude que rien ne pourrait lui faire quitter; certainement pas sa concierge, prête à s’offrir à lui, mais peut-être sa voisine, qu’il finira par peindre. Entamé comme un travail de fin d’année au Sint-Lukas de Bruxelles, qui lui valut une grande distinction, Hubert place d’emblée son auteur sur la carte des bédéistes à suivre. De très près, mais à son rythme.

  • LES PLANCHES DE HUBERT SONT EXPOSÉES JUSQU’AU 17/04 AU MUSEUMSHOP DES MUSÉES ROYAUX DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE, 3 PLACE ROYALE, À 1000 BRUXELLES.

DE BEN GIJSEMANS, ÉDITIONS DARGAUD, TRADUIT DU NÉERLANDAIS, 88 PAGES.

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