Goncourt, Renaudot…: nos avis sur les différents prix littéraires 2018

Nicolas Mathieu, prix Goncourt pour Leurs enfants après eux. © VINCENT ISORE/BELGAIMAGE
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

Que vaut le Goncourt cette année? Et pourquoi un prix spécial du Renaudot? Passage en revue des principales récompenses d’automne, et retour sur les coups de coeur de la rédaction.

PRIX GONCOURT

Leurs enfants après eux, par Nicolas Mathieu (Actes Sud)

Goncourt, Renaudot...: nos avis sur les différents prix littéraires 2018

Axé sur les trajectoires croisées de trois adolescents de la vallée de la Fensch, en Moselle, le deuxième roman de Nicolas Mathieu après le roman noir Aux animaux la guerre n’apporte pas en contenu narratif grande nouveauté dans les thématiques abordées: éclosion des désirs, difficulté de brasser les classes sociales, désoeuvrement et désir de fuite de la jeunesse quand le département tout entier semble agoniser depuis la fermeture des usines. L’auteur modifie à peine les noms de villes – « Heillange » pour Hayange, et de manière moins heureuse « Lameck » pour Fameck, connue pour concentrer un grand nombre d’enfants d’immigrés -, et décrit les aspirations déçues d’une fille de parvenus locaux, ainsi que des fils d’ouvriers désoeuvrés, issus de deux vagues d’immigration différentes: Anthony Casati et Hacine Bouali. Le ressort essentiel du livre tient de la confrontation permanente, autour de motos volées et souvent au moment de la pause pipi, entre ces deux derniers, dont les pères étaient liés autour de chaînes de montage désormais à l’arrêt. Une autre catégorie de population affleure en pointillé, ces « grosses têtes » dégénérées, rednecks locaux rôdant dans les sous-bois. Si les tableaux et portraits frôlent souvent le cliché, l’intérêt réel du livre tient à son écriture, Nicolas Mathieu réalisant d’impressionnants exploits en matière de langue, certaines de ses descriptions ou formules laissant le lecteur soufflé par la maîtrise. Un prix Goncourt honorable, confirmant la toute-puissance d’Actes Sud, qui marque le récent attrait pour des récits « implantés » loin de Saint- Germain-des-Prés, face à des concurrents ayant situé leur action en Grande-Bretagne pré-Thatcher (Thomas B. Reverdy), Chine communiste (Paul Greveillac) ou parmi les tirailleurs sénégalais de 14-18 (David Diop, Goncourt des lycéens).

PRIX FEMINA

Le Lambeau, par Philippe Lançon (Gallimard)

Goncourt, Renaudot...: nos avis sur les différents prix littéraires 2018

Exclus d’office de la sélection du Goncourt (ses jurés considérant que son livre rendait compte d’une expérience réelle, et non fictive, comme il est historiquement inscrit dans la charte du prix – de quoi relancer l’éternelle controverse sur la définition du genre « roman »), Le Lambeau prendra finalement sa revanche avec la double réception du prix Femina, ainsi que d’un « prix spécial » exceptionnellement délivré par les jurés du prix Renaudot. Journaliste et critique littéraire (pour Libération notamment), Philippe Lançon y revient sur sa reconstruction après l’attentat meurtrier du 7 janvier 2015 visant la réunion de rédaction de Charlie Hebdo, et dans lequel il a perdu une partie de la mâchoire. « Blessé de guerre dans un pays en paix », il passera neuf mois à l’hôpital, pour une grande partie dans un mutisme que lui imposent les soins et la chirurgie de réparation. Si le sujet du livre bouleverse (que faire d’une existence sur le fil? comment revenir de l’impensable?), son écriture est aussi remarquable, qui conduit avec profondeur, précision et élégance une réflexion sur le corps, le trauma, le confinement, la résilience, les souvenirs et le temps – un livre de deuil et de vie d’un esthète confinant parfois à la pure beauté. Un grand texte.

Prix Femina étranger: Alice McDermott pour La Neuvième Heure (Quai Voltaire).

Prix Femina de l’essai: Elisabeth de Fontenay pour Gaspard de la nuit (Stock).

PRIX MEDICIS

Idiotie, par Pierre Guyotat (Grasset)

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En 1970, le futur prix Nobel Claude Simon claque la porte du jury Médicis après la défaite, à une voix près, d’Eden, Eden, Eden de Pierre Guyotat – un livre immédiatement interdit à l’affichage, à la publicité et à la vente aux mineurs, préfacé par Roland Barthes, Philippe Sollers et Michel Leiris. Il aura donc fallu attendre un demi-siècle pour que l’auteur septuagénaire décroche le même prix Médicis pour son récit autobiographique Idiotie – un livre consacré aux années 1958 à 1962, à la naissance entre Paris et l’Algérie de sa vocation d’écrivain. A quoi il faut ajouter un « prix Femina spécial » attribué à l’ensemble de son oeuvre et un Prix de la langue française. Considéré culte par une armée de passionnés, Guyotat avait été jusqu’ici peu récompensé au regard de son imposante stature.

PRIX MÉDICIS ÉTRANGER

Le Mars Club, par Rachel Kushner (Stock)

Goncourt, Renaudot...: nos avis sur les différents prix littéraires 2018

Les jurés du Médicis ont choisi de récompenser un roman puissant avec Le Mars Club. L’Américaine Rachel Kushner (Les Lance-flammes) y dresse le portrait édifiant (et fictif) de Romy Hall, une jeune strip-teaseuse de San Francisco s’étant rendue coupable d’un crime contre un homme qui avait commencé à la harceler. Tout le livre se déroule en flash-backs depuis la cellule d’une des pires prisons pour femmes de Californie. Bouleversant portrait de femme, Le Mars Club est aussi un roman carcéral documenté sur les conditions de détention de milliers de prisonnières aux Etats-Unis. Affrontements raciaux, système de castes, haine des femmes envers les femmes: Rachel Kushner montre tous les enfermements sociétaux que la prison reconduit et amplifie. A travers le destin emblématique d’une travailleuse pauvre, elle montre et interroge surtout ce que naître femme et désargentée aux Etats-Unis veut dire. Brutal et déchirant, un roman nécessaire.

Prix Médicis de l’essai: Stefano Massini pour Les Frères Lehman (Globe).

PRIX RENAUDOT

Le Sillon, par Valérie Manteau (Le Tripode)

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Editrice et chroniqueuse, Valérie Manteau a fait partie de l’équipe de Charlie Hebdo de 2008 à 2013. En 2016, dans un premier livre intitulé Calme et tranquille, elle revenait sur la perte de ses amis et collègues dans les attentats. Dans Le Sillon, tout juste récompensé par le jury du prix Renaudot, elle offre un récit sur un sujet sensible et politique en rendant un vibrant hommage au journaliste d’origine arménienne Hrant Dink, assassiné en 2007 pour « insulte à l’identité turque ». Au-delà de ce portrait émouvant, c’est en amoureuse d’Istanbul et de ses habitants que la narratrice et alter ego de l’auteure tente de comprendre l’effondrement de l’Etat de droit. Humour, justesse du questionnement, rencontres de personnalités magnétiques, autofiction documentaire loin des clichés : autant de qualités qui ont su convaincre le jury. A juste titre.

Prix Renaudot Essai: Olivia de Lamberterie pour Avec toutes mes sympathies (Stock).

MAIS AUSSI

Grand prix du roman de l’Académie française: Camille Pascal pour L’Eté des quatre rois (Plon).

Prix Décembre: Mikaël Ferrier pour François, portrait d’un absent (Gallimard).

Prix Wepler: Nathalie Léger pour La Robe blanche (P.O.L). Mention spéciale à Bertrand Schefer pour Série noire (P.O.L).

Prix de Flore: Raphaël Rupert pour Anatomie de l’amant de ma femme (éd. de L’Arbre vengeur).

Prix du Quai des orfèvres: Paul Merault pour Le Cercle des impunis (Fayard).

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