Annie Leibovitz, de photographe des stars à star des photographes

Annie Leibovitz, Brooklyn, 2017 © Annie Leibovitz
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Huit années après sa publication en anglais, l’ouvrage Annie Leibovitz at work paraît aujourd’hui en français. Un événement éditorial doublé d’une magistrale masterclass.

Icône incontestable et incontestée de la photographie américaine, Annie Leibovitz (1949, Connecticut) a débuté sa carrière avec des images intimistes de grands noms du rock dans leurs meilleurs et leurs pires moments. A 24 ans à peine, elle collabore à Rolling Stone, qui n’est alors qu’un magazine au tirage confidentiel, et se fait remarquer avec de percutants clichés montrant un Mick Jagger hagard en peignoir dans un ascenseur ou un Keith Richards alcoolisé dormant debout la joue enfoncée contre une porte. Au fil du temps, son travail évolue. Elle ne se contente plus de traîner dans les coulisses des concerts mais signe également des portraits au moyen format, à la fois osés et plus posés – Demi Moore enceinte, Whoopi Goldberg dans une baignoire remplie de lait… – qui ont assis sa notoriété. Le 8 décembre 1980 marque un tournant, Leibovitz immortalise le couple John Lennon et Yoko Ono. La composition – Lennon nu lové contre Ono qui a refusé de se déshabiller – va marquer d’autant plus l’inconscient collectif que, quelques heures plus tard, l’ancien membre des Beatles sera assassiné devant le Dakota Building, à New York.

Celle qui a partagé la vie de l’essayiste Susan Sontag quitte alors Rolling Stone pour Vanity Fair et puis Vogue. Sa pratique y gagne en complexité ce qu’elle perd en spontanéité. Leibovitz passe du statut de photographe des stars à star des photographes, sollicitée par les grandes marques – Vuitton, Lavazza ou Pirelli. Elle rejoint le très petit cénacle de talents n’ayant eu aucune peine à passer de l’argentique au numérique. Mieux, elle s’accommode même de la retouche des images, ce « petit arrangement » avec la prise de vue qui rebute tant de professionnels. On ne s’en étonne pas, tant la photographie est pour elle une seconde nature, comme en témoigne le fait qu’elle ne s’arrête jamais d’appuyer sur le déclencheur, même devant la dépouille de son père ou le visage blême de Sontag, qu’elle a accompagnée dans ses derniers moments.

Annie Leibovitz au travail, éd. Phaidon, 256 p.
Annie Leibovitz au travail, éd. Phaidon, 256 p.© DR

Dix pour cent

Après être revenue sur cette carrière étonnante à travers deux opus – A Photographer’s Life: 1990-2005 et A Photographer’s Life: 2005-2016 -, l’intéressée a publié Annie Leibovitz at work en 2010, un ouvrage dans lequel elle s’adresse aux amateurs en livrant les informations techniques et le contexte éditorial de plusieurs de ses prises de vue emblématiques. Ce témoignage unique d’une vie consacrée à l’image paraît aujourd’hui en français, augmenté d’un nouveau chapitre consacré à ses oeuvres les plus récentes. De sa couverture de la démission de Richard Nixon, en compagnie du mythique Hunter S. Thompson, à son portrait de la reine Elizabeth II, en passant par les représentations sans fard de ses proches, le lecteur traverse les époques, les doutes, les questionnements et les joies de Leibovitz. Le fin mot de l’histoire? « Parfois, je n’arrive tout simplement pas à obtenir ce que je veux. Je ne prends que dix pour cent de ce que je vois. Par exemple, travailler à la lumière naturelle peut avoir un côté frustrant: elle peut éclairer de manière magnifique telle ou telle personne, mais ne rien donner sur l’image. La photographie a ses limites. En fait, on n’est jamais totalement satisfait. » Une humilité qui fait l’effet d’un baume posé sur le coeur de l’amateur.

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