Matthew Porterfield: « Je veux représenter la diversité de la classe ouvrière à l’écran »

Matthew Porterfield: "Je veux montrer ma ville, ma classe sociale, les gens dont je me sens proche, et représenter la diversité de la classe ouvrière à l'écran." © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Matthew Porterfield inscrit dans la réalité crue d’une banlieue ouvrière de Baltimore le portrait d’un jeune homme assigné à résidence et tentant une difficile réinsertion dans la communauté. Fort.

Affichant la petite quarantaine décontractée, le cinéaste américain Matthew Porterfield signe, avec Sollers Point, son quatrième long métrage -le premier à être distribué sous nos latitudes. Comme ses films précédents, celui-ci a pour cadre sa ville d’origine, Baltimore, et plus particulièrement un de ses quartiers ouvriers. « Je souhaitais tourner un film dans la banlieue où mes grands-parents ont passé une bonne partie de leur vie, explique-t-il, de passage à Flagey. Le film est situé à la lisière de la ville, côté sud, à Dundalk, une banlieue créée par la Bethlehem Steel pour ses travailleurs et leurs familles. Ma grand-mère maternelle a été élevée là-bas, et mon grand-père paternel y travaillait dans une aciérie. J’ai voulu me reconnecter à cet endroit, tout en étudiant un personnage tentant une réinsertion après un séjour en prison -j’avais notamment le souvenir d’un ami assigné à résidence, et qui devait se promener avec un bracelet attaché à la cheville. Souvent, mes projets démarrent avec une paire d’idées, une image et un lieu: l’image, c’était le bracelet, et le lieu, ce quartier. »

Population ignorée

Le décor de Baltimore n’a rien d’indifférent, comme le montrent les films de John Waters ou une série comme The Wire. « John Waters a su capturer cette créativité en mode DIY que l’on retrouve à Baltimore, une énergie, mais aussi une certaine étrangeté, un côté kitsch avec une part de dureté. J’apprécie ses films, il a su mettre le doigt sur quelque chose de très présent dans la ville. The Wire est beaucoup plus réaliste, journalistique et politique en un sens, mais ces deux portraits me paraissent exacts et singuliers, Barry Levinson se situant quelque part au milieu. » Matthew Porterfield s’attache, pour sa part, à une facette peu montrée des zones suburbaines américaines, situant invariablement ses films dans des quartiers populaires -ceux-là même où il a grandi. « Je veux montrer ma ville, ma classe sociale, les gens dont je me sens proche, et représenter la diversité de la classe ouvrière à l’écran. J’ai le sentiment de ne pas voir suffisamment de films qui réussissent à la restituer avec subtilité et authenticité, il ne s’agit en général que de portraits anthropologiques ou exagérés. Hollywood ne produit guère d’histoires inscrites dans ce milieu. Une raison tient au fait que les gens vont au cinéma pour s’évader et y trouver quelque chose qui se situe au-delà de leur existence. Le public veut voir des histoires de succès, de rédemption. Non qu’il n’y en ait pas au sein de la classe ouvrière, mais la plupart des cinéastes viennent de milieux aisés, ça ne correspond pas à leur expérience. Elle est donc sous-représentée, non seulement dans la culture populaire mais aussi dans la politique. On n’en parle plus, c’est un pan de la population que l’on choisit d’ignorer, jusqu’au jour où ils élisent Donald Trump. » Traumatisme dont le cinéaste confesse ne pas encore s’être remis: « Ces gens ont été dupés. Trump ne se soucie pas de leurs intérêts, ni de ceux des travailleurs, mais je comprends qu’ils aient ressenti un besoin de changement. »

Le regard que leur porte Matthew Porterfield s’écarte, en tout cas, des stéréotypes. Si Putty Hill, l’un de ses précédents opus, était un portrait d’adolescence n’allant pas sans évoquer le Gus Van Sant de Paranoid Park, par exemple, Sollers Point s’attache pour sa part à Keith, un personnage comme l’on n’en croise que rarement à l’écran, dénué pour ainsi dire d’estime de soi – « quelque chose avec quoi il m’a longtemps fallu me débattre moi-même »- au risque, peut-être d’atteindre un point de non-retour. Mais aussi à ses tentatives plus ou moins assumées de se raccrocher à sa famille et à une petite communauté dont le film restitue les nuances et la diversité. Perspective embrassée dans un mélange de réalisme et de poésie, Porterfield s’autorisant de longs plans où la caméra semble évaluer les choses à distance, avant de coller au plus près à ce jeune homme auquel McCall Lombardi (déjà vu chez Andrea Arnold, dans le formidable American Honey) apporte une présence électrique. Ou comment inscrire un destin individuel dans un cadre plus vaste, dans une courbe épousant celle du récit, ancré dans son environnement local pour toucher à quelque chose de plus général, commun aux zones post-industrielles en prise au chômage massif, à une criminalité larvée, au problème de la drogue et autres -réalité qui donne aussi son sous-texte, chargé mais pas trop, au film. Et en tout état de cause, l’expression d’une voix éminemment singulière dans le contexte du cinéma indépendant américain actuel…

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