Le duo Cattet-Forzani entre western et polar à l’italienne

Bruno Forzani, coréalisateur de Laissez bronzer les cadavres: "Il faut donner de la chair aux personnages mais aussi à l'action!" © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Hélène Cattet et Bruno Forzani marient l’organique et l’abstraction dans un fiévreux Laissez bronzer les cadavres. Rencontre.

Leur cinéma s’est révélé sur le fil (littéral) du rasoir et dans un crissement de cuir, réinventant le « giallo » avec autant de style que de sensualité. Éros et Thanatos unis dans une étreinte fatale. Rêve et réalité, glace et feu, rouge profond et noir de jais, confondant leurs charmes sulfureux sous la seule loi du désir et la menace constante du crime fétichisé. Attention: danger! Un cinéma follement créatif, amorcé en mode Amer puis confirmé dans L’Étrange Couleur des larmes de ton corps. Aujourd’hui, c’est du côté du western et de la série noire qu’Hélène Cattet et Bruno Forzani resurgissent, adaptant librement un bouquin de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid paru à l’orée des années 70. C’est dans la librairie bruxelloise où elle travaillait alors que Cattet a découvert -dans l’intégrale Manchette qui venait de paraître- Laissez bronzer les cadavres (lire la critique), le roman, « un mélange de western et de polar à l’italienne, présentant donc pas mal de points communs avec ce qu’on faisait« . L’idée d’adapter un livre ne leur était jamais venue, mais le tandem a senti qu’il pourrait « y trouver (sa) place. D’autant, explique Forzani, que c’est un roman assez cinématographique, raconté par le temps et l’espace, très visuel. En fait c’était comme si on nous donnait un scénario issu des années 70, avec des personnages qui sont dans l’action et pas dans la psychologie, avec une forme d’onirisme dans la violence et des choses d’avant la société de consommation, qu’on ne trouve plus aujourd’hui. Quelque chose de minéral, de westernien, où le récit policier n’épouse ni le point de vue de la loi, de l’ordre et de la morale, ni non plus celui des gangsters bling-bling du cinéma actuel. C’est le côté anarchiste du western à l’italienne: personne n’est tout à fait blanc ou tout à fait noir, tous les personnages sont gris! »

L’affirmation de Bruno Forzani sur le gris vaut pour l’aspect moral des choses, car par ailleurs et comme toujours chez les réalisateurs d’Amer, la couleur bénéficie dans leur nouveau film d’une riche palette expressive. Et ce sans recourir au digital qui permet de tout faire après coup. « Nous travaillons toujours à l’ancienne, c’est-à-dire en pellicule, en Super 16, explique Cattet. Comme nous voulions une palette très colorée pour les scènes de jour, il a fallu tout choisir en fonction: décors, costumes, accessoires. Pour avoir ces éléments flashs par la suite. Manu (Dacosse, leur chef-opérateur attitré, NDLR) élabore sa lumière de telle manière qu’à l’étalonnage (1) on peut ensuite pousser un peu les couleurs pour obtenir au final ce qu’on avait en tête dès le départ. »

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« L’époque du roman nous a aussi inspirés pour son côté plastique, commente encore Hélène, particulièrement celui du mouvement des Nouveaux Réalistes qui nous a aidés à faire décoller notre adaptation, à passer des mots aux images. Nous nous sommes servis de cet univers pour rejoindre nos propres élans oniriques, mais aussi pour filmer les scènes d’action -nouvelles pour nous- sans faire du John Woo ou du Sergio Leone. Nous nous sommes inspirés des Anthropométries d’Yves Klein, des happenings d’Arman. Ça nous a aussi servi pour développer un des personnages du livre que nous avons placé au centre: Luce, une artiste directement inspirée par Niki de Saint Phalle. »

Avec les trip(e)s

Dans Laissez bronzer les cadavres, l’appel de l’abstraction ne contredit jamais la nature profondément organique du spectacle. « Ça se travaille avec les tripes, lance Forzani, il faut donner de la chair aux personnages mais aussi à l’action! On ne travaille pas le genre à froid, notre prisme inclut la tête et le corps. Au départ du projet, nous voulions d’ailleurs faire un casting de gens ayant travaillé dans le cinéma porno à cette époque des années 70 où ils ont fait tomber les tabous… » En enlevant son « e » à « tripes », on obtient un autre mot auquel font penser plusieurs scènes carrément psychédéliques, hallucinées, de Laissez bronzer les cadavres. « Déjà dans l’adaptation du livre nous avions décidé de supprimer les repères horaires, pour désorienter et faire basculer dans le chaos, explique Forzani. Dans le livre, les personnages boivent, boivent, boivent jusqu’à tomber dans des transes que nous avons voulu exprimer physiquement jusqu’au duel final, où nous avons décidé de partir dans l’abstraction totale, loin de tout réalisme, en le traitant comme s’il s’agissait d’un orgasme… »

Doug Headline, fils de Jean-Patrick Manchette et dépositaire de son oeuvre, avait cessé d’accorder des droits d’adaptation à des réalisateurs francophones, à force d’être déçu. Aimant les films précédents d’Hélène et Bruno, il a heureusement fait exception pour eux. Et ouvert la voie à un film instantanément culte.

(1) Opération post-tournage visant à paramétrer tant que faire ce peut, de manière photochimique ou numérique, l’équilibre, l’intensité, le contraste des images et donc des couleurs.

  • Le cinéma Nova, à Bruxelles, propose une carte blanche à Hélène Cattet et Bruno Forzani, jusqu’au 25/02. Avec entre autres des films signés Gaspar Noé, Shinya Tsukamoto et Jess Franco, et des rencontres avec Doug Headline (le fils de Jean-Patrick Manchette) et Jean-Pierre Bastid (co-auteur du roman Laissez bronzer les cadavres).

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