Gus Van Sant: « John Callahan aimait flirter avec les limites »

Gus Van Sant © Scott Patrick Green
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Trois ans après le flop de The Sea of Trees, Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot marque un regain de forme sensible dans le chef du cinéaste américain Gus Van Sant. Rencontre.

Il ne se trouvait plus grand monde, sans doute, pour parier un kopeck sur Gus Van Sant après le ratage de The Sea of Trees, flop retentissant resté dans les mémoires cannoises. Trois ans plus tard, Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot marque pourtant un regain de forme sensible dans le chef du cinéaste américain. Lequel, alors qu’on le retrouve au festival de Berlin, considère d’ailleurs avec philosophie l’accueil glacial réservé à son précédent opus: « J’avais déjà eu de mauvaises critiques auparavant. Even Cowgirls Get the Blues s’était fait éreinter, et Elephant (pourtant Palme d’or à Cannes en 2003, NDLR) avait été allumé également. Soit c’est l’habitude, soit c’est l’âge, mais j’ai su rester objectif dans la tourmente, ou en tout cas m’en protéger. Même si j’étais forcément triste: on espère toujours la réussite de ses films…« 

Histoire peut-être de mettre toutes les chances de son côté au moment d’entamer sa « convalescence », Van Sant s’est tourné, pour son dix-septième long métrage, vers un sujet sur mesure: la biographie de l’un de ces outsiders comme il les a toujours affectionnés, John Callahan, caricaturiste alcoolique et quadriplégique originaire de Portland, là même où le cinéaste a longtemps élu résidence et situé un grand nombre de ses films, de Mala Noche à Restless en passant par My Own Private Idaho, Drugstore Cowboyou Paranoid Park. « John était une personnalité locale. Je le connaissais de réputation, c’est une petite ville. Nous fréquentions les mêmes cercles, mais je n’ai vraiment commencé à le connaître qu’à la fin des années 90, en m’attelant à une première mouture du scénario, et en l’interviewant longuement à plusieurs reprises à cette occasion. » Deux décennies s’écouleront avant de voir le projet aboutir, Callahan disparaissant entre-temps, en 2010, suivi quatre ans plus tard par Robin Williams, instigateur du projet: « Il avait pris une option sur les mémoires écrits par Callahan, qu’il connaissait, je pense, par ses dessins dans les journaux. Son ami Christopher Reeve étant tétraplégique depuis un accident de cheval, le sujet lui parlait. Et il s’agissait de quelqu’un se débattant avec un problème d’alcool, situation qui lui était familière. Son intérêt titillé, Robin m’a invité, après Good Will Hunting , à piloter ce projet très personnel pour lui. Les studios étaient toutefois effrayés, ce n’est pas le genre de sujet qu’ils sont enclins à financer, d’autant plus que d’autres films tournant autour de ce type de guérison, comme 28 Days ou My Life, venaient de faire un flop au box-office. Si bien que le film ne s’est pas monté…« 

Joaquin Phoenix et Gus Van Sant
Joaquin Phoenix et Gus Van Sant© DR

Flirter avec les limites

Van Sant n’abandonna jamais totalement le projet, y revenant par intermittence. À croire que l’alignement des planètes était plus favorable ces jours-ci, qui nous vaut de découvrir un biopic que l’on n’espérait plus vraiment. Si réussite il y a, c’est parce que outre son évident sens de la narration, relevé de l’humour acéré de Callahan (le titre est d’ailleurs emprunté à l’un de ses dessins), le réalisateur a eu l’excellente idée de faire appel, pour l’incarner, à Joaquin Phoenix, retrouvant ce dernier… près de 25 ans après leur première collaboration, pour To Die For. Soit le film devant révéler l’acteur sous les traits d’un adolescent mal dégrossi tendance délinquant juvénile qui aidait dans son entreprise criminelle une Nicole Kidman prête à tout, et plus encore. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et, look improbable dominé par une crinière orange assorti d’ironie affûtée, le comédien se montre, comme de coutume, impressionnant. « Nous sommes restés en contact tout ce temps, observe le cinéaste. Nous avons été voisins à New York, avant de déménager à L.A., et avons parfois été tout près de retravailler ensemble, nos intentions se concrétisant enfin avec ce projet. Je n’ai pas l’impression que Joaquin ait tellement changé depuis To Die For , si ce n’est qu’étant plus âgé, il a accumulé un surcroît d’expérience. » Et d’évoquer une préparation minutieuse, qui aura conduit l’acteur au Rancho Los Amigos, là-même où Callahan avait été soigné, tout en s’immergeant dans la biographie du dessinateur et en rencontrant ses proches, veillant toutefois à garder une certaine distance  » pour préserver son imagination« .

Méthode à l’évidence payante, et permettant à Phoenix d’aller au-delà du seul mimétisme pour traduire aussi l’esprit de Callahan (que Van Sant restitue également en émaillant le film de plusieurs de ses caricatures, féroces) -aiguisé au point que l’on peut s’interroger sur l’accueil qu’il aurait rencontré aujourd’hui, à une époque où le « politiquement correct » dicte sa loi… « On lui demandait souvent de présenter des excuses, c’était monnaie courante pour lui, relève encore le cinéaste. Le film s’arrête lorsque sa carrière décolle, avec la publication de ses dessins dans un magazine national, moment où les critiques se sont multipliées. Mais elles avaient déjà commencé lorsqu’ils paraissaient dans le journal universitaire de Portland. Nous ne faisons qu’effleurer le sujet, mais ce phénomène a pris de l’ampleur avec le succès. Même au sein de la communauté handicapée, et son antenne politique, Callahan était perçu comme un outsider plutôt que comme un appui. Il aimait flirter avec les limites… » Pas consensuel pour un sou, raison, peut-être, pour laquelle ses dessins ont conservé une force peu banale…

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