Et si on roulait à vélo au cinéma?

Le Voleur de Bicyclette, de Vittorio De Sica © The Criterion Collection

Les premières étapes du Tour de France nous ont donné envie d’une autre boucle, celle du vélo au cinéma. De Kubrick à De Sica, échappée en 35mm.

Des cols pour briser les jambes, des pavés pour faire trembler, des sprints qui tuent. Du grand spectacle. D’abord, ça s’agglutine, ça se jauge dans le peloton. Et puis, c’est l’échappée. La cadence s’accélère, le groupe s’étire. Le combat des jambes. Une poignée de coureurs creuse l’écart.

Un dernier homme en danseuse, il a le coup de pédale de plus. L’ambition et la folie, aussi. 80 kilomètres en solitaire. Le suspens est à son comble. Alors, on se demande si les jambes vont tenir, si la barre énergétique dopera les performances. Le peloton n’est jamais loin, prêt à avaler ceux qui rêvent. Le Tour de France redémarre avec un Belge en jaune. L’occasion de boucler une autre étape, celle du vélo au cinéma.

Du grand spectacle. Un peu comme Lambert. Pas Gérard, Ghislain. Lui, son secret c’est les amphétamines. Débuts à la traîne, puis fusée. On démarre calmement, les instructions de l’équipe. Trop tard pour Ghislain Lambert. Il est parti. Poelvoorde en looser magnifique.

S’il avait un cousin facteur, ce serait François de Jour de Fête. Bouleversé par un reportage sur la poste américaine, le personnage de Jacques Tati décide de rouler vite, toujours plus vite. Il finit par s’inviter dans une course cycliste. Après une heure vingt de gags, le village en a marre et François se plante dans l’eau.

Dans Les triplettes de Belleville, on regarde les aventures de François le facteur. Surtout Champion, le cycliste du film d’animation de Sylvain Chomet. Mais comme un Ghislain Lambert sobre, il peine à la tâche. On finit même par l’enlever, sur une étape du Tour. Sa grand-mère part à sa poursuite. La plus grande scène de pédalo du cinéma français.

L’important pour la performance, c’est de bien s’hydrater. En 1962, au système de ravitaillement s’ajoute un étrange rituel. Entre les badauds qui pique-niquent attendant la caravane, qui poussent les derniers à bout de force, il y a le pillage des cafés et des pompes à essence.

Quand le coureur a soif, il saute de son vélo. Une nouvelle course commence. À grandes enjambées, il déboule dans les débits de boisson, s’empare de tout ce qu’il trouve. Ensuite, ce sont les fesses sur la selle et les bières dans les poches. Moins dopés, mais plus bourrés. C’est Vive le Tour, un court documentaire de Louis Malle. Pour une scène surréaliste qui tient de la fiction.

Dans la rubrique « et si on roulait dans les magasins », il y aussi Premium Rush de David Koepp. Un thriller avec Joseph Gordon-Levitt en coursier à vélo. De la course poursuite dans les parcs, à contre-sens sur les grandes avenues, et finalement, dans les épiceries de quartier. Ça roule très vite. Le Fast and Furious de la bicyclette.

Le coeur s’emballe, à bout de souffle. Alors, on ralentit. Comme chez Ozu, dans Printemps Tardif. On y roule le sourire aux lèvres, tranquillement, à deux. La contre-plongée du bonheur, un air de trompette qui tombe amoureux. Les deux promeneurs s’arrêtent à la plage, tout est léger. Ozu prend le temps de montrer. Deux minutes de bicyclette en ligne droite.

Mais un tour en vélo, ça tourne. Il y a les lacets de haute montagne où les cuisses tirent, et il y a les circuits fermés. Le plus célèbre, il se roule en tricycle. C’est Shining, de Stanley Kubrick. Un plan séquence génial, au steadycam qui flotte derrière Danny et ses trois roues. Pour une boucle angoissante dans les pièces vides de l’Overlook Hotel. Le tout, avant beaucoup de sang.

Comme dans la Vita è Bella, la fable de Roberto Begnini, avant la tristesse. On y prend les descentes un peu vite, à un peu trop sur la bicyclette. Mais on est content, parce que tout va bien. Mais à Arezzo, le drame guette. Après les deux roues, le train. On rentre en char d’assaut à la fin de la guerre.

À Rome aussi, on roule à vélo. S’il ne fallait citer qu’un seul film, ce serait Le voleur de bicyclette. Le plus beau long-métrage de Vittorio De Sica, celui qui l’a installé comme un des grands de l’époque. Pour vaincre le chômage, Antonio Ricci a besoin de son vélo. Il devient colleur d’affiches, l’espoir s’installe. C’est le deux roues qui libère, celui de l’émancipation sociale. Le combat de classe. Soudain, le drame est simple. Un vol, puis une poursuite. Sous les yeux candides de son fils, Antonio va parcourir Rome pour retrouver son bien. Il finira par imiter son pillard, sans succès. La morale face au désespoir, l’honnêteté contre l’injustice. Quand de deux roues dépend une vie. Un chef-d’oeuvre du néoréalisme.

On a beaucoup roulé à deux roues au cinéma. Qu’il soit l’objet de performances sportives ou un simple moyen de transport. Et souvent, c’est l’occasion d’un travelling. Le paysage passe, on le regarde brouillé par le bokeh. Alors, pour terminer ce tour de bobine, rien de tel qu’un film à vélo qui ne roule pas. Dans les Parapluie de Cherbourg, Jacques Demy installe un mouvement de caméra qu’on n’avait vu que chez Cocteau, pour son Orphée. Les deux amoureux sont placés sur le dispositif de travelling, le vélo à la main. Ça chante et ça avance tout seul. L’effet est efficace. Le décor glisse en arrière-plan. Tout est déprimé. Eux sont statiques, dans une bulle. Classique.

Victor Huon

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content