D’une fatwa l’autre: « J’ai voulu faire un film sur le combat d’un musulman ordinaire »

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Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Sur les pas d’un père venu enterrer son fils, Mahmoud Ben Mahmoud livre dans Fatwa le portrait de la Tunisie de 2013, en proie aux assauts du salafisme. Rencontre.

Sixième long métrage du cinéaste tuniso-belge Mahmoud Ben Mahmoud, Fatwa se situe à une période charnière de l’histoire tunisienne récente. À savoir en 2013, deux après la chute de Ben Ali, alors que des organisations salafistes faisaient peser une menace inédite sur la société. « Si je n’avais pas daté le film, j’aurais été injuste par rapport à la situation actuelle, relève-t-il. Laisser croire que des assassinats politiques, des fatwa, auraient pu être émis aujourd’hui ou dans un contexte intemporel aurait, me semble-t-il, été inexact et injuste. Mais à l’époque, ces groupes avaient vraiment le vent en poupe. C’était une époque sanglante, coïncidant avec le début d’une série d’actions violentes. Ces gens ont terrorisé la société jusqu’en 2015, sans que l’on soit encore totalement à l’abri, même si a priori, le climat a été assaini. » Contexte incandescent dans lequel un homme, installé en France depuis son divorce, revient au pays pour y enterrer son fils, et découvrir que ce dernier avait rejoint la mouvance islamiste.

Inscrit dans la réalité tunisienne d’alors, le film aurait pourtant dû se dérouler en… Belgique. « J’étais parti d’un article publié dans la presse flamande vers 2004-2005, sur l’hypothèse d’un camp djihadiste en Ardenne, explique le réalisateur. Parallèlement à cela, il y a eu à la même époque une branche radicalisée des scouts musulmans de Belgique, les scouts de Bruxelles-Ouest, qui était passée sous contrôle salafiste et faisait une propagande haineuse sur Internet. J’en ai parlé aux frères Dardenne, mes producteurs habituels, qui m’ont encouragé à imaginer une fable prenant sa source dans ces événements-là. Le scénario devait être tourné en Belgique en milieu scout, mais les partenaires français n’ont pas suivi. Entre-temps, je suis passé à autre chose, j’ai tourné Le Professeur, quand il y a eu la révolution en Tunisie. Pour ne pas perdre le sujet, j’ai essayé de voir dans quelle mesure, avec la liberté d’expression que la révolution offrait, il était possible de l’adapter à la situation tunisienne. Surtout avec l’apparition de courants salafistes, de l’islam politique en général et de branches radicales. Et puis, à côté de cela, de courants laïques aussi, toute cette posture philosophique interdite sous la dictature, dont les représentants étaient soit en exil, soit en prison, soit dans la clandestinité. »

D'une fatwa l'autre:

Dimension pamphlétaire

Pour autant, le film ne s’en tient pas à l’opposition de deux camps antagonistes, option trop réductrice pour s’avérer réellement satisfaisante, de l’avis du cinéaste. Si Mahmoud Ben Mahmoud montre une société traversée de courants multiples et souvent contradictoires, il s’emploie aussi à démonter les mécanismes souterrains de la radicalisation. Non sans identifier limpidement la cible première de l’intégrisme, un islam modéré incarné par ce père en quête de vérité. « C’est le message réel du film. J’ai toujours voulu montrer un musulman ordinaire aux prises avec les courants nouveaux apparus en Tunisie après la révolution, parce que pour la population, la laïcité était tout aussi inédite que le radicalisme ou le salafisme. Si j’ai voulu faire un film sur le combat d’un musulman ordinaire, c’est parce que j’ai constaté que partout dans le monde musulman, la véritable bête noire pour les mouvements salafistes, c’est cet islam ouvert, tolérant, parce qu’il est en concurrence avec eux. Il se situe sur leur terrain et propose une lecture différente de l’islam. »

Un constat que le réalisateur a choisi d’articuler sous la forme d’une intrigue à coloration policière, revêtant par ailleurs une dimension ouvertement pamphlétaire: « Le film était moins direct et moins frontal quand il était belge, et plus dans la nuance et le non-dit. En Tunisie, je l’ai écrit dans l’urgence, en m’identifiant à la pression subie par les gens. D’où le caractère pamphlétaire. Quant à l’intrigue policière, elle s’est imposée très tôt, parce qu’avec un sujet sur la religion, pas nécessairement spectaculaire, je ne voulais pas tomber dans les affrontements idéologiques, littéraires, faire un film assis, comme on le dit péjorativement. J’ai très vite pris le parti de tourner un film avec les « ingrédients » d’un policier pour que le sujet soit plus digeste pour le public. » Avec, toutefois, un goût de cendre persistant…

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