Critique

[Critique ciné] Eight Grade, bienvenue dans l’âge ingrat

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

COMÉDIE DRAMATIQUE | Dans ce chouette petit film indé, une ado mal dans sa peau prodigue en vidéos des conseils de vie qu’elle-même se montre peu capable d’appliquer.

« Inspiré par l’année la plus ingrate de votre vie« , ironise la pub. Et, en effet… Écrit et réalisé par Bo Burnham, artiste américain de 28 ans à peine ayant percé dans la musique et dans l’humour grâce à ses vidéos-phénomènes postées sur YouTube, Eighth Grade raconte les derniers jours de middle school de Kayla (incroyable Elsie Fisher!), treize ans, jeune fille potelée au visage rongé par l’acné qui vit seule avec son père dans une dynamique de cohabitation oscillant au quotidien entre l’amour nouille et l’incompréhension pure. Littéralement rivée à son téléphone, elle se met en scène dans une série de vidéos qu’elle semble avant tout partager à destination d’elle-même, comme autant de variations sensibles sur la question de la confiance en soi: « Être soi-même« , « Avoir de l’aplomb« , « Oser se lancer« , « Devenir plus adulte« … Thémas à la trivialité toute métaphysique autour desquelles se noyaute cet anti- American Pie par excellence, comédie dramatique indie où Google, Instagram, YouTube et Snapchat sont vécus en passages obligés pour tenter de répondre à tous les problèmes posés par l’existence.

Freaks & Geeks

[Critique ciné] Eight Grade, bienvenue dans l'âge ingrat

La grande idée d’Eighth Grade? Sa bande-son, puisant allègrement dans l’électro maximaliste, quasiment wagnérienne, d’Anna Meredith, Britannique surdouée venue du classique. Étrangement angoissante et extatique à la fois, sa pop ludique et décomplexée trouve dans la grandiloquence expérimentale matière à dégorger les crescendos émotionnels en cascade. À elle seule, elle suspend l’action du film pour nous faire pénétrer directement dans la tête et le coeur de sa protagoniste. Car Eighth Grade est aussi et avant tout affaire de point de vue. Aimantée à elle, la caméra traduit en permanence le ressenti et les humeurs de Kayla, ado mal dans sa peau alternant, façon montagnes russes affectives, micro-drames vécus à la manière de grandes tragédies et moments de brève euphorie, comme autant de petites victoires d’ailleurs souvent fantasmées.

À l’ère, warholienne en diable, des influenceurs en pagaille et de la gloire pour tous, le plus grand désastre intime est peut-être celui de l’indifférence. Burnham l’a bien compris, qui passe la chape de plomb de la pression sociale au filtre sans appel du virtuel. Tout est question d’équilibre: rien, ici, n’est appuyé. Avec son ton bancal et volontairement maladroit, flirtant intelligemment avec la gêne et l’embarras, le film ne sombre jamais ni dans le couplet railleur ni dans le mélo racoleur. Sincère, honnête et vrai: au-delà de ses ultra modernes obsessions, l’esprit présidant à Eighth Grade rappelle au fond dans ses meilleurs moments celui des plus belles heures de Freaks & Geeks, cette indispensable série télévisée produite à la charnière des années 90 et 2000 par un Judd Apatow alors déjà au sommet de son art. Bienvenue dans l’âge ingrat.

De Bo Burnham. Avec Elsie Fisher, Josh Hamilton, Emily Robinson. 1h33. Sortie: 20/02. ***(*)

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