Pourquoi les enfants sont dingues de dinosaures

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Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Le spectacle live Sur la terre des dinosaures, de passage à Bruxelles pour quelques jours, ravive la flamme de la dinomania. Mais pourquoi les enfants sont-ils tellement gagas de ces gros lézards disparus?

Les premiers ont été identifiés au début du XIXe siècle et leurs squelettes ont fasciné depuis leur découverte, mais la passion pour les dinosaures a connu un tournant auprès du grand public dans les années 1990, lors de la sortie de Jurassic Park, Steven Spielberg ayant préparé le terrain en produisant le dessin animé Le Petit Dinosaure et la vallée des merveilles (1988) et des documentaires pour le petit écran. Depuis, l’engouement n’a pas faibli, régulièrement relancé au cinéma ou à la télé, notamment par la série documentaire Walking with Dinosaurs/Sur la terre des dinosaures, produite par la BBC et qui a donné lieu à un spectacle live en tournée à travers le monde depuis 2009, qui s’arrête pour trois jours à Bruxelles. (1)

Mais pourquoi les enfants, les filles comme les garçons, raffolent-ils autant des dinos? « Ce sont des animaux qui présentent des proportions incroyables, qu’on n’a pas l’habitude de voir, donc ça fascine », avance comme premier élément de réponse Morgane Vandervelden, biologiste de formation et animatrice au sein du service pédagogique du Museum des sciences naturelles à Bruxelles, institution dont l’attraction phare reste au fil des ans les fameux iguanodons de Bernissart. Autre caractéristique à prendre en compte: la diversité des espèces, aux noms généralement complexes, que les enfants adorent retenir, se montrant souvent en cela plus « spécialistes » que les adultes de leur entourage. »Je me rappelle d’un groupe d’enfants de 3 ans à peine à qui je montrais des images de dinosaures, raconte Morgane Vandervelden. « Celui-là, c’est le Parasaurolophus! » se sont-ils écriés. Au début de mes animations au Museum, un enfant voulait que je lui parle du carnotaure. Je n’avais jamais entendu ce nom et j’avais réussi à convaincre ce garçon qu’il n’existait pas. C’est seulement quand je suis allée vérifier après la visite que je me suis rendu compte que le carnotaure existait bel et bien. Il faut dire qu’on connaît aujourd’hui plus ou moins un millier d’espèces de dinosaures et qu’on en découvre régulièrement de nouvelles. »

Eteints depuis l'ère secondaire, les dinos ne font plus peur aux enfants.
Eteints depuis l’ère secondaire, les dinos ne font plus peur aux enfants.© Joan Marcus

Le roi T-Rex

« Chez l’enfant, l’animal occupe une place d’importance tant dans la vie réelle que dans la vie fantasmatique, explique Karin Tassin, auteure de Symbolisme de l’animal dans la psychothérapie de l’enfant, publié dans la Revue française de psychanalyse. L’animal n’est pas doué de parole et cette caractéristique le rend à la fois proche des premières années de l’enfance et plus facilement malléable que l’être humain. Il peut alors devenir pour l’enfant à la fois un support d’identification et un support de projection de ses fantasmes et de ses pulsions. » Dans ce cadre, Karin Tassin relève que les dinosaures ont pris, ces dernières années, une place de choix chez les enfants, avec une distinction clairement établie: la différence entre les herbivores et les carnivores. « Herbivore, il est associé au stade oral de succion, c’est-à-dire à un animal gentil. Carnivore, il devient un carnassier aux dents tranchantes en lien avec un sadisme oral, période de découverte de la morsure et de la mastication », poursuit Karin Tassin. Et le préféré des préférés est un carnassier, le fameux tyrannosaure, 5 mètres de hauteur, 13 mètres de longueur, le vrai méchant de Jurassic Park et du Petit Dinosaure et la vallée des merveilles, également de la partie -mais en version sympathique- dans la bande de jouets de Toy Story.

Mais comme le confirme Morgane Vandervelden, même de ce terrible prédateur aux dents pouvant atteindre les 20 centimètres, les enfants n’ont pas peur. Parce qu’ils savent que, contrairement au loup par exemple, autre héros récurrent des récits enfantins, les dinosaures ont disparu. « […] ils vécurent à une époque où l’homme n’existait pas encore, de sorte que leurs conflits étaient étrangers aux nôtres, ainsi que, pour une large part, leur environnement, signale le psychologue et docteur en psychanalyse Pascal Hachet dans son article Derrière les dinosaures, nos aïeux et leurs secrets (Imaginaire et Inconscient, 2004). La survenue des dinosaures dans le présent est donc impossible, à la différence des animaux et personnages monstrueux des contes et légendes. Le fait que ces animaux, éteints à la fin de l’ère secondaire, n’aient pas continué à vivre à l’ère tertiaire et jusqu’à nos jours est suprêmement rassurant. Les monstres du passé ne risquent pas d’attaquer l’enfant. »

Le dinosaure figurerait la puissance et la « périssabilité » de notre espèce.

Digne successeur

Pascal Hachet enchaîne en avançant que « cette caractéristique prédispose les dinosaures à être choisis par un enfant pour figurer des aïeuls ». « Il existerait donc une fonction pédagogico-psychologique des dinosaures, sur le modèle des contes pour enfants selon Bettelheim.(2) Se familiariser avec des images de dinosaures, ce serait se familiariser avec le versant imagé de l’influence transgénérationnelle des expériences de vie familiales dans ce qu’elles ont de constructif et de destructeur pour le développement mental d’un enfant. »

Mais si les dinosaures incarnent le passé, leur extinction à la suite d’une série d’événements survenus il y a plus ou moins 65 millions d’années (changements climatiques, éruptions volcaniques, chute d’une énorme météorite) dresse un parallèle inquiétant avec l’avenir de l’humanité. « […] l’homme, redoutable prédateur victorieux de son écosystème, se révélerait comme le digne successeur des dinosaures et, tout comme eux, serait à présent menacé de disparition, souligne Pascal Hachet. Maître de la Terre pendant des dizaines de millions d’années et cependant rayé des espèces vivantes, pour des raisons mal élucidées, le dinosaure figurerait la puissance et la « périssabilité » de notre espèce. »

« Mais j’aime préciser lors de mes animations que c’est finalement grâce à l’extinction des dinosaures que l’homme a pu se développer, conclut Morgane Vandervelden. Lorsque les ressources alimentaires s’épuisent, comme ce fut le cas à la fin du Crétacé, ce sont les animaux plus petits, qui n’ont pas beaucoup de besoins, qui survivent. C’était le cas de certains mammifères, qui ont fait ensuite ce qu’on appelle une « radiation évolutive »: ils se sont développés dans tous les milieux. » Jusqu’à l’évolution en Homo sapiens. Le malheur des uns a fait le bonheur des autres. Un lien de plus entre hommes et dinos.

(1) Sur la terre des dinosaures, le spectacle live: du 7 au 9 décembre au Palais 5 du Heysel, à Bruxelles. www.dinosaurlive.com

(2) Dans Psychanalyse des contes de fées (1976), Bruno Bettelheim décortiquait le contenu psychanalytique des contes pour enfants.

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