L’art, une attraction comme une autre?

Découvrir les oeuvres de façon amusante et interactive, tel est le concept de Mudia. © DR
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

A Redu, un nouveau musée, le Mudia, lance un pavé dans la mare culturelle en déroulant sept siècles d’histoire de l’art au fil d’une scénographie ludique et proche du public. Efficace en diable.

« Avez-vous pensé à chatouiller le nombril du plongeur? » Inscrite au-dessus de la porte de l’une des vingt salles du Mudia, la suggestion laisse le visiteur perplexe. Inhibé par les centaines de « on ne touche à rien » qui ont émaillé son enfance, le curieux a besoin de quelques secondes pour réaliser qu’il y a peut-être quelque chose de différent à découvrir sur le triptyque qu’il se serait contenté de caresser des yeux. Il se retourne et pressent confusément que cette scène en trois pans dissimule un feu d’artifice visuel. Un triptyque, dites-vous? Il s’agit en réalité d’un tableau animé signé par Xavier Wielemans, un développeur de dispositifs interactifs muséaux connus pour ses collaborations avec des parcs d’attractions ou des grandes institutions nationales comme les Musées royaux des beaux-arts ou l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique.

Pour le nouvel espace de plus de 1.000 mètres carrés implanté au coeur de Redu, le fameux « village du livre », Xavier Wielemans a conçu un véritable chef-d’oeuvre. Sa création reproduit très fidèlement le célèbre tableau de Jérôme Bosch La Tentation de saint Antoine, à ceci près que la version qu’il en livre est ponctuée de « 60 points de sensibilité », comme le précise la conservatrice Karlin Berghmans. Osant un doigt sur la surface de l’oeuvre, on active une série d’animations qui créent une proximité inédite avec ce classique de la peinture flamande en même temps qu’elles aident le regardeur à l’appréhender autrement. Ce dernier doit d’abord résoudre une énigme: trouver le fameux plongeur qu’on lui conseille de chatouiller. Attention, alerte spoiler: le voilà, à mi-hauteur et à droite du panneau central, en équilibre sur un édifice de pierre. Un petit aller-retour d’index à hauteur du nombril et le personnage en pagne effectue une jolie pirouette. Il y a de quoi rester bouche bouée, totalement décontenancé de voir se mouvoir cette partie ignorée du tableau.

Alors qu’il croyait bien connaître la toile, l’amateur se heurte à une cruelle évidence: ses pupilles ne s’étaient jamais attardées de ce côté de l’arrière-plan. Idem pour les maisons qui brûlent sur la gauche, le cauchemar qu’elles suggèrent ne l’avait jamais pénétré avec autant d’intensité. A sa décharge, il faut avouer que chaque fois qu’il a vu une toile de Bosch, il lui a fallu lutter avec des armées de visiteurs pour obtenir quelques minutes de contemplation… hélas bien approximative, il s’en rend compte désormais. Du coup, il se prend au jeu, déclenchant tout ce qui est possible, jouant compulsivement du pouce. L’inspection tactile possède un effet inattendu: elle prolonge l’oeil en inscrivant la composition profondément dans la mémoire, faisant place à une connaissance plus intime de cette scène foisonnante.

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Une initiative 100% privée

A l’heure de l’intensification du tourisme culturel, le Mudia a bien reçu le message qu’il était nécessaire de repenser le modèle muséal en tenant compte du fossé de plus en plus large qui sépare le grand public de l’art. Eric Noulet, collectionneur belge et à l’initiative du projet, est de ceux qui pensent que ce divorce produit des effets désastreux. Inspiré par des centaines de visites, il a imaginé ce nouveau lieu qui n’hésite pas à prendre le visiteur par la main afin de lui assurer que « l’art le regarde ». « Après une carrière dans le marketing au cours de laquelle il a géré des campagnes publicitaires pour des multinationales, Eric Noulet a planché trois ans sur le Mudia, explique sa conservatrice, par ailleurs historienne de l’art. N’en déplaise aux puristes: il n’hésite pas à évoquer un « musée d’art didactique », voire une « attraction muséale » pour qualifier cette initiative 100% privée. Son expérience lui a prouvé qu’il manquait quelque chose aux lieux de culture habituels. Il y existe une sacralisation de la création qui fait que le visiteur lambda pense que ce n’est pas pour lui. Si on place un adolescent devant une « nativité » italienne du xive siècle, il prendra ses jambes à son cou. L’idée qui nous guide, c’est de contextualiser les oeuvres de manière à recréer le lien défait avec elles. »

A cet égard, il faut reconnaître que le Mudia n’a rien laissé au hasard. Les quatre niveaux de cet ancien presbytère du xixe siècle parfaitement rénové se découvrent comme une mécanique didactique idéalement huilée misant sur la proximité physique avec les oeuvres. Muni de son ticket, le candidat à la découverte se voit dérouler les grands courants de l’histoire de l’art, du xve au xxie siècle, à la façon d’un tapis rouge. « Ici, c’est l’art qui vient vers vous, du gothique médiéval à l’hyperréalisme », insiste Karlin Berghmans à la faveur d’une spontanéité désarmante qui cabrerait les adeptes de la méritocratie culturelle… C’est bien de bonnes vibrations dont il est question dans ce lieu hébergeant 300 oeuvres (issues de la collection d’Eric Noulet mais également de prêts) et parfaitement agencé. Kandinsky, Rik Wouters, Picasso, Klee, Munch, Klimt, Kupka, Marcel Broodthaers… il y a de quoi se réjouir, surtout qu’une place de choix est faite aux représentants belges des différentes mouvances abordées.

Découverte en famille

Faut-il tout de même craindre un « Disneyland Art History »? Non, car c’est moins le caractère spectaculaire qui est en ligne de mire qu’une approche au rythme juste et à l’environnement intelligemment mis en scène – c’est Christophe Gaeta, notamment scénographe de l’exposition J’avais 20 ans en 45, qui a coordonné cet aspect des choses. Révélateur: sous couvert d’interactivité, il n’a, par exemple, pas été question de farcir le Mudia d’écrans tactiles. L’horizon de l’approche étant la découverte en famille, les dispositifs d’accompagnement ont été pensés dans le sens de l’équilibre. Les panneaux classiques subsistent donc ici, offrant aux lecteurs compulsifs leur dose rassurante d’explications. A cela s’ajoutent de nombreuses trouvailles qui facilitent l’immersion. Ici, un escalier en bois sur lequel il faut monter pour découvrir un petit tableau néoclassique; là, une odeur vanillée de crêpe qui sert de contexte olfactif pour les toiles de l’école de Pont-Aven; ailleurs encore, une machine à sous qui aborde l’un des tabous de l’art: celui de la valeur (elle nous rappelle que le Portrait du docteur Gachet de Van Gogh s’est échangé pour 126 millions d’euros). Sans oublier de petites parenthèses informatives qui, sous forme de questions ou de synthèses, permettent de revenir sur ces questions – Art déco? Art nouveau? – qui agitent les familles. On a tout le temps d’y repenser au Mudia café, l’espace de restauration qui clôt le parcours en offrant une vue splendide sur la région.

Mudia: 61, place de l’Esro, 6890 Libin (Redu). www.mudia.be

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