Critique scène: Génie du mal

© Véronique Vercheval
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Après Taking Care of Baby, Jasmina Douieb revient à l’écriture de Dennis Kelly. En faisant de l’anti-héros de L’Abattage rituel de Gorge Mastromas un rat de laboratoire, la metteuse en scène amplifie la drôlerie du texte, comme toujours mordant, de l’auteur britannique.

Il y a des moments dans l’existence où, même si on n’en a pas parfaitement conscience à l’instant précis, tout bascule. De l’innocence à la perversion. De winner à loser. De la soumission à la domination. De la vérité au mensonge. Ce sont ces instants décisifs d’une vie entière que Dennis Kelly (lire aussi son portrait) passe sous son implacable loupe dans L’Abattage rituel de Gorge Mastromas.

Critique scène: Génie du mal
© Véronique Vercheval

Gorge Mastromas, c’est ici Yoann Blanc, que tous ceux qui vivent à moins de 10 mètres d’une télé ne peuvent méconnaître dans la peau de l’inspecteur Yoann Peeters, de la série RTBF La Trêve. Si vous n’avez pas tilté, il est ici dirigé par Jasmina Douieb, soit la psy Jasmina Orban, sa partenaire au petit écran. Tournant d’abord le dos au public, puis ne prononçant pas un mot pendant toute la première partie de la pièce, ledit Gorge voit, dans un décor modulable de rideaux en lamelles plastiques transparentes, quelques tranches de sa vie passées sous le scalpel d’un quintette en blouse blanche se partageant la parole. Des scientifiques qui disséqueront successivement sa conception accidentelle, sa première grande honte d’enfance, ses décisions cruciales dans ses relations amoureuses et, surtout, ce moment fondamental où il choisit d’entrer dans la confrérie des puissants de ce monde, par la voie du mensonge, de l’imposture et de l’absence totale de scrupules.

Critique scène: Génie du mal
© Véronique Vercheval

De la narration clinique, on passe régulièrement à de vraies scènes, où les laborantins retirent leur tablier pour endosser les personnages auxquels est confronté Gorge dans ces moments-clés. Mention spéciale pour la réunion rythmée aux bulles de fontaine opposant François Sikivie en chef d’entreprise largué et France Bastoen en louve aux super-pouvoirs, et pour le duel fraternel au bord d’un lac, avec bielle et sandwich de dinde, entre Yoann Blanc et Stéphane Fenocchi.

Une plongée vertigineuse, aussi cruelle que drôle, dans la pire noirceur de l’âme humaine, et dans les rouages pervers d’une société où l’argent peut tout. Ou presque. Pauvre Gorge !

L’Abattage rituel de Gorge Mastromas : Jusqu’au 6 avril au Théâtre de Poche à Bruxelles, www.poche.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content