Unité 42: « L’écriture sur une série belge, c’est une super école… »

Constance Gay et Patrick Ridremont dans Unité 42. © RTBF
Nicolas Bogaerts Journaliste

La première saison de la série belge Unité 42 s’achève. Charlotte Joulia, scénariste, partage avec l’acteur Patrick Ridremont son intense processus d’écriture.

Alors que leur unité spécialisée en cybercriminalité va entrer en hibernation, les scénaristes Julie Bertrand, Annie Carels et Charlotte Joulia planchent sur les hackings de la prochaine saison. Le rendu de ses enquêtes policières bouclées à chaque épisode n’a pas entièrement convaincu, mais Unité 42, série produite par la RTBF, a réussi l’exploration d’un arc narratif au temps plus long: la confrontation (méthodes, personnalités, passés) d’un flic lessivé et bourru (Samuel/Patrick Ridremont) et d’une jeune inspectrice geek aux sombres motivations (Billie/Constance Gay). « L’idée était de montrer la lente combinaison entre l’enquête virtuelle et l’enquête réelle, entre deux personnages qui ont chacun leurs zones d’ombre », précise Charlotte Joulia en préambule de cet entretien-bilan à deux voix avec le comédien Patrick Ridremont sur fond d’univers sériel belge en pleine éclosion.

Après trois courts métrages et une collaboration sur Esprit de Famille, c’est la première série dont vous êtes pleinement scénariste, avec Annie Carels et Julie Bertrand. Quels changements voyez-vous entre ces étapes?

Charlotte Joulia: L’écriture sur une série belge, en ce moment, c’est une super école… Ce qui peut faire peur au cinéma, cette nécessité de l’efficacité, prend une tout autre dimension en télé car les téléspectateurs ont une arme redoutable entre les mains: la télécommande. J’ai dû apprivoiser certaines techniques. En faisant Unité 42, nous avons toutes les trois appris à écrire ensemble, à organiser le travail. Pour la deuxième saison, on est déjà beaucoup plus organisées, plus matures. On ne s’imaginait pas du tout, en 2015, qu’on s’engageait dans une course de fond.

Samuel (Patrick Ridremont) et Billie (Constance Gay): deux personnages qui ont chacun une zone d'ombre.
Samuel (Patrick Ridremont) et Billie (Constance Gay): deux personnages qui ont chacun une zone d’ombre.

La cybercriminalité évolue à grande vitesse. Comment avez-vous anticipé la possibilité que certains sujets soient vite dépassés?

C.J.: C’est vrai qu’entre l’écriture et la mise en boîte, on court le risque que certains éléments de l’enquête deviennent obsolètes. Un exemple: aujourd’hui, on doit donner son identité pour les cartes GSM prépayées. Il y a un an, ce n’était pas le cas. Pour maintenir ces histoires d’actualité hors du décalage, pour qu’elles soient justes, on les a fait valider par des experts et on reste disponibles au moment du tournage.

Jusqu’à quand se poursuit l’écriture ou la réécriture?

C.J.: Lorsque les réalisateurs sont arrivés dans le projet, ils ont amené énormément de choses. L’histoire a beaucoup évolué aussi suite aux lectures avec les comédiens. Durant le tournage, j’étais souvent au bout du fil avec les réalisateurs pour réécrire les séquences, solutionner les pépins. Jusqu’au dernier jour, il y a eu des changements.

Patrick, en tant que scénariste et réalisateur vous-même, vous n’avez jamais été tenté d’y mettre votre grain de sel?

Patrick Ridremont: Il s’agit d’une approche totalement différente pour moi. Charlotte, a été la scripte de mon film Dead Man Talking. C’était une des raisons qui m’ont fait accepter de tourner -avec le scénario et les dialogues. Mon apport sur cette série est lié uniquement à ma place d’interprète: comprendre les scènes, les rapports entre les personnages… Le reste, c’est pas mon boulot. C’est déjà très long 80 jours de tournage sans devoir être schizophrène (rires).

Le personnage de Sam est renfrogné, éteint, mais prêt à exploser. C’est un changement par rapport à votre registre habituel?

P.R.: Je me souviens d’un des premiers jours de tournage, une scène au cours de laquelle j’arrive sur les lieux d’un crime. Le premier réflexe du comédien dans la peau d’un flic, c’est de regarder partout, au plafond, au sol, sur les murs, les chambranles des portes, les fenêtres, les tentures, au cas où un indice ou -mieux!- le criminel s’y cacheraient… Mes indications étaient au contraire de ne pas bouger, de regarder et d’écouter, de jouer dans la retenue pour qu’on ressente que ce mec est dépassé, K.-O. debout. Il essaie de tenir le coup pour ses enfants, tente de sauver des vies pour sauver la sienne. Il repasse, il fait les courses, il s’accroche à ce boulot qui lui maintient la tête hors de l’eau. J’ai eu du mal à croire en ce que je faisais jusqu’à ce que le réalisateur me montre les premiers rushes. En plus, on traite de thèmes très difficiles et j’ai dû me débarrasser de tous mes clichés. Lors de ma visite à la Computer Crime Unit à Bruxelles, j’ai été frappé par la non-effervescence qui y règne: des gens derrière leur ordi comme vous et moi, mais qui voient des choses que vous et moi ne voyons pas.

Outre le policier Bob Franck (Tom Audenaert), on croise pas mal de personnages néerlandophones. Il y a eu un travail sur le langage des personnages?

P.R.: Très clairement. En tant que comédien, nous sommes dépositaires de la langue de nos personnages. Pour Tom, certaines répliques étaient des formules d’algèbre. Il a fallu les adapter avec lui pour qu’elles correspondent à la fois à une justesse de la langue réelle et à la manière dont son personnage a été écrit. C’est agréable d’avoir des accents flamands qui ne sont pas connotés négativement, qui constituent une indication sur le personnage.

La série traîte la disparition de la femme de Sam d’une façon qui tranche avec l’aspect réaliste de la série. Pourquoi?

C.J.: Il y a eu de longues discussions autour de la présence du spectre de sa femme, de la manière de le traiter. Il fallait l’incarner, pour qu’elle n’existe pas uniquement à travers les mots, les photos. Donner corps au deuil, à l’attachement de Sam. Même dans les interventions des criminels il y a pour nous cette interrogation: comment mettre de l’émotion, et jusqu’à quel point? Il s’agit avant tout d’histoires humaines.

Unité 42, série créée par Julie Bertrand, Annie Carels et Charlotte Joulia. Avec Constance Gay, Patrick Ridremont, Tom Audenaert, Roda Fawaz. ***(*)

Épisodes 9 et 10, dimanche à 20.55 sur La Une.

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