La télé de proximité, une tendance dangereuse et inquiétante

Ah c'est vous!, le nouveau talk-show de Benjamin Maréchal, refera l'actualité dans une station-service. © PHILIPPE BUISSIN - IMAGELLAN
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Entre le nouveau talk-show de Benjamin Maréchal et un débat dominical qui prendra plus que jamais l’avis du citoyen, la RTBF mise sur une rentrée participative. Le point sur l’épidémie.

« Hier, deux militaires ont sauvé un bébé de huit mois qui était seul dans une voiture à Verviers depuis 20 minutes. Maman déposait un document au syndicat. Est-ce que c’est normal comme pratique? » « Il faudrait donner des prix Nobel de l’inconscience. Un point c’est tout. On vole des voitures. Le gosse part avec. On le jette je ne sais où et basta. Il fait chaud. On s’en va. Le gosse est déshydraté et il faudrait encore dire: « Toutes mes sincères condoléances. » En plus, on ne donne rien comme punition à la mère. Tant qu’à faire, on va la féliciter. » Il est 10 heures et demie du matin sur La Une et Vivacité. Et Claudia, une anonyme, s’emballe. Bienvenue au café du commerce nouvelle génération. Dans le quotidien effrayant de C’est vous qui le dites de Benjamin Maréchal.

Maréchal est l’un des grands gagnants de la rentrée ertébéenne puisqu’il animera dès le 22 septembre Ah c’est vous!, une nouvelle émission hebdomadaire, tournée dans une station-service d’autoroute, qui refera l’actu de la semaine avec des citoyens. Avec le nouveau débat dominical sur la Une (A votre avis, présenté par Sacha Daout) qui s’annonce plus interactif que jamais (application à l’appui), la RTBF ouvre de plus en plus son antenne au public au risque du racolage. « Elle s’inscrit dans une tendance très générale et pas juste télévisuelle, explique Frédéric Antoine, sociologue des médias à l’UCL. Sur tous les sites de presse aujourd’hui, les gens sont invités à donner leur avis en bas des articles. L’interactivité est devenue la norme. Il y a quelques années, les médias reflétaient un système à sens unique. Ils étaient les porteurs de contenus, de la bonne nouvelle et de la mauvaise. Le public, passif, se contentait d’ingurgiter. Maintenant, on tient compte de ses opinions. »

On les lui demande même. Et plus souvent qu’à son tour. « Ça ne pourrait pas se passer autrement vu l’importance prise par les réseaux sociaux où tout le monde passe ses journées à donner son avis et raconter sa vie. Les médias traditionnels courent derrière les nouveaux médias. On en vient à demander à tout le monde de s’exprimer sur tout et n’importe quoi. »

A la sortie du film The Social Network, David Fincher et son scénariste Aaron Sorkin expliquaient le succès de Facebook par une volonté de figurer en couverture de son propre Time Magazine. « C’est un peu le même constat oui, poursuit Frédéric Antoine. C’est lié à l’individualisme contemporain. Chacun dorénavant se sent porteur de sa propre vérité. Les gens ont envie d’être reconnus pour eux-mêmes. Ça leur donne l’impression de ne pas être un simple numéro dans une masse anonyme. De ne pas se sentir totalement perdus face à l’immensité de l’univers dans lequel ils vivent. » Ou totalement insignifiants peut-être pour les politiques et le pouvoir décisionnel. « Toutes ces tribunes permettent de se créer une identité qui sera validée. Autrefois, on était le centre du monde le jour de son mariage. Aujourd’hui, on peut provoquer les choses et essayer de l’être au quotidien. La télé a déjà un public plus âgé. Elle doit s’inscrire dans cette dynamique, sinon elle est foutue. »

Entre les jeux en tous genres, les divertissements qui exaucent les voeux (The Wishing Tree sur RTL) et les magas qui vous aident à repérer ce qui vaut du fric dans votre grenier (Brol en or), le téléspectateur est en tout cas partout… On le regarde même aujourd’hui mater sa TV (Vu à la télé sur Club).

S’il a aujourd’hui envahi l’ensemble du paysage audiovisuel et de la sphère médiatique, le phénomène n’est pas nouveau. « Il nous renvoie à l’avènement de la libre antenne à la radio. Mais même à la télé, l’expression d’opinion est neuve sans être neuve. Les Dossiers de l’écran sur Antenne 2 et sa déclinaison belge L’Ecran Témoin donnaient déjà la parole aux téléspectateurs. Ce qui est inquiétant dorénavant, c’est qu’on considère leurs avis comme des baromètres. « Les internautes ont dit », « On a constaté sur les réseaux sociaux »… C’est le plus grand danger. Présenter le cas isolé ou marginal comme le reflet de ce qu’il se passe dans la société. Tout est mis sur le même niveau. Aujourd’hui, l’avis éclairé semble souvent ne pas avoir plus de valeur que celui du citoyen moyen. »

Succès relatif

Privées ou publiques, toutes les chaînes s’y sont mises. « Les deux catégories ont pour des raisons différentes leur légitimité. Le privé cherche à se constituer une audience, à toucher le plus grand nombre. Et le service public, où chacun doit pouvoir se retrouver, se défend en arguant qu’il offre la parole à tous. Radio de proximité, Vivacité est proche d’une station commerciale et la visée de la RTBF est, je pense, de faire de La Une une chaîne populaire, pas très éloignée de la télé privée. »

« De manière générale, c’est une tentative de porter sur la télé classique ce qui fait le succès des réseaux sociaux: la libre expression de gens normaux et d’individus à qui on offre un grand espace de discussion, résume Bernard Cools, directeur adjoint de l’agence médias Space. On décèle aussi une tendance sociétale à remettre en question les discours des experts et des spécialistes. Et si on se focalise sur la seule télévision, c’est quelque part une séquelle de la téléréalité. Ce type d’émissions ne rencontre toutefois pas un succès phénoménal. Elles ne crèvent pas les plafonds d’audience. A mon sens, elles servent à assurer une part de marché honorable et à fidéliser un public sur certaines tranches horaires. »

Un public de pensionnés, on imagine, en mesure de se retrouver tous les matins devant sa télé. « La libre antenne a eu un temps une connotation ghetto jeune. Doc et Difool, c’était pas pour tout le monde. Ici on parle de mainstream. Mais selon moi, cela risque de lasser très vite. La télé est une histoire de mode, de tendance. On a eu la vague Experts, la profusion des émissions de cuisine… Mais ce genre de programmes en vogue a ses limites. N’importe qui ne s’exprime pas de façon agréable et facile à suivre. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content