Critique

[À la télé ce soir] Je ne suis pas votre nègre

"Je savais avoir besoin d'une voix connue pour le circuit américain. Ça vous donne au moins une chance que votre film soit vu, que les gens s'y intéressent." © dr
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

James Baldwin raconte l’Histoire de l’Amérique à travers la vie de trois de ses amis assassinés: Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King Jr.

En juin 1979, James Baldwin écrit à son éditeur et lui expose sa volonté de raconter l’Histoire de l’Amérique à travers la vie de trois de ses amis assassinés. Medgar Evers (abattu dans le garage de sa maison), Malcolm X (en plein speech à Harlem) et Martin Luther King Jr. (alors qu’il prend l’air sur un balcon). Tout trois sont partis avant même d’avoir fêté leurs 40 ans. Et triste ironie du sort: ce livre, Baldwin, emporté en 1987 par un cancer de l’oesophage, n’en rédigera que 30 pages. Cet ouvrage inachevé, à peine entamé, ce manuscrit intitulé Notes for Remember This House que son exécuteur testamentaire lui a confié, le réalisateur, scénariste et producteur Raoul Peck (Lumumba, Le Jeune Karl Marx) a eu la géniale idée d’en faire un film. Derrière ces trois vies qui se heurtent et se révèlent mutuellement, il y en a évidemment une quatrième. Celle de Baldwin lui-même. Cet homosexuel, fils adoptif d’un ouvrier prédicateur. Cet auteur fauché, engagé, visionnaire exilé à Paris avant de retourner aux États-Unis, en 1957, pour participer au Mouvement des droits civiques. Photos d’une force incroyable, extraits de films (La ville gronde, La Case de l’Oncle Tom, La porte s’ouvre, La Chaîne, Devine qui vient dîner, Dans la chaleur de la nuit…), saisissantes images d’archives télévisuelles…

Je ne suis pas votre nègre est à la fois une plongée dans la pensée incroyablement articulée de Baldwin, un voyage dans une société bousculée par la montée d’une conscience sociale, raciale, politique et une charge aussi perturbante que pertinente contre la culture américaine ethnocentrée. C’est la vie d’un pays dans lequel les héros étaient blancs et où ceux qui auraient mérité ce statut chez les Noirs héritaient au mieux d’une fiche au FBI. De Watts en 1965 et Oakland en 1968 au Missouri en 2014, du tabassage de Rodney King aux photos de gamins abattus par la police (Tamir Rice, Darius Simmons, Trayvon Martin…), Peck -ou doit-on dire Baldwin?- dénonce l’aveuglement et la lâcheté d’Américains qui voudraient faire croire aux « Blacks » qu’il n’y a aucune raison d’être amers. « Je n’avais besoin ni d’une voix off ni d’un narrateur. Il ne devait y avoir aucune distance entre cette parole et cette voix. Il fallait pouvoir lui redonner sa force, sa conviction, ses émotions », commente le réalisateur quant au choix de JoeyStarr (et en anglais de Samuel L. Jackson) pour lui prêter leur timbre. Un documentaire d’une force exceptionnelle, à imposer dans toutes les écoles des États-Unis et d’ailleurs…

DOCUMENTAIRE DE RAOUL PECK. ****(*)

Ce vendredi 14 avril à 22h40 sur La Une.

>> Lire également notre interview de Raoul Peck.

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