Couleur Café J3: Soleil et funk cosmique

Bootsy Collins à Couleur Café © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le p’tit Jésus de la météo -ou celui qui en fait office- a décidé de ne pas jeter CC un troisième jour consécutif sous le déluge. Mieux: en fin d’après-midi du dimanche, la lumière s’est transformée en naiade Technicolor, donnant à Tour & Taxis des teintes dorées où tout apparaît désormais comme une entité vivante, voire glorieuse. Et non pas à un chat inondé.

On a poussé jusqu’au pont du Boulevard du Jubilé, histoire de faire quelques photos avec la perspective du festival écrasé contre les skyscrapers bruxellois, grandiose décor gratuit. On y voit le parc en construction sur le terrain de T&T, son énorme tas de pelouse en attente, et la future topographie d’un lieu qui n’a cessé de muter au cours des cinq dernières années. Faudra que Couleur Café fasse du gymkhana dans ce morceau de ville en mouvement.

Remonté par cette lumineuse amphétamine naturelle qu’est le soleil, on pénètre sous le chapiteau Univers pour saisir la bonne humeur accompagnant Youssoupha (les photos). Je m’imaginais le franco-congolais en une espèce de Lumumba contemporain, voire d’un Gandhi parisien, anti-violent et tout cela. Il a beau faire hurler le (jeune) public sur le sort du rap français, son show évoque un peu trop n’importe quelle autre manif rap frenchie de catégorie moyenne, sans génie ou audace rythmique ni même véritable brio textuel. Contrairement au dingo Chance The Rapper de la veille, pas l’impression de visualiser un concert des futures annales de CC.

Hypnotisé par la lumière (…), on a raté le passage de Blitz The Ambassador sur la scène Move: une source digne de foi, nous certifie que « ce fut le concert top de Couleur Café »: ce citoyen ghanéen désormais à Brooklyn, bricole en afro-life juteux une litanie néo-réaliste qui met le pied au cul de tous les abus de pouvoir. Il y a du boulot, mais si vous jetez un oeil YouTube à son kiff Make You No Forget, vous comprendrez que l’avenir du hip hop passe forcément par cette Afrique-là, tranchante dans ses plaisirs.

Sur la plaine face au Titan, la plus grande jauge du festival, on a loupé (volontairement) Ky-Mani Marley (les photos) et son reggae voulant s’émanciper de l’icône du pater, pour consommer quelques chansons du John Butler Trio (les photos), rares visages pâles d’un rassemblement voué aux métissages… Le terme hybride ne ment pas sur la nature de ces australiens roots, fringués comme Pearl Jam en 1990. Les chansons varient de boutiques -blues, folk, bluegrass, celtique, rock- mais semblent toujours avoir un pied dans la gadoue et le rhume des foins. Le rural version chemise à carreaux, avec banjo et contrebasse: agréable et parfois groovy, le public apprécie sans en faire toute une histoire non plus.

Retour afro avec Alpha Blondy (les photos) sur la même scène de plein air: la formule de son reggae conscientisé rappelle Tiken Jah Fakoly mais lardé d’une couche de blabla supplémentaire. Tout comme Burning Spear la veille, Blondy semble en pilotage automatique, guidé par deux imposantes choristes qui vu leur taille d’ongles manucurés, peuvent tout de suite ouvrir un Nail Parlor. Ce n’est pas que les vieilles scies blondyiennes à la Jerusalem soient désagréables, c’est juste qu’elles flairent trop la routine. Ou la route: comme si l’ivoirien mystique s’était tapé Abidjan-Bruxelles à pied, ce reggae-là manque de pétrole.

Pour clore notre CC, toujours au Titan, on a voulu savoir ce que proposait Bootsy Collins (les photos), qui est à la basse ce que Jésus est à la religion: un phare, une pyramide, un bottin téléphonique. A 62 ans, cet américain de l’Ohio porte deux titres de gloire majeure: avoir intégré, au début des années 70, le groupe de Sa Majesté James Brown, avant de joindre la galaxie Parliament-Funkadelic et son délire cosmico-funky pour soucoupes volantes et ghettos blacks réunis. Il lui en est resté une démesure flagrante puisqu’avant de monter sur scène, Collins est précédé par DEUX maîtres de cérémonie. Le premier parodie J. Brown -numéro de cape comprise- le second, affublé en pompiste sous poppers, harangue la foule comme les musiciens habillés de combinaisons de travailleurs Ikea en moonboots. Appelez-cela du goût ricain: Bootsy est lui-même tout en costard de zèbre lamé et haut de forme du même cru distingué, lunettes de sci-fi bigleux et, bien sûr, porteur de la fameuse proéminence à cinq étoiles. On ne dira pas que la musique est originale, mais on peut faire semblant de croire que ce funk suprême est bien une importation d’extra-terrestres à la fois mélomanes et amateurs de fringues criardes. Reconnaissons à cette Amérique-là, un sens du théâtral que le ridicule ne parvient pas à tuer, mais dope allégrement.

A l’heure de faire les comptes, restait à poser la question du bilan de ce 25e CC au patron, Patrick Wallens. Les chiffres d’abord: « Environ 24.000 pour le vendredi, 26.000 le samedi et autour de 22.000 aujourd’hui, ce qui veut dire que globalement, on est un peu dans le rouge. Nos réserves financières serviront et le festival n’est nullement menacé. C’est toujours le dimanche qui fait la différence, et la pluie des deux premiers jours ne nous a pas aidés, le foot non plus: perdre deux ou trois mille tickets de dernière minute fait la différence. Là, on va peut-être revoir notre façon de fonctionner, avec un budget un peu plus bas, et donc plus de liberté au niveau des têtes d’affiche, mais le public suivra-t-il? Mon rêve, ce serait de faire un festival sans annoncer de noms, un peu comme Glastonbury, complet avant même que l’affiche ne soit connue… Mais je suis content de ce Couleur Café, de certaines découvertes comme Blitz The Ambassador ou Akua Naru: le bon équilibre est de choper des groupes à la Chinese Man, d’ailleurs déjà venu. Et ne pas oublier que l’on est dans un concept majoritairement festif. »

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