Critique | Musique

West perd le nord

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À la fois génie et troll n°1 de la pop culture actuelle, Kanye West marque le pas sur un nouvel album, Ye, aussi court que frustrant. Make Kanye great again…

Dès le deuxième morceau de son nouvel album, Kanye West le clame haut et fort, jusqu’à s’étrangler: « I’m a super hero! » Rien de neuf sous le soleil: ego aussi boursouflé que tourmenté, Kanye West a toujours eu l’hyperbole facile. Jusqu’ici, cependant, son talent (immense) et ses audaces artistiques (révolutionnaires) l’excusaient en grande partie. Depuis son disque précédent, The Life of Pablo, en 2016, la donne a toutefois considérablement changé. Ses outrances se sont mises à ressembler de plus en plus à celles d’un troll tournant fou; et son narcissisme au symbole d’une époque malade.

En réalité, le véritable super-héros du moment se nomme Black Panther et bat tous les records au box office. C’est d’ailleurs frappant: à l’heure où la fierté noire américaine devient mainstream, de Kendrick Lamar à Childish Gambino (le clip de This Is America), Kanye West, lui, affiche son soutien à Trump et explique dans une interview que « 400 ans d’esclavage sonnent comme un choix »: au royaume de Wakanda, West passe pour le mauvais, le villain parfait. Pour présenter Ye, son 8e album, le mari de Kim Kardashian a ainsi rassemblé une grosse centaine d’invités, autour d’un feu de camp, dans un ranch de Jackson -une petit bourgade d’à peine 10.000 âmes, au fin fond du Wyoming, avec probablement davantage d’amateurs de country redneck que de hip-hop. En 2005, le même Kanye West déclarait que le Président George W. Bush « ne se souciait pas du sort des Noirs ». Aujourd’hui, il se pose en « caution » rap de l’alt-right américaine…

West perd le nord

Tout super-héros connaît évidemment son double. Une version inversée et maléfique de lui-même qu’il doit combattre. Cette lutte à mort est suggérée dès le premier morceau de Ye, I Thought About Killing You, avec sa voix trafiquée au gré des humeurs/personnalités: « And I think about killing myself/And I love myself way more than I love you, so… »

Cette double personnalité se retrouve encore dans la phrase placée au fronton du disque: « I hate being bi-polar, it’s awesome ». Interné en institution psychiatrique fin 2016 pour cause d’épuisement mental, accro depuis aux anti-douleurs, West ne cache pas ses troubles. Le précédent The Life of Pablo en faisait déjà écho, disque névrosé, malade et dissonant. Mais aussi brillant, génialement touffu et téméraire. À cet égard, Ye souffre de la comparaison. Avec ses sept morceaux, emballés en une grosse vingtaine de minutes, l’album n’a ni le souffle, ni l’ampleur de son prédécesseur. Encore moins l’inspiration. Certes, Kanye West réussit encore comme nul autre à enchaîner samples soul et froideurs synthétiques. Sans vraiment donner plus d’explication sur ses dernières sorties (« Imaginez si j’avais été dans un mauvais jour », à propos de sa déclaration sur l’esclavage, dans Wouldn’t Leave), Ye sonne cependant le plus souvent comme l’album d’un artiste fatigué, lessivé (Ghost Town, à la fois génial et bancal). Il n’est pas le naufrage que certains décrivent. Juste une embarcation sans vent, comme à la dérive. « People say: « Don’t say this, don’t say that » /Just say it out loud, just to see how it feels », insiste Kanye West. Cette fois, pas certain que cela suffise.

Kanye West, « Ye », distribué par Universal. ***

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