Peter Perrett, « ravi de vivre dans le réel »

"Il a fallu entreprendre un processus de résurrection qui me permettrait de chanter et de jouer de la guitare." © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Miraculeusement rescapé de la came, le sexagénaire Peter Perrett, longtemps accroché au seul mini-mythe des Only Ones, revient avec un splendide album d’insolent rock anglais, How the West Was Won.

On arrive au « Renard prétentieux » et le pub du nord de Londres est vide. Pas plus de Peter Perrett que de barman ou, simplement, de clients. Au mur, quelques photos fanées comme celle d’Amy Winehouse témoignent de l’esprit du lieu, celui d’un rock éventuellement mortifère au scénario usé: gloire insensée, or et platine, drogue et alcool, sortie prématurée et définitive de scène. Ce script-là était tout chaud pour Peter Perrett dans un film où il aurait été une sorte de Lou Reed briton, doué de la même voix de catacombes attachantes. Trinquant au vers anglais façon Lord Byron shooté comme le New-Yorkais tissait des slams urbains portés vers la littérature. Mais de la formule évoquée plus haut, Perrett n’aura récolté que les excès, en dépit de deux albums magistraux des Only Ones à la fin des années 70 (1). Des morceaux suant la beauté lugubre, convoqués en mélodies amniotiques sur du rock étiquetté new wave. Même la chanson taillée pour le succès planétaire, Another Girl, Another Planet, ne fera pas frémir les charts de 1978, revenant 30 ans plus tard via une pub pour l’opérateur anglais Vodafone. Alors que le pub persiste dans son vide intégral, on aperçoit rien moins que Peter Perrett passant sur le trottoir en direction opposée à l’entrée. Nous voilà, idiot courant après la vedette manquante, criant Peter Peter! Il s’arrête, incertain, petit, ténu et moins ravagé que les rapports pessimistes décrivant un sexagénaire (de 1952) attaqué par un déficit des poumons. Interrogation, flottement. Peter nous annonce que l’interview est bien à la bonne heure et au bon endroit mais fixée au lendemain. Entre le label anglais Domino et le distributeur belge V2 Records, la date exacte a visiblement fait son Brexit. Peter nous rassure quand même, tout cela n’est pas une mise en scène: « Le Snooty Fox n’ouvre jamais l’après-midi, il le fait exceptionnellement demain pour nous. Et je passe sur le trottoir parce que j’habite derrière le coin. » La porte ouverte aux quatre vents? « On a seulement oublié de la fermer à clé en partant, sans doute. » Logique perettienne.

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Soirées seringuées

Le lendemain donc, il est là, sirotant un verre de flotte du robinet au premier étage du Snooty Fox. Au fait, Peter, as-tu souvent eu l’impression d’être au mauvais endroit au mauvais moment? « Dans les seventies, on a été là au bon moment, même si on n’était pas punk. Entre 1976-1978, Londres était vraiment excitant et il y avait des millions d’endroits pour jouer: l’industrie du disque était à son zénith. La musique était l’occasion pour les gamins d’échapper à une vie banale, rien à voir avec les possibilités infinies qui existent aujourd’hui, les 200 chaînes télé, Internet, les centaines de genres de styles musicaux… » Décembre 1977, signature chez CBS Londres après que chaque major label soit parti à la chasse aux Only Ones: les futurs Japonais mettent 75 000 livres en guise de bienvenue et en promettent 250 000 autres pour un package de quatre albums. Pour le fauché Peter Perrett et ses trois comparses -le guitariste John Perry, le bassiste Alan Mair, le batteur Mike Kellie- la fortune est tout à coup souriante. On croise The Only Ones un peu moins de deux ans plus tard en concert à l’improbable Queen’s Hall de Leeds. Cinq mille new wave –le terme est encore frais- s’entassent dans un ancien dépôt de trams victorien pendant deux interminables journées broutées entre autres par PIL et Lydon dos au public massacrant Metal Box, un Joy Division éblouissant et The Only Ones bouclant le week-end avec un retard considérable. « Je pense que John, notre guitariste, avait été arrêté ou quelque chose comme cela », explique Perrett, plongeant dans une époque où il a déjà fréquenté Johnny Thunders, immigré à Londres, et tout le poudrier qui accompagne leurs soirées seringuées. Pas vraiment de nouvelles habitudes puisque l’équipement musical des Only Ones a été en partie acquis avec les deals de Perrett. « Alan ne prenait rien, ne buvait pas, ne fumait pas, Mike (mort en janvier 2017) avait connu les sixties, avait joué avec Paul Kossoff (2) et connaissait les limites de la coke et de l’héro, John et moi pensions pouvoir contrôler les choses. » Des titres comme Another Girl, Another Planet ou The Big Sleep témoignent que Perrett -compositeur principal- cultive au grand jour le champ opiacé. Tout en racontant qu' »il ne prenait pas de drogues quand il travaillait », Perrett évoque soudain une version junior de Keith Richards, plus humaine et touchante. La voix, assez semblable à celle du Stones momifié, devient plus frêle lorsqu’elle raconte comment les drogues s’insinuent sérieusement au quotidien alors que les Only Ones, « nous contre le monde », explosent au début des années 80. « Je ne jouais plus de musique donc je me suis occupé autrement (pause). Une longue partie de ma vie -peut-être deux décennies- a été engloutie par ça, ce qui peut expliquer la minceur de ma production discographique. » Le silence s’installe à nouveau puis Peter précise: « Je suis totalement clean, j’ai même arrêté la méthadone. Et je n’ai plus aucune tolérance pour l’alcool, depuis 40 ans. »

Résurrection

Peter Perrett,
© GULLICK

Il y a plus de mélancolie que d’amertume dans l’oxygène du Renard prétentieux alors que Perrett raconte combien sa carrière a rebondi par la grâce de ses deux fils trentenaires, Jamie et Peter Jr., brièvement passés par la case Babyshambles du peu sobre Pete Doherty. Qui reprendra d’ailleurs The Only Ones avec ses Libertines. Une autre histoire de famille? La mère de Peter, Juive autrichienne, s’embarque pour la Palestine où le futur père Perrett, socialiste, est dans la police, puis tous deux partent en 1948 pour Londres. Ce n’est qu’au mitan des années 70 que Peter découvre sa judéité: « Soudainement, la Palestine devenait une part importante de ma psyché, ce qui me ravissait vu que mes deux musiciens préférés étaient Dylan et Lou Reed. » Dans cet aveu, se loge aussi un fait objectif: Perrett semble avoir un talent cousin des deux poètes juifs précités, son écriture restant à la fois hors-mode et perméable au trafic incessant des sentiments allurés. L’autre conditionnement d’un gamin « en colère dès l’âge de neuf ans » tient à l’éducation anglaise: pensionnat répressif au nord de Londres, « comme dans le film If, intégralement XIXe s, sans filles évidemment, très victorien, une prison ». Si le sujet apparaît « inconsciemment » dans la chanson Prisoners des Only Ones, il n’est qu’un des symptômes sixties qui, pour Perrett, se dessinent aussi avec le Pink Floyd de Syd Barrett. D’où ces incidences psychédéliques, y compris dans le nouvel album How the West Was Won: « Je voulais vraiment que la voix soit à l’avant du mix, mais aussi que la guitare agisse en contrepoint émotionnel des textes. Mon fils Jamie, qui a 33 ans, l’a bien compris: je n’aurais jamais travaillé avec lui ou mon autre fils Peter Jr., s’ils n’avaient pas été les meilleurs pour réaliser ce disque. » Lorsque The Only Ones se reforment pour quelques gigs en 2007, la voix de Peter n’est guère plus qu’un cadavre ambulant. « Il a fallu entreprendre un processus de résurrection qui me permettrait de chanter et de jouer de la guitare, et abandonner l’économie au noir, en-dehors de la société, dans laquelle je survivais. » En compagnie de sa femme Zena, rencontrée en 1969, Peter a pataugé dans l’underground pendant trois décennies: le plaisir du nouveau disque est aussi celui d’un revenant « ravi de vivre dans le réel et conscient de ce qui va rester de moi par après, le monde demeurant une sorte de plat appétissant « .

Cerveau alien

La conversation -toujours à l’eau plate- rebondit sur la moralité ou son opposée, l’amoralité. « Envahir l’Irak ou l’Afghanistan est une chose amorale, fournir des drogues à ceux qui en veulent vraiment ne l’est pas du tout, même si ça peut ruiner la santé ou faire de vous un individu non productif. Mais je n’ai jamais fourni de came aux gamins, je n’ai jamais glamourisé mon addiction qui restait un secret, je n’étais pas du tout le Pete Doherty tirant sur une pipe à crack pendant une interview. En même temps, je me rends bien compte qu’il est un peu bizarre de disparaître vers 1980 et de revenir 37 ans plus tard. » La preuve que non, on est là, excité par le disque et dans ce banal bar du nord de Londres, touché au coeur par le sexagénaire atypique. « Le style de vie peu sain qui m’a empêché de faire ce disque il y a dix ou vingt ans, était mon choix, comme si mon cerveau avait été occupé par un alien. Mon premier album solo sorti en 1996 avait quelques bonnes chansons mais j’ai perdu la concentration en cours de route, pas comme sur celui-ci. » Peter n’est pas dupe de l’actuelle place exiguë du rock, occulté par le hip-hop et les migraines électro. Mais son album sur le label Domino -Arctic Monkeys, The Kills, Franz Ferdinand- n’a rien d’un boulevard des souvenirs flétris qui, sur un coup d’oxygène média, redonnerait du lustre à l’ADN préhistorique. Ce serait juste bien que les lecteurs jeunes -comme les autres- investiguent Peter Perrett à la manière dont on (re)découvre le Transformer de Lou Reed ou le Blonde On Blonde de Dylan. Juste en reconnaissant la qualité intemporelle de chansons intrépides, voire splendides.

(1) Le troisième album étant de qualité inférieure, lire l’encadré.

(2) Guitariste de Free (1950-1976), mort d’embolie pulmonaire présumée liée à l’abus de drogues.

La discographie Perrett

The Only Ones
The Only Ones
The Only Ones sortent au printemps 1978 et au suivant deux disques d’envergure qui tranchent avec la production punk-new wave britannique d’alors. Le premier album éponyme puis Even Serpents Shine torréfient un rock poétisé sur les turpitudes excessives de Peter Perrett & Co.L’insolente musicalité y paraît aussi indolente, drapée du romantisme contagieux donnant àThe Whole of the Law, Another Girl Another PlanetouCurtains for You, un gage d’intemporalité cinglante. Magnétisme dissipé au troisième album, paru en 1980,Baby’s Got a Gun, toujours sous la plume de Perrett, le groupe implosant en 1982 pour cause d’insuccès commercial et de drogues. Il faudra seize autres années à Peter pour revenir au disque, effort essentiellement solo baptisé The One pour l’albumWoke Up Sticky sorti en 1996. Dans l’indifférence quasi générale, ce qui ne devrait pas être le cas de l’accueil fait àHow The West Was Won planifié pour le 30 juin. Les dix chansons sont celles de la renaissance et de la célébration -de vivre intensément la musique en brûlante compagnie-, Peter y étant poussé par ses deux musiciens de fils, dont le guitariste Jamie fait jouir des bacchantes qui n’ont plus rien de droguées.An Epic Story, Troika etC Voyeurger sont parmi les titres qui ramènent, contre toute attente, le sexa loser à la lumière. On parle de dates européennes à l’automne.

Peter Perrett, How The West Was Won, distribué par V2 Records. ****

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