Loyle Carner, le pari de l’authenticité

Loyle Carner © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec Yesterday’s Gone, l’Anglais Loyle Carner réussit un premier album rap d’une sincérité désarmante. Rebelle sans pose…

Du divan arrimé dans la loge du VK où on le retrouve avant son concert du soir, Loyle Carner n’utilisera que l’accoudoir. Et encore: la plupart du temps, il préférera encore rester debout. Nerveux? Speed plutôt. Comme le verbe, qu’il a chaleureux, mais soutenu. Roulé dans une chapelure cockney, il ne peut en outre masquer ses origines: Loyle Carner, 22 ans, est né, a grandi, et vit toujours dans le Sud de Londres.

Il vient de sortir son premier album, Yesterday’s Gone. Voix grave sur groove vaguement jazzy, il y déploie un flow détendu, loin des phrases précipitées qu’il dégaine à la ville. Pour la pochette, il a posé avec sa famille et ses proches dans le jardin de la maison (chien et ballon de foot compris). Pas de posture macho, ni de décorum bling bling. Loyle Carner a décidé de ne pas faire semblant. C’est sans doute ce qui frappe le plus dans ce premier essai qui semble tenir du journal intime. Un « rap-confession », comme l’ont baptisé certains, qui met les sentiments à nu, sans jamais tomber dans le mélo ou le pathos. Et où l’authenticité s’impose comme l’ultime forme de subversion.

Ode à la résilience

Yesterday's Gone, de Loyle Carner.
Yesterday’s Gone, de Loyle Carner.© DR

Élevé par sa mère et son beau-père, Loyle Carner connaît à peine son père biologique, qui a rapidement quitté la maison (« I wonder why my dad didn’t want me », sur The Isle of Arran). À l’âge de 7 ans, il écrit son premier poème (à la mémoire de son meilleur ami décédé d’une leucémie). Son prof le lit et l’encourage à le présenter devant tout le monde. « C’est la première fois que je montais sur une scène », glisse-t-il. Plus tard, il tombe sur les écrits du poète dub Benjamin Zephaniah. « Quand vous êtes jeunes, c’est une formidable porte d’entrée vers la poésie. Un livre comme Gangsta Rap m’a profondément marqué. Je me suis complètement identifié à cette histoire de gamin à la ramasse qui veut devenir rappeur. Et puis, comme moi, Zephaniah est dyslexique. Cela m’a aidé à me dire que je pouvais écrire. » Ce trouble de la lecture, Benjamin Coyle-Larner de son vrai nom saura s’en amuser quand il se cherchera un nom de scène…

Il plonge dans le rap à l’adolescence, « la première musique à laquelle j’ai pu vraiment m’identifier ». Il découvre Roots Manuva, Kwes; bloque sur Nas ou Common. Il s’accroche avant tout aux récits. « J’aime les histoires vraies. Ou en tout cas crédibles. Cela vient probablement de mon éducation. Mes parents ont toujours mis fort en avant le principe d’authenticité. Tous mes musiciens favoris célèbrent ça. Bob Dylan. Mos Def. Ou Eminem, par exemple! En l’écoutant, vous savez tout de lui. Je connais le nom de sa copine, de sa fille, qu’il a suivi des cures de désintox… » Quand il prendra le micro, Loyle Carner va donc lui aussi venir déposer son vécu sur la table. Son premier rap parle du racisme. « J’ai grandi dans une maison où ma mère, mon beau-père et mon demi-frère étaient blancs. Les gens pensaient parfois que j’avais été adopté… Cela étant dit, si j’ai pu subir le racisme, cela n’a jamais été non plus un gros souci. La principale difficulté est surtout de trouver sa place: trop blanc pour les Noirs, trop noir pour les Blancs. Quand vous êtes métisse, vous n’avez pas vraiment une culture à vous, à laquelle vous rattacher. »

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Contrairement à ce que colportent les clichés de gros durs, les rappeurs ont souvent célébré leur mère (de Tupac à Kanye West en passant par Notorious BIG). Chez Loyle Carner, elle est au centre de son premier disque. Elle apparaît notamment dans les clips de Tierney Terrace et No CD, ainsi que sur la pochette de Yesterday’s Gone, dont ils chantent ensemble le morceau éponyme. Sur Sun of Jean, il explique encore: « Me and my mother, there ain’t nothing that can come between. » La musique du titre en question a été composée par le beau-père du rappeur, décédé d’une crise d’épilepsie il y a de cela deux ans. Dévasté, Loyle Carner lui a encore rendu hommage sur le morceau BFG(« Everybody says I’m fucking sad/Of course I’m fucking sad, I miss my fucking dad »). Dans la vidéo, on le voit jongler tout en portant son demi-frère sur les épaules: the show must go on, la famille aussi. Un brave garçon, Loyle Carner? C’est certain, chez lui, la rébellion n’est pas là où l’on attend. « J’ai grandi entouré de types qui faisaient les mauvais choix. Un moyen de me rebeller a donc consisté à essayer de faire les bons. » S’il boit volontiers une bière (voir deux, trois, …), il ne fume pas, ne se drogue pas. « Oui, je sais, ce n’est pas très « cool » pour un rappeur (rires). Mais c’est aussi parce que ce n’est pas très bon pour ce que j’ai. » En l’occurrence, des troubles de l’attention liés à l’hyperactivité (ADHD en anglais dans le texte). « C’est comme avoir un superpouvoir… Sauf que, gamin, ce n’est pas toujours simple à gérer. Heureusement, ma mère, qui est prof et qui a l’habitude de travailler avec des enfants hyperactifs, a directement compris ce que j’avais. »

Ne cherchez pas l’auto-apitoiement et la victimisation, pas le genre de la maison. Face à ce « handicap », comme face à ses autres plaies ouvertes, Carner va réussir à rebondir. Non pas en balayant le problème sous le tapis, mais bien en le prenant à bras-le-corps. « J’ai découvert que cuisiner pouvait m’aider. C’est comme un exercice de méditation. Quand je prépare un plat, mes idées deviennent plus claires. Toutes les personnes qui souffrent de troubles de l’attention aiment bosser derrière les fourneaux. » L’été dernier, il a donc ouvert des stages de cuisine -baptisés Chili Con Carner-, pour les enfants touchés par l’hyperactivité. Dans un reportage visible sur YouTube, il explique: « En fait, on a tort de penser que c’est un souci. L’hyperactivité peut aussi amener de belles choses. Il faut juste créer le bon environnement pour les faire naître. » Ou comment la meilleure manière d’effacer le stigmate est encore de l’afficher haut et fort…

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Loyle Carner, Yesterday’s Gone, distribué par Caroline. ****(*)

En concert lors de la prochaine Fifty Fifty, le 30/03, à Bruxelles (concert intimiste, avec aussi Wwater). Également le 02/07 à Couleur Café, le 13/07 au Dour Festival…

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