Les chansons voyageuses d’Arthur H

Arthur H, 51 ans et une certaine idée de la transe. © Yann Orhan
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Via un double album –Amour chien fou- d’une exubérance travaillée par les voyages, Arthur H confirme sa position d’outsider frondeur d’une chanson française cosmique. Rencontre.

Il a donné rendez-vous à la Maison de la Poésie, pas loin de Beaubourg. L’un de ses points d’ancrage parisien où il a enregistré une bonne partie d’Amour chien fou. Précisément dans la belle bibliothèque en sous-sol, où il parle de son univers musical polyforme, ouvert aux vents de l’aventure. Pas seulement sémantique. Avec cette voix qui tutoie les basses comme d’éternelles confidentes.

Lorsqu’on s’est rencontrés en 1990 à l’occasion de la sortie de ton premier album, je t’ai demandé si c’était « difficile d’être le fils de Jacques Higelin« . Tu m’avais alors répondu que « ça l’était moins que de tomber du sixième étage« ! Le rapport au père a dû logiquement se calmer, non?

Oui et ça m’a pris un temps infiniment long, que je ne regrette pas. Il y a tout un processus de digestion à faire: faut avaler, mâcher, dévorer son père, et puis le sortir non pas sous forme de selles mais sous forme d’art et de réinvention, de soi comme de son père d’ailleurs. On ne peut pas quantifier ça parce que ce sont des dimensions en-dehors du temps, un temps intérieur, le vrai temps.

Le premier album, éponyme, était placé sous le sceau du jazz: la conséquence d’une jeunesse gavée de cette musique ou plutôt le romantisme qui y est attaché?

C’était clairement la fascination romantique: je n’ai accepté le jazz en tant que musique que vers 18 ou 19 ans. Jusque-là, je le trouvais extrêmement bavard et assez vain. D’autant que les années 80 et leur culte de la virtuosité ne me touchaient absolument pas: j’écoutais le punk et la cold wave, antithèse du jazz. C’est en découvrant le merveilleux film de Tavernier, Autour de minuit, que j’ai été touché par la grâce extraordinaire de cette musique. Le côté voyou, dandy, gangster métaphysique de Mingus ou Monk. Et puis le plaisir musical inouï, la sophistication: c’est ce que j’ai voulu conserver dans le monde de la chanson qui, en principe, est étanche à l’improvisation, ce rapport ombilical entre musiciens.

En débutant, tu avais une voix plus vieille que ton âge et là, elle t’a rattrapé…

Je n’ai pas la voix éraillée d’Armstrong ou Tom Waits, mais j’ai tellement pratiqué l’auto-souffrance ou l’auto-enfermement que j’ai maintenant envie de me sentir tout à fait libre, de chanter grave ou aigu. Ce qui peut coûter cher mais je préfère payer pour être libre qu’être esclave gratuitement… (sourire)

Tu as toujours fonctionné en libertaire. Dès l’école, non?

Le problème, c’est que j’adore apprendre. J’aurais été un bon élève mais j’avais quelques problèmes techniques comme la myopie: je ne voyais pas le tableau. Et puis, à un moment, je ne me suis plus du tout intéressé à ce qui s’y passait (sourire).

Mais tu étais cadré par ta mère, Nicole Courtois, sans beaucoup de présence du père Jacques Higelin…

C’était un cadre assez rassurant mais j’ai fait mes expériences malheureuses et inutiles, comme sniffer de la colle à rustine pour vélo. La drogue des pauvres. J’avais déjà préparé une fugue à l’âge de onze ans après une lecture de Marcel Pagnol qui m’avait beaucoup marqué, mais je n’ai pas filé à l’endroit du bouquin, Aubagne, au-dessus de Marseille. Par contre, à quinze ans, j’ai fait une fugue un peu plus psychédélique.

Tu pars aux Antilles avec ton père!

Oui, je bois du rhum, je suis dépucelé, je consomme des champignons hallucinogènes. Une vraie épreuve initiatique, de toute beauté. Et puis en rentrant après une overdose de palmiers et une engueulade de ma mère, il était évident que seule la musique m’attirait. De façon très immodeste, je considère que la musique nous choisit. Ensuite, j’ai beaucoup erré, j’ai fait des expériences pas forcément marquantes, notamment un séjour à seize ans au Berklee College of Music de Boston, où mon niveau musical n’était pas assez élevé. J’y ai cependant eu des révélations artistiques très puissantes, notamment en voyant alors le O Superman de Laurie Anderson et mon groupe favori, PIL avec John Lydon. Ensuite, j’ai redécouvert la culture française à travers Artaud et les surréalistes.

Tu avais davantage de liens avec la littérature qu’avec la chanson?

Oui. C’est seulement vers 19 ans qu’en découvrant Gainsbourg, j’ai compris que tout ce que j’aimais, je pouvais le faire en français. Il a réuni des choses auparavant séparées. La musique de mon père coulait dans mes veines mais elle était sans doute trop intériorisée pour que je puisse la projeter devant moi. Cette très belle empreinte a certainement ouvert plein de chemins, comme celui de Brigitte Fontaine qui, comme Jacques, est un personnage extravagant qui dépensait sa liberté avec beaucoup d’ardeur. Mais pour moi, c’était la normalité.

Les chansons voyageuses d'Arthur H
© Yann Orhan

Ton nouveau double disque est un album de voyage inspiré de Mexico, Bali, Tokyo et Montréal, cette dernière ville incarnant Lhasa dans le titre Sous les étoiles de Montréal. Quelle était la nature de ton lien à celle que tu appelles  » la princesse mexicaine au sourire de Mona Lisa« ?

J’ai vu le premier show de Lhasa en France et, d’emblée, je l’ai vraiment reconnue comme soeur. C’est la seule personne à qui j’ai pu livrer mon âme, avec une évidence spirituelle extrêmement agréable et très nourrissante. Elle avait une sorte d’intégrité naturelle farouche et puissante, qui la rendait rayonnante. Être proche d’elle allumait de nouvelles idées, c’était immédiat. J’ai senti une grande communion avec elle le temps de son passage sur Terre. Mon nouveau disque a été mixé -une étape capitale- au studio où j’ai vu Lhasa enregistrer dans une dimension familiale, « lhasaesque », avec la quête d’un son large, chaud mais aussi fantomatique.

Comme chez Lhasa, il y a quelque chose de tellurique, de tribal, dans ta musique. D’où cela vient-il?

Sur scène, il y a encore plus cette idée de paratonnerre qui correspond à ma façon de laisser rayonner les sons, l’espace, et d’être le plus vide possible. Être un trou noir à travers lequel tout passe. Le tribal vient aussi du jazz avec cette batterie très détendue, la contrebasse qui est du son de bois qui envoûte et ce sentiment hérité de la musique noire qui a tout contaminé, exprimant aujourd’hui la modernité. J’aime l’absence à soi-même, c’est-à-dire se perdre dans un flux, une transe, un rythme. On revient à quelque chose de très chamanique, pas au sens rituel pour convoquer les esprits mais au sens instinctif, de ce qui nous guérit, nous fait du bien, même en termes de santé. Pour ça, la transe est nécessaire, du coup je mets de vrais morceaux de transe dans la chanson française comme certains yaourts sont remplis de vrais morceaux de fruits (rires).

Difficile de parler d’Arthur H sans parler de la liberté des mots: par exemple, dans Assassine de la nuit où tu chantes « Je te eau, tu me noies/Je te coule, tu me bois/Je te sphinx, tu me félines/Je te démon, tu me divines. » On dirait du français d’Haïti!

Je trouve que dans la littérature francophone des Caraïbes, il y a quelque chose d’essentiel dans la régénération de la langue française. Si on était plus curieux, plus ouverts, plus en mouvement, on pourrait s’en servir pour donner du sang neuf à une langue qui en a vraiment bien besoin. Une chanson peut être une comptine ou une épopée et là, techniquement, l’invention du vinyle et de la radio l’a compressée à trois minutes: ce n’est pas pour ça qu’il faut se conformer à un format. Sur chacun de mes disques, il y a une chanson en crue, qui déborde.

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Il y a un très joli morceau titré Brigade légère où tu parles, notamment, de ton père en disant: « Allez mon père/Ta grande voix/ Résonne encore/Une dernière fois/Vers la lumière »…

C’est une symphonie familiale de poche. J’avais envie de me connecter à tous ces esprits qui font partie de ma famille. L’année dernière, j’ai vécu des choses très fortes avec ceux que je cite dans la chanson (père, mère, soeurs, frère, enfants), ça nous a rapprochés énormément. Du coup, j’étais plein de cette émotion-là, qui s’est naturellement traduite. Mon père n’est pas en très bon état, il n’est pas non plus aux portes de la mort.

Il a des problèmes de mémoire?

Oui, il a des problèmes de mémoire, un peu… Ce qui est sûr, c’est que ça soude une famille ou ça l’éclate.

Pourquoi écrire un album collé à l’idée du voyage?

Léonore Mercier, ma compagne qui est artiste contemporaine, m’a donné l’idée de faire un double album, composé à la fois de ballades atmosphériques, hypnotiques et puis d’un autre disque de pop déjantée, de disco-punk et compagnie. Proposer deux énergies différentes: par une série de hasards on a été invités au Mexique tout en voulant aller à Bali, et les deux correspondaient de façon très précise à ces deux contrastes. On a commencé par faire deux spectacles poétiques au Mexique avec Léonore et Nicolas Repac, mon guitariste, et puis on est partis à l’aventure, tombant sur une procession indienne vraiment phénoménale avec cette idée de la transe, de la joie et de la couleur, très chaotique. Ça a donné le titre Procession chaotique ! Ensuite, on est allés au Japon où j’avais emmené les masques mexicains, Léonore m’a filmé dans un clip que j’aime beaucoup. Puis Bali a été un émerveillement sonore, un vieux fantasme depuis que j’avais lu Artaud, et découvert l’influence du gamelan sur Ravel et Debussy.

Tu as pris position il y a quelques années contre l’expulsion de Roms par Sarkozy. La chanson est forcément un vecteur politique?

Dans l’avant-dernier disque, il y avait La Ballade des clandestins et La Caissière du Super qui avaient vaguement une coloration politique, mais je trouve la politique actuelle tellement déceptive, tellement impuissante à faire avancer la société de façon un peu passionnante que je partage avec d’autres le rejet de la politique. Et la volonté de créer des bulles de liberté où l’on joue avec la langue et l’énergie, sans jugement, où l’on crée un espace de liberté et de jeu. Après, ça n’a rien à voir avec toutes les organisations courageuses qui se battent au quotidien dans la fange, pour que les migrants conservent un minimum de dignité.

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Tu viens à la Madeleine en mars, à quoi ressemble Arthur H en scène en 2018?

Ça va être un spectacle assez convivial, en trio, Nicolas Repac à la guitare et Raphael Seguinier à la batterie. Il n’y a pas de basse, mais beaucoup de dynamique: on joue très bas et puis très fort, avec l’ambition d’emmener les gens dans un imaginaire, le plus loin possible. Toujours avec cette idée de cabaret post-punk et mystique.

Arthur H, « Amour chien fou »

Distribué par Pias. ****

Un double album en ces temps de ventes inégales tendance rachitique? Arthur l’a fait avec la gourmandise d’un amoureux éternel, baladé sur la planète par sa compagne-artiste Léonore Mercier qui signe certains sons et choeurs et quatre des dix-huit titres. La dualité de l’album place deux humeurs -celles définies par Higelin junior comme chien fou et loup doux- dans de touffues bourrasques entre carnaval perpétuel et cosmos intime. Il faut du temps pour absorber intégralement les sinuosités de la voix martelante qui charme par ses doutes acérés: il s’agit autant de chanson à texte que de corpus rock persillé de jazz, de soul, d’écorces de vie recueillies à la source. On en sort étourdi voire exténué, comme après une heure de corps-à-corps. Bon pour l’âme et les vertèbres.

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En concert le 27/03 à La Madeleine à Bruxelles, www.la-madeleine.be

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