Le théorème d’Angèle

Angèle © CHARLOTTE ABRAMOW
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À 21 ans à peine, Angèle Van Laeken a déjà foulé la scène de Forest National, enchaîné les concerts en France, séduit les Inrocks et conquis Studio Brussel. Avec pour seule carte de visite un premier clip. Et son compte Instagram.

Le 22 novembre prochain, Angèle montera sur la scène du Botanique. Pas la peine de se presser. Son concert -son premier en tant que tête d’affiche- est complet depuis plusieurs semaines. Et cela alors que la jeune femme, 21 ans à peine, n’a pas encore publié le moindre album. Mieux: la date a affiché sold out avant même que ne sorte son tout premier single, La Loi de Murphy. Une Rotonde (300 places) remplie sans avoir pu faire entendre la moindre note de musique? Voilà qui est, au minimum, intrigant… L’emballement médiatique est du même ordre. Aussi bien au sud qu’au nord du pays: couverture en Flandre (celle de nos collègues du Knack Focus), passage appuyé sur la toute-puissante Studio Brussel, etc. Et ce n’est pas tout: la France aussi a flashé sur la Bruxelloise, des Inrocks à la toujours très branchée Radio Nova (« Angèle, c’est le futur du rap, le futur de la pop (les deux en même temps) (…), l’étoile que l’on va voir briller pendant un moment« ).

À ce niveau-là, on serait en droit de soupçonner le plan marketing minutieusement mis en place par une major du disque. Sauf qu’Angèle, Van Laeken de son nom de famille, n’est toujours signée sur aucun label. Jusqu’ici la seule vraie stratégie promo de la jeune femme se résume en réalité à… un compte Instagram. Elle l’a ouvert en février 2015. Depuis, elle y a posté quelque 200 images/vidéos. Souvent des reprises en piano-voix, avec une petite touche décalée et feelgood: un morceau de Christine and the Queens réinterprété dans les toilettes (bruit de chasse compris), une cover des Fugees déguisée en sapin, ou, plus simplement, un plan fixe la montrant en train de danser face caméra avec son amoureux, sur fond de Gipsy Woman, le tube house de Crystal Waters (« Ladadadi ladada », etc). Sous-titré Team de loutre, le compte Instagram compte aujourd’hui plus de 63.000 abonnés. Angèle? Cela n’a pas encore démarré que cela a déjà commencé.Vendredi 20 octobre. Ce jour-là, Damso s’apprête à remplir Forest National. Entre le rap noir de chez nwaar du Bruxellois et la pop bubblegum d’Angèle, il y a un monde. Le rappeur n’a pourtant pas hésité à lui proposer d’assurer la première partie de sa tournée triomphale. Y compris donc pour cette date, historique à plus d’un titre. Grosse pression? Quand on la rejoint dans sa loge, Angèle ne semble pas particulièrement tendue. L’oreille collée au téléphone, elle abrège la conversation. « Si tu peux, essaie de passer quand tu as fini… OK? D’accord!… Oui, moi aussi, Maman. » À l’autre bout du fil, Laurence Bibot. Ah oui, si ce n’était pas tout à fait clair, Angèle Van Laeken est bien la fille de la comédienne -elle-même sur scène, ce soir-là. Et du chanteur Marka. Et donc, si vous suivez toujours, la soeur du rappeur Roméo Elvis -le frangin l’a notamment invitée sur son morceau J’ai vu.

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À 21 ans exactement

Pour un artiste belge, monter sur la scène de Forest National, même pour une première partie, reste un moment particulier. « Déjà parce que petite, c’est ici que j’ai assisté à quelques-uns de mes premiers concerts. J’ai même un scoop. Je suis venue voir Lorie, avec mon père. Il m’avait gentiment accompagnée. Mais il n’était pas du tout prêt. La salle était remplie à craquer, 8 000 gamines de six à huit ans qui hurlaient toutes les paroles par coeur. À un moment, je me suis retournée pour regarder mon père. Il était en train de pleurer, complètement submergé par l’émotion! » (rires) Ce n’est pas la seule histoire qui lie Forest, le père et la fille. En 1982, Marka officie au sein du groupe Allez Allez, fantaisie post-punk bruxelloise qui trouva écho jusqu’en Angleterre. Cette année-là, leur album est même disque d’or. Et Allez Allez de se retrouver à assurer la première partie de Kid Creole à Forest National! « Mon père m’a encore rappelé l’anecdote récemment. Je trouvais ça dingue, se retrouver sur cette scène mythique alors qu’il n’avait que 21 ans. Je me disais que c’était le genre de choses qui ne m’arriverait jamais. Et puis ce matin, en me réveillant, j’ai réalisé: exactement au même âge, je vais moi aussi faire une première partie ici. »

Cela a l’air simple comme ça. Presque une suite logique des choses, a fortiori quand on a des parents qui ont toujours évolué sur scène. « C’est vrai qu’on a toujours baigné là-dedans. Il ne doit pas y avoir une seule vidéo de mon frère et moi, gamins, où il n’y a pas de musique, où l’on n’est pas en train de danser comme des ahuris. » Angèle pourtant l’assure: jusque récemment, elle n’avait jamais pensé se lancer dans le métier. « Quand vous êtes ado, en tout cas, vous avez plutôt tendance à vous positionner contre vos parents, à vouloir vous démarquer. Et puis, j’étais beaucoup trop timide, je n’osais pas chanter devant les autres. » Pendant longtemps, elle se contente donc du piano classique, pratiqué dès l’âge de cinq ans. Et puis, un jour, au bout de la rhéto, l’ado complexée décide de participer au spectacle de fin d’année –« au pire, je me tirais quelques semaines plus tard ». C’est le déclic.

Le théorème d'Angèle
© CHARLOTTE ABRAMOW

Après les secondaires, elle s’inscrit au Jazz Studio d’Anvers. Du jazz en question, elle avoue au départ ne pas en connaître grand-chose, mais elle s’accroche. Entre-temps, elle a ouvert un compte sur la plateforme Instagram. « Au départ, j’étais pourtant assez réticente. Pendant longtemps, je n’ai même pas eu de smartphone. Je trouvais les réseaux sociaux un peu ridicules, je n’aimais pas le principe de montrer sa vie, de poster les photos de tout ce qu’on mange, de tout ce qu’on porte… » Elle finit tout de même par se lancer. D’abord en se filmant en train de chanter en duo avec sa copine de classe (Ambre, qui a participé à The Voice). Puis seule, en prenant bien soin de montrer qu’elle ne prend pas tout ça trop au sérieux. Elle se gratte le nez, grimace, se plante dans les paroles. « Je n’assumais pas. Du coup, je faisais en sorte qu’il se passe un truc drôle pour qu’on comprenne que ce n’était que du second degré. »

De l’autre côté de l’écran, une personne en particulier ne loupe pas une miette des pitreries. Officiellement, Sylvie Farr est devenue aujourd’hui sa manager. « Mais au départ, Angèle est comme ma petite soeur, on s’est toujours connues », précise l’intéressée. D’abord à l’école, où elle joue le rôle de baby-sitter, puis chez les scouts. Par la suite, Sylvie Farr part un an en Australie, revient au pays organiser des concerts où elle invite des groupes rencontrés là-bas. Elle bosse aussi dans la production audiovisuelle et lance le premier Travel Storytelling Festival, centré sur les récits de voyage. Elle se retrouve bientôt à manager Johan Lolos, instagrammeur/influenceur/globe-trotter dont le compte lebackpacker accumule les vues…

Quand Angèle décide de pousser le bouchon un peu plus loin, elle contacte alors sa pote. « Au bout d’un moment, poster des vidéos, c’est bien, mais ça ne va pas très loin. Du coup, j’ai demandé à Sylvie si elle pouvait me trouver quelques petits concerts pour me faire la main. » Le premier a lieu en février 2015, à la Récré, un café/espace de coworking tout près de la place Stéphanie. « J’étais morte de trac, j’avais mis une chemise et j’avais de grosses traces de sueur en dessous des aisselles. » Sylvie Farr: « Je confirme… » Mais le monde est là, et la jeune chanteuse prend goût à l’exercice. Elle se retrouvera bientôt à donner une session live pour la série web Sofar Sounds. Elle y reprend notamment le Bruxelles de Dick Annegarn. Un an plus tard, au lendemain des attentats du 22 mars, elle reviendra chanter sa version dans le studio de la Première, à la RTBF.

Et la rumeur de commencer ainsi tout doucement à se propager. Un jour, Angèle donne un petit set à l’Archiduc, célèbre bar jazz du centre-ville bruxellois. Elle l’ignore, mais une bonne partie de la « profession » est dans la salle. « Moi-même, je n’étais au courant de rien, raconte Sylvie Farr. D’ailleurs, cette fois-là, j’avais un empêchement et je m’étais contentée de la conduire sur place. » Dans la salle, Nicolas Renard, manager notamment de Puggy, est séduit. Il va bientôt rejoindre le binôme. « Il nous a amené les contacts et la vision stratégique que nous n’avions pas. C’est une chance inouïe, on se complète parfaitement! » Il canalise aussi l’enthousiasme. « Avec Angèle, je nous vois encore rédiger un document Excel, où l’on notait les idées de saynètes ou de sketches pour Instagram. On a vite laissé tomber! » Angèle: « De toute façon, dès que c’est trop préparé, ça tombe à plat. Il faut que ça reste spontané. »

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Carte de visite

Aujourd’hui encore, les réseaux sociaux restent un instrument de communication privilégié pour la chanteuse. « Je suis sur Facebook, mais je l’utilise davantage pour communiquer avec mes potes ou partager des vidéos féministes. Avec Instagram, j’ai un rapport un peu plus bizarre. Je suis à la fois tout le temps dessus, et en même temps, j’essaie de prendre un maximum de recul. Ce qui est certain, c’est que sans ça, je n’aurais pas pu véhiculer cette image-là. » Soit celle d’une Lolita pop pas dupe, adepte de l’humour et du second degré. Un mix entre « Rihanna, Lily Allen (qui a également démarré son parcours sur le Net, via la plateforme Myspace, NDLR) et la Schtroumpfette ». « Mais ce n’est pas non plus un personnage. C’est complètement moi. C’est même peut-être ça le problème… ».

Aujourd’hui, Angèle a désormais un éditeur et un tourneur, et doit encore choisir entre les propositions des maisons de disques qui continuent de s’accumuler depuis plusieurs semaines. Avant un album prévu pour l’année prochaine, elle a déjà lâché un premier single. L’étape est importante: jusqu’ici, tout son « contenu » était centralisé sur Instagram. Ce n’est aujourd’hui plus le cas. Première carte de visite officielle, La Loi de Murphy a été composé en collaboration avec Matthew Irons (Puggy) et le rappeur Veence Hanao. Le morceau alterne l’anglais et le français, le chant et les parties plus rappées, le piano et les programmations électro. « Je voulais absolument qu’il sorte en premier parce qu’il résume justement bien toutes mes influences, tout ce que j’ai envie de faire. » Réalisé par Charlotte Abramow, le clip a été posté sur Youtube le 23 octobre. Quinze jours à peine plus tard, au moment de boucler ces lignes, il dépassait déjà le million de vues…

Girl power

Au croisement du hip-hop, de l’électro et de la pop, elles bousculent elles aussi le cocotier Belpop.

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Blu Samu

On l’a vue notamment en juillet dernier, au générique de Niveau 4, la grande bamboule hip-hop belgo-belge organisée par le festival Couleur Café. Salomé, alias Blu Samu, est originaire d’Anvers. Mais c’est à Bruxelles, en emménageant dans la même maison que le groupe de rap Le 77, que sa trajectoire s’est accélérée. Entre soul et hip-hop, elle a déjà proposé une série de titres sur la plateforme SoundCloud, dont le récent El Toro, sucrerie jazzy enregistrée au Red Bull Studio d’Amsterdam.

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Juicy

Impossible de les louper. Depuis plusieurs mois, le duo constitué par Julie Rens (vue également au sein du combo Oyster Node) et Sasha Vovk est de toutes les fêtes, de tous les bars, de tous les apéros, de tous les concerts. La recette est aussi simple qu’irrésistible: un clavier et une guitare, pour des relectures de tubes r’n’b/hip-hop des années 90-2000. Vu l’engouement, la paire devrait proposer dès l’année prochaine ses propres compos persos. Avec l’une ou l’autre surprise à la clé…

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WWWater

La première fois qu’on a entendu chanter Charlotte Adigéry, c’était dans Belgica, de Felix Van Groeningen. Passée également dans les choeurs de Baloji et du groupe Arsenal, la jeune femme se présente désormais sous le nom de WWWater. Le mois dernier, elle sortait un premier EP très réussi, La Falaise, qui participe à sa manière à l’entreprise de rénovation r’n’b, menée par des têtes brûlées comme FKA Twigs ou Kelela.

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Lous & the Yakuzas

On l’a vue en première partie du rappeur G.A.N et dans le clip de Bruxelles Vie de Damso. Née à Lubumbashi, basée à Bruxelles, Lous a ajouté récemment les Yakuzas à son nom de scène. Si la jeune femme bénéficie en effet de l’aide de beatmakers, c’est pourtant toujours bien elle qui reste à la barre d’un projet soul-trip hop de plus en plus intrigant, alternant volontiers français et anglais.

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