Lady Sir: « Gaëtan Roussel, c’est un peu notre Damon Albarn »

Gaëtan Roussel et Rachida Brakni, les deux têtes chercheuses de Lady Sir. © Mathieu Zazzo
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

La comédienne Rachida Brakni et Gaëtan Roussel, le meneur de Louise Attaque, sortent un premier album à deux, sous le nom de Lady Sir. Un duo trilingue, qui chante d’une seule voix.

L’hypothèse est qu’ils devaient forcément finir par se rencontrer. Elle, boule d’énergie infatigable, fille d’immigrés algériens animée par la voracité de ceux qui, au départ, n’avaient pas forcément toutes les bonnes cartes en main. Lui, la bougeotte permanente, volonté de ne jamais se faire enfermer, datant de la période où il a failli justement se faire coincer par le succès. À deux, la comédienne/réalisatrice Rachida Brakni et le musicien/chanteur Gaëtan Roussel ont mis au point le projet Lady Sir. Un premier album vient de sortir, Accidentally Yours. L’idée? Celle d’un duo qui s’exprimerait d’une seule voix. Voire d’un groupe qui mélangerait les trois langues -français, arabe, anglais. Avec en tête des exemples de binômes féminin-masculin qui fonctionneraient moins sur le modèle muse-pygmalion que sur un compagnonnage à la Bonnie & Clyde -on pense à She & Him (M. Ward & Zooey Deschanel) ou Mark Lanegan & Isobel Campbell. Des références donc, mais pas vraiment des modèles, dixit Gaëtan Roussel : « Disons que c’était des ponts vers le folk et autres textures acoustiques. Mais après, on ne voulait pas forcément arriver là. C’était juste des points de départ pour aboutir à notre propre petite histoire. »

En théorie, l’une et l’autre partent à égalité. Dans les faits, Gaëtan Roussel a évidemment une longueur d’avance. Il est l’un des chanteurs-auteurs-compositeurs à la fois les plus discrets et les plus populaires de la scène française. Relancé l’an dernier, après dix ans d’absence, son groupe Louise Attaque vient encore de remporter une Victoire de la musique (meilleur album rock pour Anomalie). Et reste, à ce jour, l’auteur du plus gros carton commercial de l’Histoire du rock français: près de trois millions d’exemplaires de leur premier album, paru il y a tout juste 20 ans, contenant les tubes Ton invitation, J’t’emmène au vent… Par la suite, Gaëtan Roussel a encore lancé le projet Tarmac, s’est échappé en solo, écrit pas mal de musiques de film (Camille redouble, Mammuth, etc), et surtout participé à l’écriture de l’ultime album d’Alain Bashung, Bleu Pétrole, sur lequel il prenait notamment à son compte le titre Résidents de la République. Un fameux CV.

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De son côté, actrice confirmée (César du meilleur espoir féminin en 2002 pour sa prestation dans Chaos de Coline Serreau), Rachida Brakni vient de sortir, en France, son premier long métrage en tant que réalisatrice, le huis clos pénitentier De sas en sas. Ces jours-ci, l’ancienne sociétaire de la Comédie-Française a également terminé une série de représentations au Théâtre du Rond-Point (Je crois en un seul Dieu, seule sur scène, pour trois rôles différents). Et maintenant, la musique, donc. En la matière, Accidentally Yours n’est cependant pas son coup d’essai. Il y a cinq ans, Rachida Brakni prenait déjà la tangente avec un album à son nom. Sur des musiques pondues par Cali, elle y chantait notamment les mots de son propre mari, l’ex-footballeur-acteur-poète Eric Cantona, rencontré sur le tournage de L’Outremangeur (2003). À l’époque elle tenait la barre, dirigeait la manoeuvre. Aujourd’hui, avec Lady Sir, l’énergie est celle d’un vrai duo, insistent-ils. « Rachida a coutume de dire qu’au lieu de se lancer la balle l’un l’autre, elle m’a jeté un kilo de glaise, qu’on a modelé à deux », rigole Gaëtan Roussel. Elle prolonge: « C’est terriblement agréable d’être accompagnée par quelqu’un qui tire les choses vers le haut, qui est dans une démarche artistique qui n’a pas peur de s’éloigner des zones de confort. Dans cette association, je me sens sublimée, accomplie, bien plus que si j’étais seule bizarrement. »

La rencontre s’est faite il y a déjà un moment. Rachida Brakni: « C’était au Zénith, lors de la tournée Ginger (le premier album solo de Gaëtan Roussel, en 2010, NDLR). Je suis allée le saluer en coulisses, après le concert. » Poignée de mains, première discussion. Le lien est tissé, entretenu et confirmé quand la manageuse de Roussel, Clarisse Fieurgant, se retrouve à travailler sur la promo du disque de Rachida Brakni. « À force, on est devenu amis, au point que c’en est presque devenu une affaire de famille -sa fille, par exemple, tourne dans mon film », s’amuse-t-elle.La complicité n’est pas feinte. L’admiration réciproque non plus. Elle: « Gaëtan, c’est quelqu’un qui ne se repose pas sur ses lauriers, qui est constamment en recherche d’autres modes d’expression, qui se frotte à d’autres univers, et qui expérimente. C’est un peu notre Damon Albarn. » L’intéressé fait mine de rechigner, gêné. « Mais si, c’est vrai! Je n’en connais pas beaucoup comme ça, en France. En général, un artiste trouve sa voie et continue à la creuser. Gaëtan ne se contente pas de forer toujours le même trou, il va aussi parfois voir ailleurs s’il n’y a pas autre chose à gratter. Si je pense à Albarn, c’est aussi parce que c’est quelqu’un qui lance plein de projets, qui est producteur pour d’autres, etc. Ou des gens comme Joe Strummer, qui avait cette ouverture. Eric me disait par exemple que quand ils se voyaient à Paris, il le retrouvait à Barbès, dans des bouis-bouis, ou en train de choper des cassettes de raï. Au final, c’est la question de la curiosité. » À son tour, Roussel rend la pareille: « Rachida m’épate: elle sort un film, parle de Lady Sir le jour, joue au théâtre le soir, tout en préparant un autre spectacle en parallèle… C’est impressionnant d’arriver à vivre tout ça, tout en faisant que l’un nourrisse l’autre. »

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C’est d’ailleurs comme cela qu’est née l’entité Lady Sir. Alors en plein montage de son film, Rachida Brakni cherche une musique pour accompagner la séquence de fin. Gaëtan Roussel: « J’avais un morceau qui traînait dans un tiroir, écrit sans but précis. Rachida a essayé pour voir s’il pouvait fonctionner avec les images. Dans la foulée, elle a aussi eu envie qu’on chante tous les deux dessus. C’est à ce moment-là qu’on a découvert que nos voix se mariaient bien, et sonnaient d’une certaine manière. » Le morceau, Accidentally Yours, va servir de rampe de lancement. Ce qui devait n’être qu’un one-shot va devenir un vrai projet, « mon premier groupe, à 40 ans! », rigole la comédienne.

Une voix, plusieurs langues

Si Lady Sir a en effet son identité, il est malgré tout impossible de ne pas y entendre la patte de Gaëtan Roussel. En particulier dans cette manière de trousser des chansons entre chien et loup, mélancolies finement ciselées et joliment flottantes. Les deux voix y vagabondent, la plupart du temps main dans la main, dans un même élan, « comme si elles ne devenaient plus qu’une seule voix, presque androgyne », explique Gaëtan Roussel. « On aurait pu faire des contrepoints, ne pas chanter tous les deux les mêmes notes en même temps. Mais ce n’est pas là qu’on a voulu mettre la profondeur, la respiration. » Osmose mais pas forcément fusion cela dit, quand par exemple, les paroles en arabe succèdent aux mots français. Rachida Brakni: « Cela permet de dire d’autres choses. Un peu comme dans une histoire d’amour, où vous avez la perception d’un des protagonistes d’un côté, puis en contrechamp, celle de l’autre. Jouer avec les langues permet d’ouvrir d’autres fenêtres sur une histoire, de lui donner du relief. »

Parler d’une seule voix, mais en laissant de la place pour l’identité de chacun: il n’est pas interdit d’y voir une métaphore, voire une sorte de commentaire social, presque une position politique. À l’insu de leur plein gré? Fin janvier, Lady Sir sortait un premier clip: imaginé par le réalisateur/vidéaste Jean-Gabriel Périot, la vidéo de Le temps passe enchaîne les images de manifestations en noir et blanc, tirées visiblement d’archives des années 60. Installée à Lisbonne depuis les atermoiements du débat français autour de la déchéance de la nationalité, Rachida Brakni botte d’abord en touche. « Jean-Gabriel Périot avait carte blanche. On a été hypersurpris du résultat, mais c’est ça qui est intéressant. Le morceau a un truc très intemporel, qui fait qu’il peut susciter des lectures très variées. » Mais elle, comment comprend-elle la vidéo « Si je me penche sur le refrain, il y a l’idée que tout va très vite, et qu’il n’y a pas si longtemps, on pouvait encore se retrouver autour d’un projet commun. Une individualité pouvait en rassembler d’autres, créer un mouvement, qui allait prendre de l’ampleur et devenir une force de contre-proposition. Ce n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui. Ce n’est qu’une lecture des choses. Mais elle me touche. Et elle est pertinente. » À quelques jours du premier tour d’une élection présidentielle française particulièrement bousculée, on ne dira pas le contraire…

LADY SIR, ACCIDENTALLY YOURS, DISTR. UNIVERSAL. ***(*)

EN CONCERT LE 27/8 AUX SOLIDARITÉS, À NAMUR.

Un album peut en cacher un autre

L’album de Lady Sir est double: Fred Bernard a mis en images et en bande dessinée la création de leur disque. Un partenariat « win-win comme on commence à en voir beaucoup.

Lady Sir:
© Glénat

Les rapports entre musique et BD ne datent évidemment pas d’hier mais il était jusqu’ici relativement rare de voir les deux mediums se développer en même temps, comme c’est le cas pour Lady Sir: parallèlement à la conception de leur disque, Gaëtan Roussel et Rachida Brakni ont accepté de se faire suivre et de raconter leur processus de création à Fred Bernard -l’auteur, entre autres, des Aventures de Jeanne Picquigny– pour donner corps à un album (de BD) sortant en même temps que l’album (de musique). But évident et à demi avoué de la manoeuvre: creuser le sillon d’un projet qui se veut réellement multimédia entre musique, écriture, cinéma et donc BD, tout en multipliant la visibilité de la « marque » Lady Sir. Gaëtan Roussel a lui-même brièvement évoqué le sujet: « C’est une sorte de journal de bord du disque, mais vu d’un autre angle. Au final, c’est surtout la BD de Fred Bernard: ses couleurs, son esthétisme, sa manière de nous voir… Les deux projets sont connectés évidemment, il y a des passerelles. Mais ils peuvent exister aussi de manière indépendante. » Et de fait, la BD Lady Sir se lit comme du pur Fred Bernard: un carnet de route extrêmement libre, volontiers poétique et onirique, qui multiplie les points de vue subjectifs et les techniques pour tenter de cerner un peu de cette magie de la création, sans que l’écoute du disque soit pour autant nécessaire.

De Cleet Boris à Gorillaz

Fred Bernard et Lady Sir ne sont pas les premiers, et encore moins les derniers, à avoir créé ainsi « la BD de l’album ». En 2011 déjà, le regretté Cleet Boris, ex-membre de l’affaire Louis Trio et excellent dessinateur, s’était lui-même chargé de faire le « journal d’un disque », à savoir le sien, La Maison de pain d’épice. Plus récemment, Étienne Daho s’était lui aussi laissé suivre par un dessinateur, en l’occurrence Alfred, pendant les cessions d’enregistrement de son LP, Les Chansons de l’innocence retrouvée, donnant ainsi naissance à l’album cette fois de BD L’Homme qui chante. Plus près de nous encore, le DJ Joseph d’Anvers a lui aussi craqué sur le principe: dans Les Jours incandescents, qui sortira en octobre prochain, il s’associe à Stéphane Perger pour adapter en courtes nouvelles dessinées les textes de son dernier opus, Les Matins blancs. Seul Gorillaz a depuis longtemps poussé l’idée un cran plus loin, en faisant de l’auteur Jamie Hewlett un membre à part entière du groupe, avec des dessins et un univers esthétique cette fois réellement indissociables les uns des autres.

Olivier Van Vaerenbergh

  • LADY SIR, JOURNAL D’UNE AVENTURE MUSICALE DE FRED BERNARD, ÉDITIONS GLÉNAT, 120 PAGES. ***(*)

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