Serge Coosemans

La Planète des Femmes: Suprématie

Serge Coosemans Chroniqueur

Il n’y a pas que les Millenials qui pratiquent le révisionnisme pop, Serge Coosemans s’y met aussi; le temps de partager une vision bien à lui où Duran Duran, Grace Jones et Jean-Pierre Marielle sont les véritables icônes pop émancipatrices de notre temps. Madonna-bashing, abus de position dominante et carambolages, c’est le Crash Test S02E35.

J’ai toujours détesté Madonna. Le personnage. La musique aussi, mais ça, on s’en fout. En juillet 1983, quand est sorti son premier album, quand Madonna a donc déboulé dans ma vie, je l’ai tout de suite trouvée insupportable, en connaissance de cause. C’est que des filles et des garçons du genre, il y en avait déjà plein l’école: des petits êtres vulgaires, boudins, carnassiers et besogneux. Prêts à toutes les ignominies pour attirer l’attention et laissant dans leurs sillages des kilomètres et des kilomètres de parquets rayés par leurs très longues dents. De purs produits des années Reagan, en fait. Comme Tom Cruise, comme Donald J. Trump. Le genre à plus tard faire carrière dans le tortionnaire de secteur tertiaire, la délinquance en col blanc ou le prêt-à-porter à Fort Jaco. Des gens narcissiques et obnubilés par le succès, fut-il médiocre et moralement douteux. Des gens qui, dès 11 ans, parlent pognon et sécurité, 4 façades à la côte, jardinets et avenir tout tracé dans une position plus ou moins dominante. Je m’emballe, vu que j’ai toujours été l’exacte antithèse de tout ça. Madonna et les latin-maths, j’ai vite compris que c’était l’Adversaire, vu que je n’ai donc pas cet ADN d’animal de la jungle. Je suis né jeanfoutre et c’est bien pourquoi en 1983, autant je détestais Madonna, autant j’adorais Duran Duran. Les personnages. La musique aussi, mais ça, on s’en fout.

Derrière la grande gueule de Madonna, on sentait beaucoup de travail et d’ambition. Beaucoup de business. Elle jouait le jeu, à l’aide d’une considérable machine marketing. Bien entendu, Duran Duran aussi jouait le jeu, dans ses clips tropicaux suintants de dollars. Mais eux avaient l’air de le prendre vraiment par-dessus la jambe, ce jeu. Madonna était principalement là pour s’imposer comme actrice incontournable de la pop, eux pour se marrer avec des top models israéliens sur des yachts à Singapour. Si un film devait aujourd’hui se monter sur la vie des Duran Duran, je suis persuadé qu’il serait proche de The Wolf of Wall Street et de Spinal Tap. Une comédie narcotique. Alors que si devait sortir un biopic sur Madonna, il y a tout de même énormément de chance qu’il nous raconterait la tension et l’incompréhension familiale, l’ascension difficile, le travail, l’abnégation, le vilain petit canard qui devient une grande icône du sexe en répétant à la gym des chorégraphies ridicules et en suivant drastiquement des régimes à base de graines et de Contrex. Bref, un bon petit catéchisme du capitalisme. Le remake seins en avant et cul en arrière du film nazi de Leni Riefenstahl, Le Triomphe de la volonté. De la propagande pour parcours d’intégration à la société des nantis. Une ode à la valeur-travail, au dépassement de soi, à l’entrepreneuriat. Être un Duran Duran semblait par contre vraiment cool. Quasi une vie d’heureux con parfaitement détendu du gland comme en vit Jean-Pierre Marielle à la fin des Galettes de Pont-Aven. Et si j’ai bien un but dans la vie, c’est celui-là.

Madonna, Beyoncé, Theresa May

Mais quel role-model oserait encore aujourd’hui prôner un lifestyle à la Duran Duran, autrement dit faire l’apologie de la dolce vita? Nous sommes en l’an 34 après Madonna et il me semble bien que le modèle besogneux se soit totalement imposé dans la pop culture. Certes, ce n’est pas la sinistrose totale: chez quelques DJ’s, quelques rappeurs, quelques métalleux et une poignée de groupes garage, on croise encore pas mal de drôlerie et de désinvolture. Dans le mainstream, en revanche, on n’a plus du tout l’air là pour rigoler. On s’entretient, on se donne, on parle de respect, on prétend changer la société et si jamais on en vient malgré tout à évoquer dans son plan com la cocaïne, le champagne et la fesse, c’est de façon totalement outrancière. De la bédé, de la bravade, plutôt qu’un polaroïd de son véritable quotidien. Voilà donc aussi pourquoi je tique autant quand j’entends parler de féminisme à propos de Madonna, de Beyoncé et d’autres icônes féminines pop. Il est indéniable qu’elles ont fait bouger certaines lignes pour les femmes, les gays et les afro-américains. Sans doute pas autant que ne le racontent les dossiers de presse au moment de vendre leurs salades mais un peu quand même. Mais le féminisme n’est-il pas un combat contre la domination et pour l’égalité et la liberté de toutes et tous? Quand Madonna ou Beyoncé rognent un peu de puissance au patriarcat et lui envahissent un territoire symbolique, est-ce que cela libère vraiment qui que ce soit ou alors cela ne fait que remplacer l’homme dominant par une femme dominante, exactement comme Theresa May a remplacé David Cameron, youpie?

C’est probablement dans la nature de Madonna et de Beyoncé, dans leur caractère ambitieux, de vouloir une grosse part du gâteau, pas forcément pour la redistribuer. On les dit féministes parce que la principale embûche sur leur chemin, ce sont les hommes et qu’elles en jouent, mais leur comportement serait sans doute exactement semblable si c’étaient d’autres femmes, un ordinateur géant, des extraterrestres ou des singes qui parlent qui tenaient le sommet de la pyramide sociale. Dans leur volonté de s’imposer, elles font bouger des lignes, mais leur motivation principale relève bien du schéma top-gunien: être meilleures que les meilleurs. C’est du féminisme qui oublie que certains hommes souffrent tout autant que les femmes dans cette société qui n’est pas que patriarcale mais surtout de nature à broyer tout ce qui en refuse les règles et à lessiver tout ce qui pourrait lui présenter un certain danger. Une femme afro-américaine à la tête des charts mondiaux, c’est donc bien beau, mais la femme afro-américaine n’en est pas moins surtout une femme d’affaires successful, une mère comblée, une performeuse ultra-performante, une personnalité dominante, bref, tout comme Madonna, une grande figure du catéchisme capitaliste. Ces pop-stars ne remettent jamais en question l’idée même de réussite prônée par le système, n’attaquent jamais l’idée reçue que pour s’épanouir, pour réussir, il faut travailler dur, acquérir des privilèges, de l’immobilier, des animaux et des enfants.

Il existe un monde parallèle où la femme noire à la tête des charts mondiaux n’est pas Beyoncé mais Grace Jones. Tout à fait mon type d’univers, ça. Déjà parce que depuis 1982, j’adore sa musique, mais ça, on s’en fout. Et puis parce que voilà bien un personnage très travaillé mais jamais besogneux. Pas du tout le genre à inspirer les premières de classe où à donner envie d’ouvrir un petit commerce qui écrase toute concurrence. Pas non plus le genre à encourager les gamines à devenir des reines de la blanquette, des fées du logis, des petites fiancées modèles et encore moins à servir d’insidieuses propagandes pour le cool conservateur. Grace Jones n’a pas l’air d’avoir grand-chose à foutre de l’éternelle bataille pour la position dominante. Sauf au lit. Ce qui est tout de même vachement plus intéressant que de continuellement se la donner dans l’unique but de voler au calife son titre de calife. Grace Jones, Duran Duran, Jean-Pierre Marielle. Voilà donc, mine de rien, les vrais freedom fighters.

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