Glü, colle électronica

Glü © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le premier album des Bruxellois Glü prône l’électronique via ses capillarités synthés. Symptôme de trentenaires en réseaux où la musique devient un vecteur social majeur.

Vision. Le logement du claviériste Martin Daniel, au rez-de-chaussée d’un vénérable immeuble ixellois début XXe, est capharnaüm raccord avec l’époque fissurée et le fonctionnement de musicien trentenaire belge. Au fur et à mesure que l’on cause de Glü avec Martin et Dorian Palos -bassiste de Perpignan venu étudier au Conservatoire de Bruxelles-, l’addition étourdissante des intervenants dans le projet rejoint celle du trois pièces en enfilade décati. S’y entassent fauteuils et canapés d’autrefois, plantes, bouquins, mezzanines -au nombre de deux-, affiches rétro, chats pour de vrai et instruments de musique. Un mausolée anti-zen aux sensations corporelles que l’album Three, sortant après deux EP’s, confirme: Glü grogne, accumule, grince et fait danser. Il charme aussi. Notamment par le contenu du salon de Martin, un piano Fender Rhodes de 60 kilos et un synthé plus léger, le Korg MS 20. Martin: « Je les utilise sur scène, me coltinant le Fender Rhodes. Par contre, je laisse à la maison l’orgue Hammond, acheté sur une brocante pour 70 euros: il dépasse les 100 kilos. Glü a parfois un côté rétro via l’utilisation d’instruments analogiques mais, sur scène, on élargit la palette au digital, notamment par le VST (Virtual Studio Technology, un standard de plugins, NDLR). » Dorian précise: « On voit notre album comme une fresque sonore, comme un tout et non pas comme un amas de différentes identités. On veut que le disque soit de toute façon écouté dans son intégralité. »

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Glü a ce côté entre deux culs, deux millénaires, deux processus technologiques -l’analogique et le numérique-, qui densifie les morceaux, les rend transversaux et personnels. On peut évidemment y ramener des génériques (breakcore, drum and bass, techno) ou des références obliques (Aphex Twin, Squarepusher, James Holden), mais en fait, c’est plutôt la belgitude bâtarde de la marmite qui fait effet. Créé il y a environ cinq ans sur les cendres d’un groupe hip-hop cuivré -Rue des pêcheries (sic)-, Glü débute dans des jams hebdos estudiantines puis se colle aux concerts de squats et cafés bruxellois. Toujours sous le signe de rencontres éponges, comme celle d’un rappeur métis de Los Angeles, Deco Comprehension, qui se balade sur le 2e EP sorti en 2014 et reste toujours un possible invité occasionnel. D’où l’actuel groupe des cinq: Martin et Dorian déjà cités, un second Martin -Méreau- venu à la batterie de La Chiva Gantiva, Charles Bruère aux projections vidéo et, last but not least, François Gaspard. Celui-là a tout de l’achimiste qui chipote les composants. Martin: « François, alias Bishop Dust alias Shakmat, a vraiment une poly-casquette puisqu’il joue de la basse et de la guitare mais chante et rappe également. Il est producteur électro, organisateur d’événements, membre de multiples formations et aussi fabriquant de synthés modulaires. C’est le grand manipulateur… » En tout cas, le François en question, Carolo de 35 ans ingé son de formation, amène un truc qui rappelle ce que Brian Eno versait dans Roxy Music au début des années 70: des incertitudes sous forme d’expérimentations, de changements de température et de challenges d’identité.

Arte Electronica Povera

L’univers visuel de Glü fantasme sur le rétro et le sci-fi d’antan: on le retrouve dans les projections live astucieuses du VJ Charles Bruère comme dans le clip de The Dark Face of the Sun, premier single de l’album. On y voit un robot futuriste comme on pouvait l’imaginer au milieu du XXe siècle, rythmé par un groove pousse-dancefloor. Il est signé des Frères Talbot, deux Belges qui flashent sur la galaxie et les trucages vidéos entre Méliès et Michel Gondry. La filière artisanale autour de Glü s’apparente d’ailleurs à un réseau de nombreux créateurs belges qui se croisent et s’entraident, généralement dans une économie modeste, très troc 2017. Martin: « Tout ce réseau fonctionne aussi sur une sorte de bénévolat mutuel: on n’a pas les moyens de payer pour tout, donc avec les Talbot, ils savent bien qu’on leur retournera la faveur, par exemple en leur fournissant une musique pour un de leurs futurs projets visuels. » Si l’album de Glü est réalisé pour 8.000 euros cash -communication et pressage compris (1)-, c’est dans l’esprit de ses membres et de leurs multiples copains, « partouze de cerveaux », comme le résume Dorian. Soit un Arte Electronica Povera sans misérabilisme aucun mais avec des questions: par exemple celle de connaître l’utilité des diplômes décrochés. Martin, qui a accompli quatre des cinq années de Conservatoire: « Décider que la musique est ton métier, c’est un peu scabreux. La plupart des musiciens bruxellois de notre génération font plein de projets dont aucun n’est à temps complet. Mon activité est donc très polyvalente, je joue dans plusieurs groupes, je donne des cours, je me produis même dans un resto. » Cela donne en tout cas du grain à une musique électronique proche de l’esprit Recyclart, ce centre bruxellois qui mixe genres et publics. Et qui, à l’unisson de Glü, semble désireux de mettre l’underground à portée de plus vastes plaisirs.

(1) LE GROUPE A ÉGALEMENT LANCÉ EN FÉVRIER 2017 UN CROWDFUNDING DE 2 000 EUROS SUR ULULE POUR LA FABRICATION DE 300 VINYLES DE L’ALBUM: IL EN A RÉCOLTÉ PLUS DE 3 000.

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