1967, l’année de grâce (1/7): Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band

De gauche à droite: Paul McCartney, Ringo Starr, John Lennon et George Harrison, en mai 1967, lors de la sortie de Sgt. Pepper. © APPLE CORPS LTD.
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À tout seigneur, tout honneur: avec Sgt. Pepper, les Beatles sortent un véritable chef-d’oeuvre. Un monument pop, emblématique du Summer of love psychédélique. Attention à la descente…

Chaque semaine, on ressort des bacs une pépite de l’année dorée du rock: 1967.

« Je ne sais plus si c’est William Shakespeare ou Ringo Starr qui a dit: « Dès qu’un truc ne m’amuse plus, je laisse tomber. »«  La phrase est tirée de J’ai inventé les Beatles, de Brian Epstein (éd. Scali). L’autobiographie du premier manager des Fab Four est publiée pour la première fois en 1964. Deux ans plus tard, le 29 août 1966, sur le coup de 22h30, le groupe dont il a largement contribué à asseoir la renommée mondiale quitte la scène installée au milieu du terrain de base-ball de Candlestick Park, à San Francisco. Les Beatles viennent de donner leur tout dernier concert (1).

Cela ne les empêchera pas d’enregistrer quelques mois plus tard ce qui deviendra pour beaucoup leur chef-d’oeuvre ultime: Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. Mais là, de retour au pays, c’est le flou. Épuisé, rincé, le groupe est au bord de l’implosion. Il faut dire que la tournée s’est vite apparentée à une galère. Un long anticlimax, entre scènes de chaos en Asie et stades américains à moitié vides, suite notamment à la fameuse sortie de Lennon (« les Beatles sont plus populaires que Jésus »)… Alors Epstein temporise. De toute façon, lui-même est groggy, contrôlant de plus en plus mal son addiction aux amphétamines. Lancée dès 1963, la Beatlemania a essoré les corps et les esprits. Quelques années plus tôt, Epstein dirigeait encore le magasin de disques familial, à Liverpool. Depuis, le jeune trentenaire tient, comme il peut, les rênes d’un groupe dont la musique est en train de bouleverser tous les repères. Il est temps de prendre une petite pause.

Pour la première fois, les Beatles s’offrent de vraies vacances. Paul, notamment, file se balader en France, incognito, avant de s’offrir un safari au Kenya. C’est dans l’avion du retour qu’il imagine créer un faux groupe. Un alter ego qui soulagera les Beatles du poids de la célébrité et leur permettra de tenter toutes les expériences imaginables. Les albums Rubber Soul (1965) et Revolver (1966) avaient déjà ouvert de nouvelles portes. Avec Sgt. Pepper, les Anglais vont révolutionner la pop music. L’enregistrement débute à la fin novembre 1966. Il durera plus de quatre mois. Brian Epstein n’est pas là: en proie à la dépression, et à une consommation de drogues de plus en plus problématique, il multiplie les séjours en centre de désintoxication…

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Pistes pyschédéliques

Le 26 mai 1967, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band sort officiellement en Angleterre. Ironiquement, il démarre par les bruits d’un public… En vrai, l’album n’est évidemment pas un enregistrement « live ». C’est même tout le contraire: le disque consacre le studio comme un « instrument » en soi. George Martin et son équipe d’ingénieurs ne disposent que de quatre pistes d’enregistrement. Mais en multipliant les astuces, ils réussissent à créer tout un monde musical. Les Beatles ont-ils accouché du premier concept-album? Ça se discute: après tout, un fois passé l’intro et With a Little Help From My Friends chanté par Ringo, le disque part dans tous les sens, des sitars de Within You Without You au sonnet She’s Leaving Home. Ce qui est certain, par contre, c’est que la pop ne peut plus être vue comme une simple distraction pour ados. Voilà une musique qui, désormais, s’écoute plus qu’elle ne se danse. Une oeuvre dont les notes de pochettes sont décortiquées scrupuleusement (Sgt. Pepper est le premier du genre à imprimer les paroles des chansons). Quitte à irriter certains critiques, pour qui le rock tient au contraire de la décharge teenage spontanée…

Soit. Si Sgt. Pepper s’imposera malgré tout, ce n’est pas uniquement grâce à ses audaces sonores. Avec son psychédélisme assumé, il deviendra surtout LE disque qui résumera une période-charnière. Il sort juste à temps pour servir de bande-son au Summer of Love et à la vague hippie qui l’accompagne. « Sgt. Pepper, écrit Peter Doggett dans Come Together (éd. Sonatine), incarnait l’époque en version miniature: bariolée, excentrique, décadente, enjouée, solipsiste, bouillonnante. » Partout, la jeunesse occidentale conteste, pousse et fait vaciller les valeurs de l' »Ancien régime ». Elle prône la libération sexuelle, et trouve dans les drogues les « chemins d’une autre réalité ». Parce que celle qui fait l’actualité dans les journaux n’est pas toute rose? Elle ne va pas tarder à la rattraper…

Aux États-Unis, alors que le conflit vietnamien s’enlise, des émeutes raciales font plus de 40 morts à Detroit. Au Proche-Orient, la guerre des Six Jours redessine la carte d’un conflit israélo-arabe qui dure toujours aujourd’hui. En Grèce, un coup d’État militaire a renversé le pouvoir démocratique, inaugurant la « dictature des colonels ». Malgré cela, des Beatles en plein trip LSD se mettent en tête d’acheter une île en mer Égée. Ils projettent de s’y installer et d’y former une communauté. Perturbant? Lennon: « Je ne m’inquiète pas de la situation politique en Grèce, tant qu’elle ne nous affecte pas. Je me moque que le gouvernement soit fasciste ou communiste. » Ou quand le provocateur de la bande l’est d’autant plus qu’il est piqué au vif…

À la fin août, les Fab Four au grand complet sont à Bangor, au Pays de Galles, pour assister à un séminaire du gourou indien Maharishi Mahesh Yogi, quand ils apprennent la mort de leur manager. Brian Epstein a été retrouvé inanimé dans son lit, victime d’une overdose de somnifères et de barbituriques, que certains interpréteront comme un suicide. Il n’avait que 32 ans. « Je ne sais plus si c’est William Shakespeare ou Ringo Starr qui a dit: « Dès qu’un truc ne m’amuse plus, je laisse tomber », avait-il écrit trois ans plus tôt. Mais qui que ce soit, je comprends ce qu’il a voulu dire. »…

(1) si l’on fait exception du happening sur le toit d’Apple en janvier 1969.

• À l’occasion de ses 50 ans, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band a fait l’objet d’une nouvelle réédition, déclinée en plusieurs versions (distr. Universal).

Cover story

1967, l'année de grâce (1/7): Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band

La plus célèbre pochette de de l’Histoire de la pop n’a cessé d’être disséquée dans tous les sens. En particulier son « casting ». Lennon avait ainsi souhaité que Gandhi, Jésus et Hitler soient « présents ». Ce sera « niet » pour le premier et le second. Et le troisième? Si le Führer reste invisible sur l’image finale, le concepteur de celle-ci, Peter Blake, a révélé qu’il était bien sur le cliché. Il est juste caché par le groupe… « Avec tellement de personnages différents, on ne savait pas trop qui allait être visible au final. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content