Questionner nos démocraties avec le jeu belge The Man Came Around

Thierry Brimioulle s'est notamment inspiré de jeux vidéo comme This War of Mine ou Gods Will Be Watching pour créer The Man Came Around. © Thierry Brimioulle

Prévu pour fin 2018, ce jeu vidéo suit le parcours de cinq fugitifs, qui s’échappent d’un pays démocratique tombé dans la répression. Rencontre avec son créateur belge, Thierry Brimioulle.

Travailler huit heures par jour sur le graphisme et le codage d’un jeu vidéo, chez soi, et traiter d’un sujet engagé. C’était le souhait de Thierry Brimioulle, devenu réalité depuis qu’il travaille sur The Man Came Around, un survival autour de la fuite de cinq personnages d’un état démocratique illusoire.

Le jeu débute par une « situation glissante avec une répression de troubles », qui pourraient être, selon le créateur, le résultat des manifestations contre la loi travail en France par exemple, si elles avaient duré plus longtemps. Les personnages quittent alors le pays, lorsque la police conduit des raids et arrête des citoyens. Pour Thierry Brimioulle, « les cinq protagonistes justifient la légalité de cette violence par le pouvoir du gouvernement. J’ai justement envie de faire réfléchir les joueurs sur cette sorte de déni de ce qui se passe dans leur propre pays. On ne veut pas regarder la souffrance des gens, parce que si on le fait, il faudra y faire quelque chose, et là, c’est plus compliqué. Je pense que si le jeu essaie de dire quelque chose, c’est vraiment que c’est ce genre d’attitudes qui provoque les problèmes. On a toujours l’impression que la violence et les migrants, ça se passe chez les autres. Mais à mon sens, le vernis démocrate s’effrite de plus en plus et nos institutions sont en péril. »

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Cette production politique est le premier jeu vidéo commercial du trentenaire, passé par des études en marketing et communication des entreprises, puis reconverti dans le domaine vidéoludique. Il forme au départ un duo avec l’un de ses collègues de promo, qui décide rapidement de quitter le projet de monter leur propre jeu. Thierry Brimioulle continue seul, crée sa société Pipette Inc. et se lance dans la production de ce qui deviendra The Man Came Around: « J’avais réalisé quelques mini-jeux pendant mes études, mais je ne trouvais pas ça spécialement attirant de créer des oeuvres dont personne ne se souviendra jamais. Quitte à faire moi-même un jeu et à y passer du temps, je préférais travailler sur un projet qui m’intéressait vraiment. Dans le même temps, la crise syrienne était au coeur de l’actualité, et j’ai eu une sorte de déclic. »

Réveiller les consciences

L’installation de barbelés en Hongrie pour empêcher les migrants d’atteindre l’Europe et la violence policière pendant les manifestations contre la loi travail et Nuit debout en France terminent de le convaincre. Thierry Brimioulle réfléchit à un groupe de personnages qui se déplacerait d’un pays à un autre: « Je voulais que ce soit plutôt des gens aisés, justement pour poser la question de ce que l’on ferait, nous, si ça nous arrivait. L’actualité m’a montré que nos démocraties actuelles ne sont jamais très loin de déraper dans l’autoritarisme, peu importe la classe politique au pouvoir. »

The Man Came Around se déroule dans une montagne
The Man Came Around se déroule dans une montagne « sombre et menaçante ».© Thierry Brimioulle

Le trentenaire parle beaucoup de l’influence de la politique française sur son travail, comme celle de l’ancien Premier ministre sous François Hollande, Manuel Valls: « Le titre vient en partie de lui. The Man est le pseudo du président de mon pays imaginaire. C’est une sorte de référence à Big Brother entre autres, mais aussi à la chanson de Johnny Cash, The Man Comes Around. Mais surtout, j’avais Manuel Valls en tête lorsque j’ai créé le personnage, même si les joueurs voient souvent Trump. Pour moi, il est l’expression de l’hypocrisie politique dans toute son ampleur. »

Une narration douce-amère

Gauchiste convaincu, le gamer belge a donc réuni ses pensées politiques et ses créations artistiques pour développer seul The Man Came Around et exprimer toute sa « colère » et son « indignation ». Il gère alors à la fois les graphismes mais aussi l’écriture du scénario et la programmation. Pour le design, Thierry Brimioulle a décidé de s’orienter vers du speed painting, par « facilité »: « Le but était de trouver un style graphique que j’étais sûr de pouvoir produire en tant que débutant, et suffisamment étrange pour qu’on ne puisse pas savoir si c’était beau ou moche (rires) ». Le créateur choisit le noir et blanc dès le départ pour son ambiance « sombre » et « minimaliste », qui donne à la montagne, décor majoritaire du jeu, l’impression d’être « menaçante et dangereuse ».

Le joueur guide et incarne cinq personnages en même temps au sein de cet univers graphique: « Ils agissent en groupe, on ne peut pas les séparer, sauf pour des actions spécifiques comme les envoyer en éclaireur. En revanche, certains d’entre eux peuvent mourir ou être abandonnés par le joueur ». Thierry Brimioulle a pris le parti de donner de l’importance à la psychologie des protagonistes, pour que les décisions prises ne le soient pas à la légère: « l’idée, c’est qu’ils se comportent comme des humains et non pas comme des robots ». Crises de panique, impact des morts sur leur moral… Le joueur devra conjuguer avec la personnalité de chacun. Le tout en déroulant le passé des personnages et du pays imaginaire « touche par touche »: « Lorsqu’on a pas beaucoup de détails sur une situation, le cerveau remplit les blancs, et ça, c’est intéressant du point de vue narratif ». De la même manière, pas de carte dans The Man Came Around: l’expérience sera donc le fruit du hasard et de choix aléatoires, qui mèneront à plusieurs zones de fin.

Le joueur doit réaliser des choix moraux lors de sa partie, comme fuir ou se battre contre des soldats.
Le joueur doit réaliser des choix moraux lors de sa partie, comme fuir ou se battre contre des soldats.© Thierry Brimioulle

L’oeuvre sera également rythmée par de petites missions pour « redonner de la durée de vie au jeu et du challenge au joueur » et le concepteur du jeu vidéo imagine déjà une fin « douce-amère », loin d’un « happy end ».

Petit jeu deviendra grand

En attendant de voir le bout de ce projet colossal, le trentenaire belge réalise lentement mais sûrement la centaine de panneaux graphiques qui composeront le jeu final. Il poursuivra ensuite avec l’animation des personnages et l’écriture détaillée du scénario, avec un objectif en tête: fin 2018. C’est ce qu’il a promis sur Kickstarter à ses supporters du monde entier (111 Belges pour 53 Américains par exemple) qui l’ont aidé à financer le projet. Durant la campagne, il a récolté 10.826 euros, lui permettant notamment de faire appel à un sound designer et un musicien pour les effets sonores et la bande originale. Pour Thierry Brimioulle, cette deadline est un « engagement moral » auprès de ses financeurs, mais aussi une manière d’avoir des retours de joueurs et de continuer à améliorer The Man Came Around avant sa sortie définitive, début 2019. Le jeu devrait être disponible sur Steam, pour Windows, Mac et Linux, entre 15 et 20 euros, même si « rien n’est fixé pour le moment ». Avec un sourire aux lèvres, le passionné de jeux envisage même, pourquoi pas, une suite, « selon le succès du premier opus ».

Salammbô Marie

5 autres jeux vidéo engagés autour de l’immigration

1. Path Out

Le jeu suit le parcours autobiographique d’Abdullah Karam, un jeune artiste syrien réfugié en Turquie en 2014. Il intervient d’ailleurs dans Path Out sous la forme de commentaires vidéo. La véracité du personnage incarné donne toute sa force à cet exil vidéoludique. Les graphismes sont assez simples, pixellisés façon vintage, avec une vue du dessus. Les créateurs se sont inspirés à la fois des jeux 16-bits mais aussi des traditions orientales pour la bande-son et les décors. Le joueur contrôle donc le personnage d’Abdullah Karam, à travers sa fuite. Quatre autres épisodes sont prévus, racontant son voyage en Turquie et Grèce, jusqu’en Europe centrale.

Path Out est disponible sur Steam et sur le site du jeu, gratuitement, avec possibilité de don libre.

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2. Enterre-moi mon amour

Cette fiction interactive plonge dans un fil de discussion WhatsApp avec Nour, une jeune femme syrienne qui décide de quitter son pays pour rejoindre l’Europe. Le joueur incarne Majd, son mari, et doit choisir ses réponses selon les situations. Là où les créateurs ont notamment vu juste, c’est dans le déroulement du temps: si Nour accomplit une action censée lui prendre plusieurs heures, elle ne sera pas joignable pendant ce laps de temps. Dix-neuf fins différentes, dont deux tragiques, ont été élaborées. Enterre-moi mon amour est inspiré, entre autres, de l’histoire vraie de Dana, qui a quitté la Syrie pour l’Allemagne en 2015. Son histoire est racontée dans un article du Monde par la journaliste Lucie Soullier et elles ont été toutes deux conseillères sur le jeu.

Enterre-moi, mon amour est disponible en français, anglais, allemand, espagnol et italien sur l’App Store et Google Play (3,49 €). Le choix de Nour, un prologue gratuit, est en accès libre.

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3. Papers, Please

Dans cette critique du totalitarisme, le joueur incarne un employé de l’immigration dans une république imaginaire de l’ex-URSS. L’histoire se déroule en 1983, et le pays décide d’ouvrir enfin les frontières après six années de guerre avec l’État voisin. Dans ce jeu de 2013, le personnage doit contrôler les papiers des arrivants, et accepter ou refuser leur entrée sur le territoire. Terroristes, clandestins, simples citoyens réfugiés… Papers, Please questionne le rapport à l’autorité avec des dilemmes moraux qui s’imposent rapidement au joueur. Le personnage doit gagner de l’argent pour veiller sur sa famille, et effectue ce travail douze heures par jour, avec un salaire au nombre de personnes inspectées dans la journée. Les graphismes restent basiques mais servent un scénario dont l’humour noir séduit efficacement.

Papers, Please est disponible sur Steam pour 8,99 €.

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4. This War of Mine

Ce jeu de survie, sorti il y a trois ans, suit des civils bloqués dans une ville fictive assiégée dont ils tentent de s’échapper. Les personnages incarnés par le joueur vont devoir faire face aux pénuries de nourriture, de médicaments et au danger permanent qui pèse sur eux. This War of Mine est l’une des premières oeuvres du genre à avoir pris le point de vue inverse à celui des soldats, habituellement adopté par Call of Duty et ses semblables. Les graphismes au fusain, très détaillés, ont d’ailleurs inspiré Thierry Brimioulle pour créer The Man Came Around. En 2015, le jeu a dépassé les frontières de la fiction en proposant un DLC (contenu additionnel) dont les revenus ont été reversés à l’association War Child Charity. Cette organisation améliore les conditions de vie d’enfants syriens réfugiés, notamment en matière d’enseignement.

This War of Mine est disponible sur Steam à 18,99€, également sur PS4 et Xbox One.

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5. Gods Will Be Watching

Sorti la même année que This War of Mine, ce point and click prend le parti d’un univers minimaliste futuriste, en 2257. Le joueur doit guider le sergent Burden et son équipe dans des situations extrêmes comme une prise d’otages ou une survie en milieu hostile, dans un délai limité. Tout l’intérêt du jeu réside dans les décisions morales qui sont imposées au fil de la narration, et ont un impact sur le stress et la psychologie de ce groupe de personnages. La notion de sacrifice y est notamment très importante. Divisé en six chapitres, Gods Will Be Watching est un jeu d’aventure à la difficulté accrue, souvent reprochée par les critiques à sa sortie.

Gods Will Be Watching est disponible sur Steam à 8,99€.

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