Association de malfaiteurs

Bonne nouvelle: de l’affiche à la bande-son, l’univers visuel du film Tueurs a été forgé par Sozyone, le godfather de la culture graffiti bruxelloise. Un retour aux affaires nationales inespéré.

Note importante: programmer un Skype avec Sozyone l’un de ces lundis de pluie dont la Belgique a le secret est définitivement à proscrire. Du moins, si l’on veut éviter d’avoir le seum pour le reste de la journée. Le contraste n’est pas tolérable entre le ciel couleur couvercle de poubelle d’ici, que l’on vit à la manière d’un bonnet sale enfoncé jusqu’aux yeux, et les palmiers sur fond d’azur qui se découpent de l’autre côté de l’écran. Hoodie rouge et teint fringant, Pablo Gonzalez grille pénard une clope en terrasse. La lumière souligne ses yeux clairs qu’il approche régulièrement de la webcam de façon complice. Il est plus de 16 heures, il vient de terminer de déjeuner. Hé oui, ça se passe comme ça, la vie au sud de Valence, plus précisément à Elche, la plus grande palmeraie d’Europe. En guise de fond musical, on entend des chants d’oiseaux que l’on imagine colorés. Pas stressé pour un sou, Sozyone n’a pas changé, il termine toujours ses phrases d’un caverneux « tu vois ce que je veux dire » témoin de la fumée dans ses poumons. Rigolard, il répond aux questions tout en lançant un vieux ballon défoncé à son chien qui le sollicite en aboyant mollement.

On l’aura compris: Pablo Sozyone Gonzalez n’est pas du genre à se faire chier. L’homme a toujours prévenu qu’à ses yeux, il fallait que la vie soit stimulante comme « un gros bac de Lego versés sur le sol« . Une fête permanente? Oui mais pas dorée sur tranche, les biatchs qui frétillent au bord de la piscine n’étant pas le genre de la maison. Celui qui a fait les beaux jours de la scène hip-hop bruxelloise avec le collectif RAB -« Rien à Branler »- n’a jamais transigé sur la qualité de ses collaborations. Comme il le rappelle: « Je préfère crever la dalle ou emprunter du fric plutôt que de signer des boulots dans lesquels je ne me reconnais pas. » Sozy, comme il se faisait appeler au début des années 90 à l’heure de la fondation de De Puta Madre, n’a pas le goût du compromis, du boulot alimentaire. Face à l’adversité, il souhaite « rester un peintre digne« . Dans la foulée, il pourfend ce qu’est devenu le street-art à ses yeux, « 80 % de « banksysme », c’est-à-dire de la caricature de presse facile, et 20 % de belles images purement décoratives« . Même si tout le monde devait s’en foutre, il s’entêterait à percer une troisième voie qui lie fond et forme. S’il rappelle combien la capitale belge était excitante quand le graffiti a pris son envol, il a également prouvé que lorsque la ville a pris les contours d’un « environnement pasteurisé« , il a su se montrer cohérent en prenant ses cliques et ses claques pour la province d’Alicante. On sent malgré tout un peu de nostalgie quand il raconte sa mère, concierge qui possédait « le plus petit appart de Bruxelles« , et la cave qu’il squattait sept étages plus bas notamment avec Smimooz, son complice de toujours. De là à revenir? Aucune chance. Pablo n’a plus rien à faire en Belgique et constate par exemple avec dépit qu’Alice Gallery avec qui il avait signé sa dernière exposition a changé sa direction artistique d’épaule.

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Voyoucratie

Faut-il considérer Pablo Gonzalez comme définitivement mort à la Belgique? Heureusement, non. Le récent film Tueurs de François Troukens (lire aussi page 12) a ramené son incomparable univers visuel sous nos latitudes, et ce n’est pas là le moindre de ses mérites. Un hasard? Pas vraiment, si c’est Sourire, un ami commun de Sozyone et du réalisateur, qui a fait le lien, il existe une vraie convergence entre les univers des deux hommes. Pablo la désigne par le terme de « voyoucratie« . On le sait, le membre de De Puta Madre éprouve une fascination pour les « nobles crapules« . « Rien de plus fascinant que de peindre la vie d’un voleur, il y a un côté « je suis seul et je vous emmerde tous » qui me scotche« , nous confiait-il lors de Voyov, son dernier accrochage. Il revient sur la manière dont s’est nouée la collaboration. « J’avais reçu le script il y a deux ans, ensuite plus de nouvelles. En août dernier, j’ai été contacté en urgence, le film avait besoin d’une affiche. Je l’ai visionné attentivement et cela m’a tout de suite parlé. J’étais fier de ce que j’avais devant les yeux, un peu à la façon dont j’imagine un Brésilien se réjouir d’une belle phase signée Neymar. Très vite, je suis venu à Bruxelles pour rencontrer François. D’emblée j’ai compris ce qu’il voulait, on était sur la même longueur d’ondes. » Une rencontre fatale? « Pas vraiment, corrige Pablo. Il est clair que la convergence était là, on n’aurait pas fait appel à moi s’il s’agissait d’un film sur les licornes. N’empêche, quand on m’a dit que cela portait sur les tueurs du Brabant, j’étais circonspect, mon idée de voyoucratie n’a rien à voir avec l’extrême droite ou une quelconque infiltration de la Sûreté de l’État… Il reste que la qualité du film m’a convaincu, cela correspond à mon intérêt pour la violence, l’anarchie. Et puis, les scènes sonnent juste. » Le reste, qui se passe de mots, évoque l’omerta du milieu: tout est magnifiquement suggéré par le travail chiadé de l’intéressé. Soit des dessins percutants, scannés et mis en couleurs sur ordinateur, qui impriment la rétine comme une giclée de sang sur le carrelage blanc.

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