Schtroumpf Expérience et Expo Peyo, deux faces d’une même pièce

La Schtroumpf Expérience se veut à la fois ludique et pédagogique, mélange d'arts vivants et de nouvelles technologies. © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Impossible d’échapper aux 60 ans des lutins bleus de Peyo! La seule création belge réellement internationale est en effet devenue une créature protéiforme, à la fois fête foraine et oeuvre d’art.

La plus belle des petites expositions d’art dessiné de ces dernières années d’un côté, un gros barnum spectaculaire de l’autre, voué au divertissement de masse… On pensait souligner ce paradoxe en entamant cet article sur les événements et expositions qui entourent le soixantième anniversaire des Schtroumpfs, mais c’est en fait tout le contraire qu’il faut comprendre de cette addition des contraires, car elle résume parfaitement l’oeuvre de Peyo: il fut l’un des grands artisans et des meilleurs narrateurs de la bande dessinée franco-belge, avec une oeuvre devenue pièce d’art et de musée, mais aussi un homme de création et d’affaires presque malgré lui, à l’origine d’une extraordinaire aventure commerciale qui a placé ses personnages au sommet du divertissement populaire, mondial et moderne.

La volonté est de présenter les Schtroumpfs comme des personnages vivant avec leur temps

La seule, mieux que Tintin et très loin devant Spirou, à être née dans la BD d’ici et qui représente aujourd’hui plus de 700 licences actives, 300 épisodes de dessins animés, 36 albums, 14 chaînes Youtube, 3 films, des jeux vidéo, 100 millions de figurines, 1 milliard d’euros de revenus annuels engendrés par les seules ventes au détail, et 11,5 millions de chiffres d’affaires par an pour la seule IMPS, la société qui gère les droits des Schtroumpfs, dirigée par Véronique Culliford, la fille de Peyo. Pas mal pour des personnages nés en 1958, au départ secondaires dans les aventures de Johan et Pirlouit, et dont l’auteur est mort d’épuisement il y a déjà 25 ans. « Mon père aurait été heureux de voir ça », a confirmé sa fille, à la fois en visitant L’Expo Peyo à Paris (1) et La Schtroumpf Expérience (2) – à Bruxelles -, les deux faces d’une même pièce.

La Schtroumpf Expérience se veut à la fois ludique et pédagogique, mélange d'arts vivants et de nouvelles technologies.
La Schtroumpf Expérience se veut à la fois ludique et pédagogique, mélange d’arts vivants et de nouvelles technologies.© DR

Les Schtroumpfs 4.0

Au sommet des événements schtroumpfants de cette année anniversaire, que le ministère des Affaires étrangères lui-même a proclamé comme « année officielle des Schtroumpfs », juste devant l’Aérosmurf de Brussels Airlines ou la prochaine Fête de la BD qui leur sera largement consacrée en septembre, on trouve donc cette Schtroumpf Expérience effectivement événement. Elle aura demandé cinq millions d’euros d’investissements et compte accueillir jusqu’à 3.000 personnes par jour pendant six mois, entre l’expo Star Wars et le Palais 12, au pied de l’Atomium. Et ce, avant de partir pendant cinq ans autour du monde schtroumpfer la bonne parole. L’Expérience propose en parallèle des attractions schtroumpfantes, un véritable discours à portée d’enfants autour du développement durable, les lutins ayant été choisis par les Nations unies en 2016 en tant qu’ambassadeurs de la cause.

La Schtroumpf Expérience se veut donc itinérante, ludique et pédagogique, à la manière dont de plus en plus d’events pop sont montés et financés – le producteur exécutif de la Schtroumpf Expérience a aussi travaillé sur The Art of The Brick (autour des Lego) ou Van Gogh – The immersive experience. Du ludique et de l’immersif, qui mêle un peu d’arts vivants et beaucoup de nouvelles technologies, soit exactement ce que l’on trouve ici dans ce « Village des Schtroumpfs 2.0 » dixit la patronne d’IMPS. « Des Schtroumpfs 4.0! », renchérit Stéphane Uhoda, à l’origine de l’idée, produite et conçue via son asbl L’Usine à bulles en s’appuyant sur de nombreux partenaires, financiers ou techniques. « Notre volonté était de présenter les Schtroumpfs comme des personnages vivant avec leur temps, et non comme le Grand Schtroumpf, comme des vieux à barbe blanche. Depuis leur création, les lutins de Peyo ont toujours eu cette faculté extraordinaire de se réinventer en permanence et de coller à leur époque. »

Parmi les technologies exploitées, la réalité virtuelle qui fait voyager les enfants casqués sur une oie vers le village des Schtroumpfs.
Parmi les technologies exploitées, la réalité virtuelle qui fait voyager les enfants casqués sur une oie vers le village des Schtroumpfs.© DR

Dont acte: cette Expérience se veut une immersion parfois impressionnante dans l’univers des Schtroumpfs, d’abord en jouant sur la taille de plus en plus grande des décors (avec, entre autres, un très réussi Gargamel géant en latex sur lequel les gamins peuvent grimper), mais en jouant surtout avec les dernières technologies disponibles: hologrammes, live motion capture, mapping vidéo, réalité augmentée… tout l’high tech ludique y passe à travers les neuf salles et les 1.500 mètres carrés de l’immersion avec, pour clou de cette fête un peu foraine, un parcours de six minutes sur le dos d’une oie jusqu’au village des Schtroumpfs, la tête calée dans un casque de réalité virtuelle. La cerise sur un gâteau plus riche que fin, mais qui fera effectivement kiffer les gamins de moins de 12 ans essentiellement. Ceux-ci étaient globalement unanimes dans leurs premières impressions et leur torture du français au sortir de l’inauguration – « C’est trop bien ». On n’argumentera pas – les enfants ont toujours raison – mais on espère quand même qu’ils auront tous repéré les albums de BD un peu perdus dans l’imposant shop de la sortie. Parce que ça, c’est vraiment trop trop bien.

Les Schtroumpfs sont porteurs d’un langage, d’un humour et de valeurs universels

Autre ambiance donc, à Paris, dans la salle d’exposition du Centre Wallonie-Bruxelles: ici, il y a moins de monde, moins de couleurs, moins de bruit et moins d’attractions, mais pas moins d’intérêt si on a plus de 12 ans ou qu’on adore les albums des Schtroumpfs, de Johan & Pirlouit ou de Benoît Brisefer. L’exposition, montée par Hugues Dayez (bédéphile averti et seul biographe en date de Peyo) et José Grandmont (membre du studio Peyo, qui continue de faire graphiquement vivre les Schtroumpfs) propose en effet une rétrospective de la carrière de Peyo bâtie, pour l’essentiel, sur de nombreuses planches originales et de très rares documents d’époque: crayonnés, dessins, croquis, alors que « l’on possède très peu d’à-côtés du travail de Peyo; lui qui était en quête du dessin utile a dû jeter à la poubelle des milliers de croquis », nous expliquait José Grandmont, il y a un an, quand cette rétrospective prit naissance entre les murs de la fondation Folon, à La Hulpe. Mais qu’on se rassure: ce qui reste de la carrière d’auteur et d’artisan de Peyo impose immédiatement sa beauté et sa pureté, plus encore que son potentiel commercial. Avant de devenir malgré lui le président de la SA Schtroumpfs, Pierre Culliford était un formidable dessinateur, et un encore plus formidable narrateur, au dessin aussi lisible qu’une ligne claire de Hergé et aussi vivant qu’un crobard de Franquin. Une vie, une lisibilité et un imaginaire qui expliquent sans doute beaucoup du succès de Peyo, et surtout de ses Schtroumpfs, porteurs d’un langage, d’un humour et de valeurs universels.

Schtroumpf Expérience et Expo Peyo, deux faces d'une même pièce
© DR

On redécouvre ici l’auteur et l’artiste qui s’est peu à peu éteint à l’ombre de son succès commercial – c’était d’ailleurs le but premier de cette magnifique rétrospective: « Nous tenions vraiment à remettre en avant l’art de Peyo, qui a parfois été oublié, éclipsé par l’énorme succès commercial des Schtroumpfs. Montrer à quel point il a été un artisan exceptionnel avant d’être un auteur à succès, éclipsé voire écrasé par celui-ci. Or, il a appris à manier l’art de la BD comme personne: en matière de découpage, de maîtrise des contrastes, de lisibilité, Peyo reste un maître, un incroyable perfectionniste. » Une qualité artistique qui est par ailleurs en train d’être reconnue sur le marché de l’art, de plus en plus ouvert à la bande dessinée. Si les originaux en circulation de Peyo sont très rares (la famille et IMPS protègent farouchement l’ensemble de l’oeuvre, tel Moulinsart avec Tintin) et qu’ils n’atteignent pas encore les niveaux d’un Hergé, ils flirtent désormais avec les cotes d’un Franquin: une couverture originale, simple dessin grand format, réalisée pour le journal Spirou en 1966 était ainsi récemment mise en vente à 40.000 euros.

Maigres connexions

Intérêt artistique d’un côté, potentiel commercial et populaire de l’autre: il y en aura donc pour tous les goûts en cette année on ne peut plus schtroumpfante pour les amateurs, soit d’attractions, soit de bande dessinée, soit des deux. Et même si la logique propre aux personnages et à leur géniteur est ainsi respectée, on regrettera quand même, un peu, qu’il y ait au final peu de connexions entre ces deux extrêmes: la Schtroumpf Expérience évoque très peu Peyo et la bande dessinée tout au long de la grosse heure que dure sa visite; tout comme L’Expo Peyo fait, pour une fois, un peu l’impasse sur le succès commercial des Schtroumpfs. Un paradoxe qui n’en est donc pas un: Walt Disney, avant Peyo, aura sans doute vécu les mêmes tiraillements.

(1) Expo Peyo, au Centre Wallonie-Bruxelles, à Paris, jusqu’au 28 octobre. www.cwb.fr/programme/expo-peyo

(2) La Schtroumpf Experience, à Brusssels Expo (Palais 4), à Bruxelles, jusqu’au 27 janvier 2019. www.smurfexperience.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content